FRANCHISES, cinquième branche de la Sécu, autonomie accrue des hôpitaux publics… : au temps de sa campagne électorale, le nouveau président de la République n'a pas fait mystère de ses projets pour la santé. Leur mise en oeuvre appartient désormais à son gouvernement, dont la configuration implique que les engagements présidentiels soient dispatchés entre différents ministères : Santé (à laquelle s'adjoignent Jeunesse et Sports), bien sûr, mais aussi Budget (Comptes publics et Fonction publique) et Travail (Relations sociales et Solidarité). Et il n'est pas question pour Roselyne Bachelot, Eric Woerth ou Xavier Bertrand d'oublier le moindre item du projet politique de Nicolas Sarkozy. A peine son gouvernement était-il constitué que le Premier ministre, François Fillon, déclarait : tous les ministres devront le «mettre en oeuvre scrupuleusement». Pas question non plus d'attendre pour se mettre à la tâche. Dès le premier conseil des ministres, Nicolas Sarkozy a insisté : toutes les réformes seront faites «en même temps».
Une fois qu'auront été précisées les attributions des uns et des autres, la grande distribution des chantiers pourra commencer. Voici à quoi elle pourrait ressembler.
Franchises: une épine pour un tandem?
Quel ministre défendra et surtout mettra en oeuvre la fameuse et controversée franchise annuelle sur les dépenses de soins annoncée par Nicolas Sarkozy? A priori, Roselyne Bachelot à la Santé et Eric Woerth, pilote des comptes de la Sécu à Bercy, devraient travailler conjointement sur ce dossier ultrasensible, dont les répercussions portent aussi bien sur l'accès aux soins que sur les finances de l'assurance-maladie. Un dossier à l'origine du premier « couac » dans l'équipe Fillon : sur France Inter, Martin Hirsch, haut-commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté, a estimé que ce dispositif de franchises n' «était pas une bonne mesure»,et qu'il ne l'approuverait pas. Durant sa campagne, Nicolas Sarkozy a évoqué un système de quatre franchises non remboursées sur les «premiers euros» dépensés en matière de médicaments, de consultations, d'examens biologiques et de frais hospitaliers. Cette franchise doit remplacer les forfaits actuels de 1 euro par acte et de 18 euros sur les actes lourds, mais pas le forfait hospitalier.
Contestée par une partie du corps médical, techniquement délicate à instaurer, cette réforme pourrait faire l'objet d'une concertation dès cet été avec les partenaires sociaux. L'équation est complexe : le montant de la franchise devra être suffisamment élevé (à deux chiffres) pour être efficace financièrement, mais pas trop lourd non plus, faute de quoi elle freinera l'accès aux soins primaires. Reste également à identifier les personnes exonérées. Cette mesure pourrait être inscrite dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (Plfss) pour 2008, un texte sans doute piloté par trois ministres : Roselyne Bachelot, Eric Woerth, mais aussi Xavier Bertrand (retraite, famille).
L'hôpital: Bachelot aux manettes, mais des séismes indirects.
Pour l'essentiel, c'est Roselyne Bachelot qui devrait prendre les manettes de l'hôpital public. Le chef de l'Etat n'a pas promis de grand soir à l'institution ; observées de près, ses idées sont presque toutes dans la continuité des plans voulus par son prédécesseur dans le cadre des plans Hôpital 2007, puis Hôpital 2012. Avenue de Ségur, il va donc falloir s'atteler à la convergence tarifaire entre les secteurs public et privé (le processus est pour l'instant gelé, il doit aboutir en 2012), à la définition d'une autonomie accrue des hôpitaux dans la veine de la nouvelle gouvernance initiée par Jean-François Mattei (sont à l'étude un conseil de surveillance et un directoire distincts).
La restructuration, en cours via les derniers Sros (schémas régionaux d'organisation sanitaire), est également d'actualité, Nicolas Sarkozy ayant promis de revoir la carte hospitalière, tout comme l'organisation d'un grand débat sur les missions de l'hôpital public. Avec Rachida Dati, ministre de la Justice, Roselyne Bachelot va devoir plancher sur le concept d'« hôpital-prison » prôné par le président de la République, pour les détenus présentant des troubles psychiatriques.
Mais, paradoxalement, les décisions qui affecteront le plus l'hôpital au cours des prochaines années pourraient ne pas émaner du ministère de la Santé. Trois séismes indirects sont attendus. La diète de la fonction publique, à laquelle présidera Eric Woerth depuis Bercy, est le premier : le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite concerne aussi les agents de l'hôpital. Le second est celui des 35 heures et de l'exonération des charges sur les heures supplémentaires, sans doute copiloté par Xavier Bertrand et Eric Woerth (la réforme doit être votée dès juillet). Enfin, la création du contrat de travail unique, confiée à Xavier Bertrand, représentera une petite révolution à l'hôpital où règne la jungle des statuts et des contrats.
Tarifs: l'Uncam sous tutelle.
Sur le papier, en vertu de la réforme de 2004, c'est le directeur général de l'assurance-maladie, Frédéric van Roekeghem, qui négocie seul avec les syndicats médicaux les conventions et leurs avenants, donc les revalorisations d'honoraires des médecins généralistes et spécialistes. En réalité, à l'heure des grands arbitrages financiers (l'augmentation du C, par exemple), le ministre de la Santé et même Matignon ne sont jamais absents, et la ligne directe avec la Cnam fonctionne en continu. Or, lors de sa campagne, Nicolas Sarkozy n'a pas hésité à prendre deux engagements remarqués sur les tarifs, qui ressemblent déjà à une feuille de route : l'alignement «au plus vite» du tarif du C sur celui du CS ; l'ouverture d' «espaces de liberté tarifaire» pour les médecins qui s'engagent dans l'évaluation et la FMC.
Nul doute que, le moment venu, les syndicats médicaux ne manqueront pas de rappeler ces promesses aux ministres concernés. Sur l'évolution des tarifs (dont la date précise du passage du C à 23 euros), tout dépendra des marges de manoeuvre, autrement dit, du budget qui sera réservé aux soins de ville pour 2008, dans le cadre du budget de la Sécurité sociale examiné à l'automne. Eric Woerth, autoproclamé «ministre des économies», qui sera l'oeil de Bercy sur l'assurance-maladie, risque d'avoir ici beaucoup de poids.
Et sans doute le dernier mot en lien direct avec l'Elysée. Quant à l'espace de liberté promis, le premier test interviendra avant la fin du mois de juin, avec la reprise des négociations (caisses, médecins, complémentaires santé) sur le secteur optionnel, un dossier à la fois très technique et très politique qui sera suivi de près par le gouvernement.
Les ANS et ARS en attente de calendrier et de pilote.
L'instauration d'un pilotage unique pour l'ensemble du champ sanitaire et social (médecine libérale, médecine hospitalière, secteur médico-social) figurait au programme de Nicolas Sarkozy. Le nouveau chef de l'Etat s'est engagé à créer des agences régionales de santé (ARS), ainsi qu'une Agence nationale de santé (ANS) indépendante. Les modalités, le calendrier : tout reste à définir. Si la décision politique est prise dès le début de la mandature, le chantier pourrait être ouvert rapidement. Dès cet été, disent certains. Mais le montage de ces agences s'annonce compliqué. Sans compter que des résistances devront être dépassées : les expérimentations d'ARS menées dans deux régions sont au point mort. La création des ARS pose aussi la question du champ de compétences du ministère de la Santé. «Si le ministère de la Santé se retrouve sans la direction de la Sécurité sociale, sans le centre national de gestion (un organisme fraîchement créé pour gérer la carrière des personnels hospitaliers, leur nomination et leur affectation) , et sans l'Agence nationale de santé, alors ce sera un ministère de pilotage au pouvoir limité», note un observateur.
Expérimentation de la TVA sociale.
Evoquée au début de 2006 par l'ex-président Chirac, la réforme du financement de la protection sociale avait finalement tourné court à la fin du dernier quinquennat. Nicolas Sarkozy a annoncé pour sa part une expérimentation de la TVA sociale, assise sur la consommation des ménages, dès 2008 dans certains secteurs d'activité. Inspirée par le modèle allemand, cette expérimentation vise moins à accroître les recettes de la Sécurité sociale qu'à favoriser la croissance économique. En effet, ces points supplémentaires de TVA, dite sociale, se substitueraient en partie aux cotisations patronales et permettraient par conséquent d'alléger les charges des entreprises pour favoriser l'emploi. En outre, comme toute taxe à la valeur ajoutée, la TVA sociale s'appliquerait notamment aux produits d'importation, c'est pourquoi le nouveau chef de l'Etat y voit aussi un «moyen de lutter contre les délocalisations». Le lancement de l'expérimentation de la TVA sociale devrait être intégré au budget de l'Etat pour 2008, préparé cet été par les ministres Eric Woerth et Jean-Louis Borloo et présenté à l'automne.
Une nouvelle branche pour la dépendance.
C'est à Xavier Bertrand, ministre du Travail, des Relations sociales et des Solidarités, de créer une cinquième branche de la Sécurité sociale, pour prendre en charge la dépendance (à côté des branches maladie, accidents du travail/maladies professionnelles, vieillesse et famille).
Dans son programme présidentiel, Nicolas Sarkozy précisait que cette cinquième branche permettrait de «consacrer suffisamment de moyens à la perte d'autonomie et (de) garantir à tous les Français qu'ils pourront rester à domicile s'ils le souhaitent». La branche « dépendance » serait cogérée par la Sécurité sociale et les conseils généraux. La TVA sociale pourrait contribuer à son financement.
Dépenses maladie : été meurtrier ?
C'est peut-être un des dossiers les plus chauds du nouveau gouvernement : en cas de dérapage important des dépenses maladie pour l'exercice en cours, très probable, sanctionné par une intervention du comité d'alerte dans les prochains jours, il faudra prendre des mesures de redressement dès cet été (gel ou baisses de tarifs, déremboursements...). Dans cette configuration où prime l'aspect strictement financier, c'est Eric Woerth, ministre du Budget et des Comptes publics, qui devrait logiquement être en première ligne, même si ce sont les caisses d'assurance-maladie qui proposent le « paquet »d'économies à mettre en oeuvre.
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