EN ENTRANT dans la biographie d’Émile Coué, on a l’impression qu’au simplisme de la méthode répond l’insignifiance de son auteur. Pharmacien à Troyes, puis à Nancy, au début du siècle dernier, Coué pratique l’hypnose thérapeutique, apprise au contact d’Ambroise-Auguste Liébeault en 1885. La méthode connaît à l’époque un fort succès, mais Coué lui-même reste peu connu, en dépit de quelques conférences où il expose déjà l’intérêt de l’autosuggestion consciente.
Hervé Guillemain y revient maintes fois, la première guerre mondiale a laissé dans la population un total désarroi psychique et une extraordinaire prolifération de symptômes, chacun doit se reconstruire et les idées de Coué vont connaître un très vif succès.
Au début des années 1920, Coué, qui a d’ailleurs des disciples, reçoit de 15 000 à 25 000 personnes par an et, donnons la parole à l’auteur, « si l’on se fie aux récits de guérisons publiés dans "le Bulletin de la société lorraine de psychologie appliquée, on constate que les patients reviennent pour la plupart au moins trois fois chacun à Nancy au cours de leur cure ».
Mais la partie la plus vivante du livre est l’engouement des autres pays pour les idées de Coué. Très vite, les patients lorrains sont remplacés par des Anglaises inquiètes et cachexiques, Stuttgart et Karlsruhe le traduisent, le psychanalyste suisse Charles Baudouin crée une société freudo-couéiste et pratique la méthode à Genève à l’Institut Jean-Jacques Rousseau.
Le développement de soi.
C’est aux États-Unis que, remarquablement relayées par ses réseaux, les idées du pharmacien lorrain font florès. Avec beaucoup de précision, l’auteur montre comment la pluralité des sectes religieuses dans ce pays permet souvent une facile absorption des thèmes couéistes. Ainsi, l’idée de se guérir soi-même est conçue comme un signe de confiance en Dieu, une foi dans l’avenir. Pointe déjà un thème devenu depuis obsessionnel en Occident : le développement de soi par soi.
Située au carrefour des magnétiseurs mesmériens, de l’hypnothérapie et de tout ce qui exploite l’action d’une conscience sur une autre, autant dire la suggestion, la méthode d’Émile Coué se transforme en autosuggestion par le simple fait de voir le maître agir sur d’autres malades. Les noms de James Braid, Janet, Bernheim et Freud sont au cur de cette riche constellation.
Or Coué attire encore plus l’attention par sa modestie. Ce n’est pas un théoricien traitant de l’Inconscient ou du subconscient, il ne propose aucune hypothèse à base de fluide psychique et tient à se démarquer totalement des guérisseurs, puisque lui guérit réellement.
Dans l’un de ses derniers chapitres, Guillemain situe très habilement celui qui fut brièvement accusé d’exercice illégal de la médecine dans un bain d’idées, il l’expose au regard de la médecine officielle. Peut-elle intégrer une telle pratique ?
L’attitude générale à l’égard de Coué est marquée par une réelle bienveillance. Il y a une raison manifeste, il est pharmacien. Or l’injonction de répéter une formule « s’apparente à une posologie verbale ». Sans compter l’aspect balintien que représente le fait d’avoir un lien direct avec le prescripteur, à une époque où déjà le médicament industriel dépersonnalise la relation. Il y avait beaucoup de profondeur dans l’odyssée du petit pharmacien nancéien, le simple fait de l’écrire fait que nous-mêmes allons déjà beaucoup mieux.
Hervé Guillemain, « la Méthode Coué », Seuil, 382 pages, 21 euros.
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