COMMENT M. BAYROU est passé de 6 % en janvier à 24 % au début de mars est un mystère dont on laissera l'élucidation aux politologues qui n'ont rien vu venir. Le chef de l'UDF mord, de toute évidence, dans les deux camps. On constate, à l'égard de Ségolène Royal, une désaffection qui est d'autant moins compréhensible que le début de sa campagne a été médiocre et que, en février, elle a plutôt amélioré son score. Quant à M. Sarkozy, il a certainement rassemblé un groupe d'électeurs qui n'auraient voté pour lui qu'à contrecoeur, sans doute parce qu'ils s'inquiétaient de son autoritarisme apparent, et qui ont été ravis, par la suite, de lui trouver une alternative crédible.
Le projet d'une France gouvernée par une coalition droite-gauche est certes illusoire, mais il séduit l'électorat las des affrontements intérieurs : il n'existe pas de conflit qui ne pourrait être résolu par un dialogue social encore à inventer. François Bayrou saurait très bien, en tant que gouvernant, se mettre à la place des syndicats et adhérer, au moins partiellement, à leur point de vue. Ce n'est pas lui qui éprouverait des difficultés à instaurer en France une sorte de trêve civile.
Un non-violent.
Beaucoup de Français l'attendent d'ailleurs sur ce point ; alors que M. Sarkozy évite les cités, M. Bayrou, quand il s'y rend, y est accueilli par des youyous. Il est certainement perçu comme un sage capable d'apaiser les conflits par ceux-là même que la violence tenterait. De ce point de vue, il a sûrement un avantage sur M. Sarkozy qui, à ce jour (et il en reste moins de quarante), n'a pas su nuancer son image autoritaire.
FRANCOIS BAYROU DOIT DIRE AVEC QUELLE MAJORITE IL GOUVERNERAITL'avantage qu'il a sur Mme Royal, qui, elle aussi, a un discours oecuménique et apaisant, est d'un autre ordre : le leader centriste, qui prétend gouverner avec des socialistes, a un programme socio-économique de droite qui rassure le monde des affaires, les cadres, les petites entreprises. Mme Royal souffre de ce que, si elle représente un immense changement, ne serait-ce que parce qu'elle est une belle femme au pays des quinquas enveloppés et parce qu'elle tient un discours qui n'emprunte rien à la dialectique historique, elle est tirée vers le retour aux sources par son entourage, Lang, Fabius, Hollande, et même Strauss-Kahn, qui est un socialiste authentique.
C'est un des aspects de cette campagne qui ont sans doute fait la popularité de M. Bayrou : le discrédit qui s'attache à la droite – en partie à cause de la politique velléitaire de Jacques Chirac – ne s'est nullement traduit par une adhésion massive à la gauche. Simone Veil affirme que l'alternance est naturelle, qu'il ne faut donc pas la craindre, mais le pays n'en veut plus. Il est hostile à une droite qu'il assimile au big business, aux délocalisations, aux licenciements massifs ; il ne croit pas aux recettes de la gauche, qui n'est éloignée du pouvoir que depuis cinq ans et a une part importante de responsabilité dans l'état actuel de la France.
A l'émerveillement qu'inspiraient naguère le sourire et la grâce de Ségolène aurait donc succédé une évaluation sévère de ce que les socialistes pourraient faire au pouvoir. Nous pensons, quant à nous, que Mme Royal aurait dû garder ses distances à l'égard du PS (et même de M. Hollande) et qu'elle aurait dû faire une campagne sur le thème du pragmatisme : j'appliquerai toutes les mesures susceptibles de créer des emplois et d'augmenter le pouvoir d'achat ; et je me situerai à l'écart de toute idéologie. Elle n'a pas fait ce choix et il lui en aura coûté.
Les scléroses dues à la bipolarisation.
Quant à M. Sarkozy, il ne lui reste plus beaucoup de temps pour prouver ce qu'il dit à peu près tous les jours, à savoir qu'il a changé : il doit rassembler davantage au lieu de prononcer des discours d'où les immigrés naturalisés et les Français issus de l'immigration se sentent exclus. On dira, avec raison, que c'est trop tard et que, s'il veut gagner, il doit continuer à cultiver l'électorat de l'extrême droite, ce qu'il fait bien (mais non sans courir de risques). Il y a peu de chances en effet qu'il rallie à lui les habitants des cités.
Mme Royal et M. Sarkozy ont décidé de lutter contre M. Bayrou en critiquant son programme et surtout en lui niant toute capacité à trouver une majorité parlementaire. C'est effectivement le point faible dans la démonstration de M. Bayrou : sa victoire pourrait constituer le début d'une aventure nationale si les Français ne lui donnaient pas, avec les législatives, une majorité parlementaire. M. Bayrou peut avoir la coopération des hommes, ceux notamment qui ont déjà exprimé leur lassitude devant les scléroses politiques causées par la bipolarisation. Mais c'est une chose de former un gouvernement avec des ministres compétents, c'en est une autre de faire travailler ensemble deux camps qui n'ont pas montré, depuis soixante ans, la moindre diposition à la conciliation.
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