A comme Antidote
Il n'est évidemment pas question de renoncer aux antibiotiques, qui constituent à ce jour l'unique moyen d'action thérapeutique contre le bacille de charbon inhalé. Mais les chercheurs, en Europe comme aux Etats-Unis, tentent de mettre au point un autre traitement, de manière à porter à la maladie « un deuxième coup », simultané (« le Quotidien » des 22 et 24 octobre). Ainsi, au Burnham Institute de San Diego, le Dr Robert Liddington travaille sur la structure atomique du bacille : « La bactérie produit trois protéines différentes appelées antigène protecteur (AP), le facteur démateux (FO) et le facteur létal (FL), explique-t-il. L'antigène protecteur s'accroche aux macrophages du sang et y crée une brèche dans laquelle s'engouffrent les deux autres facteurs. Il contraint les cellules à produire des substances qui, après la mort des macrophages, sont libérées en quantités massives dans la circulation sanguine. »
Sur une douzaine d'anticorps susceptibles de bloquer ce processus, deux sont actuellement en cours de test à l'université d'Austin (Texas).
A Harvard, le Dr John Collier a pour sa part mis au point des copies altérées de l'antigène protecteur. Il faut plusieurs copies de l'antigène pour créer une brèche dans le macrophage et le Dr Collier a découvert qu'une seule d'entre elles suffit à empêcher la formation de la brèche.
Dans « Current Biology », d'octobre (« le Quotidien » du 3 octobre), Watters, Dietrich et coll. présentent l'identification du gène Ltxs1 (ou letal toxin 1) sur le chromosome 11. Il code pour la protéine Kif1C dont les deux allèles sont requis pour que les macrophages résistent au facteur létal. Kif1C opère en aval de la voie d'intoxication et protège les macrophages des signaux induits, lorsque le FL protéolyse ses protéines cibles. Une voie de recherche pourrait donc reposer sur l'augmentation de cette activité de Kif1C.
Enfin, dans « Nature Biotechnology » (2001 ; 19 : 956-61), d'autres chercheurs américains publient leurs travaux sur un inhibiteur polyvalent de la toxine qui protège des rats pendant une semaine au moins. En passant en revue de nombreux peptides, ils ont identifié des inhibiteurs possibles du processus toxique. L'un d'eux, assemblé en de multiples exemplaires, semble efficace (« le Quotidien » du 18 octobre).
En France aussi, les chercheurs poursuivent des travaux en recherche fondamentale aux enjeux importants ; c'est le cas en particulier à l'unité toxines et pathogénie bactérienne de l'Institut Pasteur.
D comme désinfection
En France, l'un des principaux laboratoires spécialisés, Anios, dont le siège est à Lille, n'a pas attendu la vague d'attentats bioterroristes aux Etats-Unis pour fourbir tout un arsenal antimicroorganismes : pour les hôpitaux en butte aux infections nosocomiales comme pour les industries agro-alimentaires soucieuses de leur sécurité, elle traque l'ensemble du spectre microbien. C'est son directeur scientifique, Jacques Criquelion, qui est souvent appelé par les directions régionales et départementales d'Actions sanitaires et sociales (DRASS et DDASS) lorsque les sapeurs-pompiers doivent procéder à la désinfection d'un site, en cas de suspicion. « Nous travaillons de longue date sur la famille des bacillus, explique-t-il, comme sur l'ensemble des spores de bactéries qui constituent les organismes les plus difficiles à détruire dans le monde microbien. Anthracis représente dans cette famille un bacille qui n'est pas plus redoutable qu'un autre et s'il a été sélectionné par les terroristes, c'est probablement parce qu'il dissémine facilement et transmet des pathologies volontiers démonstratives, comme ces zones noires gangrenées dont les images alimentent la peur. Pour procéder à la désinfection, nous disposons de deux sporicides très efficaces, les aldéhydes et l'acide peracétique. Nous sommes à même de traiter les surfaces dans toute chambre suspecte. » Selon l'entreprise, aucune nouvelle recherche ne semble nécessaire en ce domaine. Les travaux qui se poursuivent au niveau européen, dans le cadre des normes CEN (Comité européen de normalisation), s'inscrivent dans une coopération internationale sur les méthodologies de la désinfection, pour vérifier l'efficacité des protocoles sans lien particulier avec l'actualité bioterroriste, comme ce fut encore le cas lors d'une réunion du groupe technique européen, la semaine dernière, à Berlin.
La production des sporicides n'a même pas été revue à la hausse avec la multiplication des alertes à travers la France. Quant au scénario catastrophe dans le cadre duquel il s'agirait de procéder à la désinfection de surfaces considérables, par exemple le hall de la gare du Nord ou celui de l'aéroport Charles-de-Gaulle, M. Criquelion estime qu'il faut raison garder : « Pour que le risque de contamination soit majeur, il faut d'une part une quantité importante de spores et, d'autre part, une porte d'entrée dans l'organisme ; si une enveloppe contenant de la poudre suspecte venait à être ouverte dans un hall de gare, le degré de risque ne serait pas substantiellement différent de ce qu'il est dans un bureau, car ne seraient de toute manière exposées, dans un cas comme dans l'autre, que les personnes ayant été directement en contact avec l'enveloppe. Une désinfection à grande échelle, sur un bâtiment de plusieurs milliers de mètres cubes, ne semble en aucun cas scientifiquement justifiée. »
D comme détecteur
Le prototype d'un détecteur capable de sonner l'alarme dès qu'un microbe comme le bacille de la maladie du charbon flotte dans l'air pourrait être achevé dans les deux mois. C'est ce qu'a annoncé le Dr Jeanne Small, biophysicienne et professeur de chimie et de biochimie à l'université Eastern Washington (Cheney, Washington) (« le Quotidien » du 2 novembre). Cet appareil, qui prélève l'air en continu et l'analyse en moins d'une demi-heure, a été testé avec succès, assure son inventeur, avec des particules biologiques d'une taille de 1 à 10 microns, la recherche montrant que les substances courantes comme les poussiers des routes ou la suie se comportent très différemment des bactéries.
T comme test
Une vingtaine de laboratoires américains vont commencer cette semaine à exécuter un nouveau test rapide pour le dépistage d'urgence du charbon. Mis au point par Roche Diagnostics avec la clinique américaine Mayo, ce test PCR (Polymerase Chain Reaction) permet, en démultipliant une minuscule quantité de matériel génétique, de détecter les germes recherchés dans la poudre ou le prélèvement. Alors qu'un PCR classique prend en moyenne de cinq à six heures, ce nouveau test peut être effectué en deux heures trente en comptant le temps d'extraction du matériel génétique à partir du prélèvement, une opération qui peut être effectuée par des automates.
L'avancée constituée par ce test paraît majeure : « Cette identification rapide va donner aux médecins la possibilité de traiter plus précocement les patients qui auront été exposés au bacille du charbon et d'apaiser rapidement les craintes de ceux qui ne seront pas concernés », se félicite le Dr Franklin Cockerill, microbiologiste de la clinique Mayo.
Il reste cependant à procéder à une évaluation. « On va le faire très rapidement », déclare-t-on à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). Mais encore faudrait-il que la France dispose du test, ce qui n'est pas actuellement le cas. De toutes manières, commente-t-on au cabinet de Bernard Kouchner, dans un premier temps, il faudra doubler le test rapide dont on ne connaît pas la sensibilité, par une culture classique, avec un examen biochimique qui nécessite un délai incompressible de 24 à 48 heures. C'est seulement de cette manière que l'on pourra poser un diagnostic de certitude.
V comme vaccin
C'est l'un des domaines où l'enjeu est d'importance, car le seul vaccin existant, produit par le laboratoire Bioport, entraîne des effets secondaires tels (fatigue, malaise, état grippal) que les Etats-Unis, après avoir vacciné 150 000 soldats pendant la guerre du Golfe, ont décidé d'interrompre son inoculation qui, de surcroît, ne conférait pas une immunité de longue durée. La fabrication a été arrêtée en 1998 et les stocks disponibles seraient descendus à 13 000 doses.
Dans ce contexte, les travaux de Michèle Mock, à l'Institut Pasteur, suscitent un vif intérêt. Le vaccin qu'elle a réussi à mettre au point améliore, selon la chercheuse, la sécurité du vaccin d'usage vétérinaire. « Nous avons trouvé des composants qui semblent donner une très bonne protection sur des animaux de laboratoires, souris et cobayes », se félicite-t-elle. Elaboré à partir d'une protéine qui entre dans la composition des toxines de la bactérie du charbon, à laquelle ont été ajoutés des composants de la spore, ce vaccin pourrait faire l'objet prochainement d'essais de phase I, pour vérifier sa non-toxicité humaine.
Mais « plusieurs années » seront de toutes façons nécessaires avant un début de commercialisation.
A plus longue échéance, d'autres pistes vaccinales pourraient être aussi explorées grâce à la révolution génomique, qui dispenserait de recourir à la vaccine, comme c'est encore le cas avec la nouvelle génération élaborée par Pasteur.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature