L A légende de la photographie publiée dans le « New England Journal of Medicine » indique que Tricholoma equestre, de couleur jaune, a un chapeau qui mesure entre 6 et 8 cm de diamètre et un pied de 7 à 10 cm de haut et de 1,5 cm de diamètre.
Ce champignon, également connu sous le nom de T. flavovirens, est familièrement appelé « bidaou » ou « canari » en France, « riddarmusseron » en Suède, « shimokoshi » au Japon et « man on horseback » ou « yellow-knight fungus » aux Etats-Unis.
Les champignons impliqués dans les douze cas décrits ont été ramassés sous des pins sur la côte sablonneuse du Sud-Ouest français, entre la fin de l'automne et le milieu de l'hiver.
Sept femmes (de 22 à 60 ans) et cinq hommes (de 24 à 61 ans) ont été hospitalisés entre 1992 et 2000 pour une rhabdomyolyse sévère environ une semaine après avoir mangé des champignons sauvages. Tous avaient mangé au moins trois fois de suite des champignons incluant T. equestre ; aucun n'avait d'histoire de traumatisme, d'autres causes sous-jacentes connues, ou ne prenait de médicament qui aurait pu expliquer la rhabdomyolyse.
De 24 à 72 heures après la dernière ingestion
Tous décrivaient une fatigue et une faiblesse musculaire avec myalgies, principalement en haut des jambes, de 24 à 72 heures après le dernier repas contenant T. equestre. La faiblesse musculaire s'est aggravée en trois ou quatre jours et les urines sont devenues noir foncé. Les patients avaient en plus un érythème facial, de légères nausées ; huit d'entre eux avaient des sueurs profuses, cinq une hyperpnée. L'examen était sans particularité.
D'emblée, le bilan a montré une rhabdomyolyse, avec des CPK moyennes à 226 067 U/l chez les femmes et à 34 786 chez les hommes. Aucune atteinte hépatique n'était évidente. Malgré l'intensité de la rhabdomyolyse, aucune insuffisance rénale n'était notée. La coagulation était normale. La recherche de parasites, d'autres micro-organismes et de maladie systémique a été négative.
Etant l'absence d'intoxication délibérée, les analyses ont été focalisées sur l'hypothèse d'une rhabdomyolyse provoquée par des champignons. Un EMG, pratiqué chez 4 patients, a montré des lésions musculaires sans atteinte des nerfs périphériques.
Une biopsie musculaire, réalisée chez 6 patients, a montré une atteinte musculaire directe. Chez les trois patients décédés, des prélèvements réalisés en divers sites ont montré une myopathie aiguë.
Dans les quinze jours qui ont suivi, chez tous les patients - sauf les trois qui sont décédés -, les taux enzymatiques se sont progressivement normalisés. Chez les patients décédés, le premier signe de détérioration a été une dyspnée, suivie de l'apparition de râles dans les deux poumons. Tous les trois avaient une hyperthermie (42 °C), des signes de myocardite aiguë, avec arythmie, collapsus, élargissement des QRS sans acidose sévère (pH : 7,37 ; bicarbonates entre 16 et 20 mmol/l), une insuffisance rénale avec hyperkaliémie et hypocalcémie. Malgré les soins intensifs, y compris une hémofiltration pour un patient, les trois sont morts. L'autopsie a montré des lésions myocardiques identiques aux lésions musculaires chez un patient, des lésions rénales chez un autre et l'absence de lésions hépatiques.
Des expérimentations chez la souris
Les auteurs ont pratiqué une série d'expérimentations chez la souris (modèle de myonécrose), qui ont confirmé que T. equestre peut effectivement provoquer une rhabdomyolyse (des extraits de T. equestre ont été préparés et administrés par gavage à une dose équivalente à celle ingérée par les patients).
Les auteurs indiquent que divers métabolites ont été isolés à partir de diverses espèces de Tricholoma (triterpenoïdes, stérols, indols, composés acétyléniques) mais que leur toxicité musculaire est inconnue. Le pigment jaune de T. equestre, le 7,7' bi-physcion, a été identifié. Toutefois, étant donné que ce pigment est peu soluble dans l'eau, les auteurs pensent qu'il est improbable qu'il soit le composant toxique.
« La rhabdomyolyse est une affection rare mais potentiellement fatale », rappellent les auteurs. « La compression musculaire est la cause la plus fréquente mais ni une ischémie musculaire ni un état d'inconscience n'ont été notés avant le début de symptômes chez nos patients. » On a écarté une intoxication volontaire avec des substances comme la cocaïne, des amphétamines, l'alcool, la théophylline, les phénothiazines, la p-phénylénediamine, des antihistaminiques et des antilipidiques. De même, la responsabilité de traitements pouvant provoquer une dermatomyosite ou une polymyosite (pénicillamine, phénytoïne, lévodopa, quinidine) a été écartée par des tests. Enfin, un screening immunologique et des biopsies musculaires n'ont pas montré d'autres troubles systémiques ou de maladie de McArdle.
Un certain seuil
« Bien que l'intoxication par les champignons ne soit pas connue pour provoquer une rhabdomyolyse, cette série associe clairement la rhabdomyolyse avec l'ingestion de T. equestre. »
Etant donné que 75 % des patients ayant de fortes concentrations de CPK ont survécu, on peut envisager une susceptibilité génétique qui serait démasquée par le composé toxique de T. equestre quand la quantité de champignons ingérée dépasse un certain seuil. « Les médecins devraient avoir à l'esprit la possibilité d'une sévère rhabdomyolyse après ingestion répétée de T. equestre», soulignent les auteurs
« New England Journal of Medicine » du 13 septembre 2001, pp. 798-802. Regis Bedry, Isabelle Baudrimont, Gérard Deffieux, Edmond Creppy, Jean Pomies, Jean Ragnaud, Michel Dupon, Didier Neau, Claude Gabinski, Sten De Witte, Jean Chapalain et Pierre Godeau, avec Jacques Beylot.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature