CENT CINQUANTE MILLE personnes sont hospitalisées chaque année en France pour un syndrome septique grave (dont 75 000 en réanimation), conduisant au décès dans 30 % des cas (1, 2). Et ces sepsis sévères ne représentent qu'une partie seulement des infections potentiellement mortelles dans notre pays.
Il explique en partie de tels chiffres. «Il peut être dû à une mauvaise connaissance des signes cliniques de l'infection sévère, déclare le Dr Jean Carlet*, mais ce diagnostic est aussi parfois difficile. L'expérience en médecine aiguë entre certainement en ligne de compte.» Ainsi, chez les sujets âgés, les manifestations neurologiques, comme la confusion, l'agitation ou la somnolence, sont souvent au premier plan et peuvent égarer. Mais si ces symptômes sont compatibles avec une infection et qu'ils s'accompagnent de signes de syndrome inflammatoire de réponse systémique (SIRS, tachycardie, tachypnée, hyperleucocytose, hypothermie ou hyperthermie) et, a fortiori, à une légère hypotension, il faut savoir évoquer le choc septique et ne pas suivre la piste de l'accident vasculaire cérébral sous prétexte de l'âge. «Car on peut ainsi perdre entre vingt-quatre et quarante-huitheures », constate J. Carlet.
Chez le sujet plus jeune, les symptômes sont généralement plus francs, l'hypotension artérielle est fréquente et, si elle est importante, l'évocation de choc septique doit être immédiate. Mais elle peut aussi être modérée, avec des signes de souffrance des tissus, chaque tissu témoignant de sa souffrance de façon plus ou moins spécifique : le cerveau, par la somnolence ou l'agitation, le rein, essentiellement par l'oligurie, la peau, par l'apparition de marbrures cutanées…
Une fois le diagnostic évoqué, il faut faire très vite. La mortalité augmente de 7,6 % par heure perdue entre les premiers signes d'un choc franc et l'injection d'un antibiotique approprié (3). Le recours à des examens complémentaires complexes ne doit pas retarder l'antibiothérapie et le remplissage vasculaire. «Cela, précise J. Carlet, est particulièrement fréquent au cours des méningites graves, où scanner, IRM et transfert en grande garde de neurochirurgie sont réalisés alors que chaque minute compte pour le traitement antibiotique.» Il faut donc, parallèlement à la mise en route du traitement, envisager toutes les étiologies possibles et effectuer les premiers examens complémentaires en conséquence : hémoculture, PL, ECBU, radio du thorax… mais sans retarder l'antibiothérapie et le remplissage vasculaire, lequel doit être efficace, le malade devant retrouver une tension correcte en trente minutes et non pas en plusieurs heures. «En pratique, ce n'est pas ce qui est fait, observe J. Carlet. Prenons le cas d'un Purpura fulminans , l'idéal serait que le médecin traitant ou, au plus tard, le SAMU administre l'antibiothérapie. Mais les médecins ont peur d'abâtardir les symptômes.»
Le bon antibiotique.
Certains traitements antibiotiques sont inefficaces parce qu'ils sont mal choisis ou donnés à des posologies trop faibles. Or nous disposons d'une panoplie thérapeutique assez large qui devrait permettre de taper fort et bien sur les agents infectieux rencontrés.
«Il faut quand même émettre quelques réserves sur l'avenir», note J. Carlet, qui cite deux exemples pouvant se révéler préoccupants dans les prochaines années.
Le premier concerne, actuellement, les Etats-Unis, où se développent en ville des infections à staphylocoques résistants à la méthicilline, producteurs de la leucocidine de Panton-Valentine (PVL) et responsables d'abcès importants et de pneumopathies très nécrosantes. En France, ces infections sont extrêmement rares et les antibiotiques recommandés par les consensus 2006 de la SPILF ne sont pas actifs sur ces staphylocoques. Or il est possible que, dans quelques années, on soit obligé d'y penser systématiquement.
Un autre germe est aujourd'hui inquiétant. Il s'agit du très banal colibacille, avec lequel tout le monde cohabite. Or ce colibacille commence à devenir résistant aux C3G. Le phénomène existe chez les malades qui ont été hospitalisés et qui ont reçu des antibiotiques, mais aussi chez des individus qui n'ont eu aucun contact avec l'hôpital. «Si le mécanisme s'installe en ville, il faudra revoir tous nos algorithmes de traitement», craint J. Carlet.
Programmes et propositions.
Face à l'infection, la lutte s'organise. Ainsi, la Surviving Sepsis Campaign propose un texte consensuel pour l'identification précoce des malades septiques et l'organisation de la prise en charge initiale, et, notamment, l'articulation entre les services d'urgence. Cette campagne internationale, soutenue par plusieurs sociétés savantes européennes et nord-américaines (4), s'adresse surtout à la prise en charge hospitalière de ces syndromes déclarés, alors que le problème est beaucoup plus global et concerne toute la chaîne de soins, en particulier la médecine de ville.
Un groupe multidisciplinaire dirigé par Jean Carlet a, quant à lui, émis dix propositions au directeur de la santé, Didier Houssin. Les résultats attendus de ce programme national sont d'épargner la vie de 10 000 à 20 000 personnes environ par an en France.
D'après un entretien avec le Dr Jean Carlet, chef de service de réanimation polyvalente, fondation hôpital Saint-Joseph, Paris. (1) Brun-Buisson C et al.
Intensive Care Med 2004;30:580-588.
(2) Brun Buisson C, Am J Respir Crit Care Med 1996;154:617-624. (3) Kumar et al. Crit care Med 2006; 34(6):1589-1596.
(4) Dellinger RP, Intensive Care Med 2004;30:536-555.
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