UNE NOUVELLE enquête, réalisée auprès de 2 600 femmes en Europe*, âgées de 15 à 24 ans, montre qu’aujourd’hui encore les règles sont mal vécues. Deux tiers des femmes se sentent obligées de modifier leurs comportements pendant cette période : 63 % des Françaises perdent leur assurance par peur des fuites, 59 % modifient leurs activités, 78 % s’habillent différemment, 80 % évitent les relations sexuelles pendant leurs règles. En France, les règles sont, encore aujourd’hui, la première cause d’absentéisme.
Alors, faut-il supprimer les règles ? Difficile d’avancer sur la question car les règles demeurent un sujet tabou, affirme le Dr Hélène Jacquemin Le Vern, gynécologue, auteur de « le Sang des femmes : tabous, symboles et féminité » (Ed. InPress, coll. « Questions de patients »). C’est l’absence de livres sur la question qui l’a poussée à écrire le sien : «Essayez de quitter un dîner en disant “Je suis fatiguée j’ai mes règles”, vous verrez le silence… Invoquer une gastro passe beaucoup mieux. Il y a des livres sur tout sauf sur les règles, on peut parler d’érection, de stérilité, mais de règles, non, cela reste un sujet féminin intime.»
Ce sang caché dans la plus profonde intimité est en même temps régi par des lois sociales depuis des millénaires. «En Afrique, les femmes changent de statut social à la ménopause, elles rejoignent le clan des hommes. Dans la religion juive, la femme reste impure, donc intouchable, pendant les sept jours qui suivent les règles, ajoutés aux cinq jours de règles, la femme redevient disponible juste au moment de l’ovulation.»
Les treize fées.
Les femmes en sont-elles libérées ? Peut-on être femme sans avoir ses règles ? «Les règles ne servent à rien, c’est un gaspillage des ressources de la femme, elles doivent disparaître», dit en substance l’auteur brésilien Elsimar M. Coutinho.
Si la femme n’a plus à porter les dix ou douze enfants qu’elle concevait autrefois, on peut considérer les menstruations comme un gaspillage de ses ressources. Les règles minent ses énergies, réduisent son taux de fer et causent un éventail de problèmes de santé mineurs (maux de tête, nausées, crampes et humeurs) et majeurs (pour celles qui souffrent de maux chroniques comme l’endométriose). La menstruation régulière, conclut-il, est une fonction évolutive héritée de nos ancêtres et obsolète ; elle devrait être supprimée chez toutes les femmes en âge de se reproduire.
Une thèse qu’Hélène Jacquemin rejette totalement. «Quand je parle de contraception avec une femme, j’explique, selon le contraceptif, que les règles seront moins longues, voire supprimées. Une fois qu’on a expliqué que le fait de ne pas avoir de règles sous pilule contraceptive (minidosée ou avec progestérone) ou stérilet hormonal n’est pas dangereux, les femmes acceptent. Une fois qu’elles apprennent que les “règles” sous pilule n’en sont pas, qu’elles ne sont que la réaction de l’endomètre à la carence d’hormones, les femmes sont plus facilement séduites par l’idée de ne plus “vivre ça” tous les mois. En fait treize fois par an, comme les treize fées de la Belle au bois dormant.»
Mais pourquoi vouloir imposer l’idée, demande-t-elle. Chaque femme doit choisir pour elle-même. C’est ça la liberté : pouvoir choisir. Mais il faut que le praticien aussi évolue et accepte que les femmes choisissent d’avoir ou non leurs règles.
Il y a trente ans, les règles étaient un marqueur de bonne santé, de bon fonctionnement, elles devaient être présentes, régulières, abondantes. Si elles ne répondaient pas à ces critères, cela entraînait automatiquement une consultation, constate le Dr Gérard Salama, gynécologue-obstétricien venu commenter les résultats de l’enquête. «Aujourd’hui, la femme a pris le pouvoir sur sa vie, cette liberté et cette émancipation ont naturellement fait évoluer sa perception et sa gestion de ses règles, vers un désir d’avoir peu de règles, afin de contrôler ce rendez-vous mensuel, de gérer leur vie et leurs envies.»
Cette acceptation de la diminution du flux est due à un désir de liberté et de confort, ainsi qu’à la contraception qui permet ce contrôle. Pourtant, une réalité toujours forte persiste, poursuit Gérard Salama : si les femmes choisissent de réduire ou de réguler leurs flux, l’absence de règles réveille les inquiétudes et les vieux démons.
* Enquête réalisée en mars 2005 par TNS Gallup, pour le fabricant de serviettes hygiéniques Nana, dans les pays suivants : Suède, Danemark, Royaume-Uni, Pays-Bas, France, Italie, Hongrie, Russie.
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