ENCORE récemment nous parvenait l'écho de l'instabilité politique et de l'agitation sociale qui depuis des décennies accablent ce territoire considéré comme le plus pauvre des Amériques. Haïti, à propos duquel le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme écrivait en février 2004 qu'il était « confronté à la pire épidémie de sida en dehors de l'Afrique. L'année dernière, 30 000 Haïtiens en sont morts. C'est deux fois le nombre de ceux qui ont succombé à la maladie aux Etats-Unis. On estime que 250 000 personnes vivent avec le VIH/sida, dont la moitié sont des femmes ».
Pourtant, c'est là que commence l'histoire racontée en ouverture du rapport 2004 sur la santé dans le monde publié par l'OMS. Emacié, souffrant d'une fièvre et d'une gastro-entérite, Joseph Jeune, agriculteur de 26 ans, est admis au centre médical de Lascahobas en mars 2003. Depuis huit mois que dure sa maladie, sa famille n'a plus aucun espoir et a déjà acheté son cercueil. Heureusement, après deux mois d'hospitalisation, un traitement antituberculeux et antirétroviral, il va mieux. Avec 18 kg supplémentaires sur la balance, « personne ne croirait que je suis malade si je ne le dis pas », s'étonne-t-il presque, lorsqu'on le croise dans son champ ou dans son autre métier d'appoint, cireur de chaussures au marché local. Et il parle de miracle.
En effet, les traitements antirétroviraux n'ont commencé à être utilisés en Haïti qu'en 1998, à l'hôpital du village de Cange (soit une zone de 55 000 habitants). L'accès s'est ensuite étendu aux 260 000 personnes résidant dans l'ensemble du bas plateau central haïtien, grâce à un projet financé par le Fonds mondial et des partenaires basés à Boston (Etats-Unis). Le centre médical de Lascahobas en a bénéficié et a pu commencer à fonctionner à la fin août 2002, avec 15 lits réservés aux cas aigus et un réseau d'agents de santé communautaires qui se rendent tous les matins et tous les soirs au domicile des patients pour surveiller les prises de médicaments pendant toute la durée des traitements. « Malgré les troubles politiques, les patients continuent d'être soignés dans le cadre de ce projet destiné à renforcer l'infrastructure sanitaire locale », affirme le rapport.
Un projet emblématique.
Le projet est emblématique de l'action que tente de coordonner l'Organisation mondiale de la santé. L'accent est plus que jamais mis sur l'adoption d'une stratégie complète associant la prévention contre le VIH/sida, le traitement, les soins et le soutien à long terme. Sont également intégrés le dépistage et le traitement des cas de tuberculose ou d'infections sexuellement transmissibles, de même que les prestations de santé à l'intention des femmes. Comme ce fut le cas pour le centre de Lascahobas, les bénéfices attendus outrepassent le simple cadre de la lutte contre le VIH/sida. Ils concernent l'amélioration de l'infrastructure sanitaire, l'arrivée de personnel médical formé, l'afflux de médicaments essentiels, une meilleure organisation des soins de santé primaires, comme la vaccination, la planification familiale, les soins prénatals et, plus largement, la promotion de la santé.
Ce n'est qu'en septembre 2003 que l'OMS, le Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida (Onusida) et le Fonds mondial ont adopté une déclaration selon laquelle le « non-accès aux antirétroviraux créait une situation d'urgence mondiale. » Jusqu'ici, le traitement a été « l'élément le plus négligé dans la plupart des pays en développement alors que, de toutes les interventions possibles en rapport avec le VIH, c'est celle qui peut le plus efficacement renforcer les systèmes de santé permettant aux pays pauvres de protéger leur population contre toute une série de menaces pour la santé », affirme aujourd'hui le rapport. La lutte contre l'épidémie « met en jeu toute une palette d'activités économiques, sociales et techniques », y affirme le directeur général de l'OMS, le Dr Lee Jong-wook, et nécessite un changement de « nos habitudes de travail ». Les mécanismes novateurs de collaboration entre les gouvernements nationaux, les organisations internationales, le secteur privé, les groupes de la sociétés civiles et les communautés locales ouvrent la voie à un type inédit de partenariat, dont le succès devrait permettre d'accélérer l'action mondiale dans d'autres domaines de la santé.
Schémas thérapeutiques simplifiés.
Les investissements internationaux qui commencent à affluer rendent possible l'objectif des 3 millions de personnes traitées d'ici à 2005. Les initiatives ont déjà été prises pour soutenir sa mise en œuvre : schémas thérapeutiques simplifiés, encadrement des équipes, guide rationnel pour la formation des agents de santé, résolution sur le terrain des problèmes rencontrés, création, grâce à une collaboration entre l'OMS, l'Unicef et la Banque mondiale, d'un service des médicaments et produits diagnostiques pour aider les pays à acheter, planifier et gérer l'achat et la distribution des produits nécessaires au traitement et à la surveillance du VIH/sida.
Le rapport estime donc qu'il s'agit là « d'une étape cruciale de l'histoire du VIH/sida », et qu'une « occasion unique » nous est donnée « d'en modifier l'évolution en faisant bénéficier plusieurs autres millions de personnes d'un traitement à vie, tout en édifiant et en entretenant les infrastructures sanitaires. » Les bénéfices qui devront être maintenus bien au-delà de 2005, et bien au-delà du sida lui-même. « Nous ne pouvons pas nous permettre de la laisser échapper », conclut le Dr Lee Jong-wook.
Les chiffres de l'épidémie
• On estime aujourd'hui que 34 à 46 millions de personnes vivent avec le VIH/sida, dont les deux tiers en Afrique (un adulte sur douze) et un cinquième en Asie.
• Plus de 20 millions de personnes sont décédées du VIH/sida.
• Près de 6 millions de personnes devraient être soignées dès à présent : seulement 400 000 l'étaient en 2003.
• Le coût de l'initiative « 3 millions d'ici 2005 » est estimé pour 2004-2005 à 5,5 milliards de dollars US, dont 41,7 % pour les traitements antirétroviraux.
• Plus de 30 vaccins candidats sont en cours d'expérimentation, mais il faudra encore plusieurs années avant la mise au point d'un vaccin sans danger et efficace.
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