On cherche à savoir si, oui ou non, il existe un lien entre dépression et cancer

Publié le 09/04/2002
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« Les relations chronologiques et causales entre les cancers et l'humeur dépressive sont multiples et complexes », analyse le Pr Sylla Consoli (hôpital européen Georges-Pompidou, Paris). En premier lieu, il se pose la question de la transposabilité des critères diagnostiques classiques de dépression à des patients souffrant de pathologie somatique carcinologique. Associée à la constatation d'une sous-estimation, en pratique clinique, des troubles dépressifs, cette question peut être envisagée sous différents axes : l'association entre dépression et cancer peut être le témoignage de l'impact émotionnel d'une pathologie néoplasique déclarée ou, à l'inverse, d'une plus grande vulnérabilité des patients dépressifs à l'égard d'une pathologie cancéreuse ou de l'aggravation de celle-ci une fois qu'elle est installée. « Mais une dépression et un cancer peuvent également constituer deux catégories de manifestations morbides, précipitées l'une par l'autre dans le cadre de situations de stress ou à l'occasion d'événements éprouvants de la vie - chaque pathologie ayant ses déterminants biologiques propres ; enfin, l'association entre les deux pathologies peut se révéler totalement fortuite », explique le Pr Consoli.

Le sentiment d'impuissance-désespoir

L'analyse des données de la littérature montre que, à une exception près, les grandes études épidémiologiques portant sur le lien entre dépression et cancer chez des sujets initialement en bonne santé n'ont pas permis de conclure à un risque accru de cancer chez les sujets cliniquement déprimés ou présentant une humeur dépressive, par rapport au reste de la population. « En revanche, le recours à des concepts proches de la vulnérabilité dépressive, tels que le sentiment d'impuissance-désespoir (hopelessness) ou la personnalité psychiatrique de type C, a ouvert des pistes intéressantes à développer », ajoute le Pr Consoli.
A ce titre, les travaux les plus récents insistent sur deux notions complémentaires en relançant le débat sur les liens de causalité entre dépression et cancer : plusieurs études confirment en effet l'existence d'un risque accru de cancer chez les sujets dépressifs fumeurs - qu'il s'agisse de cancers survenant sur des sites classiquement liés au tabagisme et, à un moindre degré, sur d'autres sites ; il apparaît que ce n'est pas tant l'évaluation unique d'une humeur dépressive qui peut prédire la survenue ultérieure d'un cancer, mais la présence d'une dépression « chronique », notée lors de plusieurs évaluations successives au cours des années.

Les fonctions immunitaires

Pour le Pr Consoli, « de telles données épidémiologiques sont à verser au dossier déjà très fourni des associations entre humeur dépressive et anomalies des fonctions immunitaires ou du rôle du stress sur l'immunomodulation ».
Le grand public et, plus encore, les patients atteints de cancer restent accrochés à la croyance du rôle d'événements de vie éprouvants dans la survenue d'un cancer et d'effet possible des troubles émotionnels dans le pronostic de la maladie. « Il importe d'utiliser prudemment les résultats des travaux épidémiologiques qui étayeraient une partie de ces croyances, en évitant de décourager encore davantage les patients qui réagissent sur un mode dépressif à leurs problèmes de santé, mais en sachant plutôt offrir à ces derniers les moyens thérapeutiques de retrouver un moral plus solide et d'adhérer également ainsi plus pleinement au projet de soin cancérologique qui leur est proposé », conclut le Pr Consoli.

5e Biennale monégasque de cancérologie.
« La dépression joue-t-elle un rôle dans l'apparition ou l'aggravation des cancers ? », sous l'égide de la Société française de psycho-oncologie. Une communication du Pr Sylla Consoli (hôpital européen Georges-Pompidou, Paris).

Dr P. C.

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7104