ON SE SOUVIENT de l’émotion et de l’inquiétude suscitées par l’accident de Tchernobyl il y a vingt ans, par l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo en 1995 et, plus récemment, par l’envoi de lettres contenant des spores du bacille du charbon après la destruction des tours jumelles new-yorkaises. Mais l’utilisation d’agents dangereux à des fins terroristes n’est pas récente. Elle date de plusieurs siècles. En effet, comme le rapportent les auteurs d’un ouvrage sur le bioterrorisme (1), «les premiers actes de bioterrorisme perpétrés à grande échelle l’ont été par les Tartares en 1346 lors du siège des Génois à Caffa, en Crimée». Les belligérants s’étaient alors servis de cadavres de soldats morts de la peste avec des conséquences effroyables puisque leurs actes avaient été à l’origine d’une pandémie responsable du décès de 20 à 30 millions de sujets en Europe. Depuis cette époque, évidemment, les moyens de fabrication et de diffusion des substances toxiques, infectieuses ou non, sont devenus beaucoup plus sophistiqués. Et les réponses aux menaces aussi.
Nucléaire et radiologique
Les accidents nucléaires et radiologiques ont en commun l’exposition des victimes à des rayonnements qui entraînent des altérations de l’ADN cellulaire. Selon les réponses des cellules à l’agression, les effets de cette exposition peuvent être précoces (effets déterministes) ou tardifs (effets aléatoires). Contrairement aux premiers, les effets aléatoires ne sont pas liés à l’existence d’un seuil et leur probabilité augmente avec la dose reçue (2). Pour mémoire, selon des estimations faites en 2000 par l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (Ipsn) et l’Institut de veille sanitaire (Invs), en France, le nombre de cas supplémentaires de cancers de la thyroïde liés aux retombées de Tchernobyl varierait entre 7 et 55 pour la période 1991-2015. En cas d’alerte nucléaire ou radiologique, les mesures préventives et curatives à mettre en oeuvre sont définies dans le plan Piratome. A noter, d’une part, que ce risque peut être très rapidement identifié grâce à des détecteurs spécifiques et, d’autre part, que « la décontamination ne prime pas sur le traitement urgent » (3).
Biologique
De très nombreux agents microbiologiques ou toxiniques pourraient être utilisés comme arme biologique. Cependant, compte tenu des multiples conditions à remplir pour que ces agents soient efficaces dans le cadre d’une utilisation malveillante, sur un nombre estimé d’environ 180, seuls quelques-uns constituent un réel danger (1). Les mesures environnementales et les recommandations thérapeutiques élaborées dans le cadre du plan d’intervention Biotox concernent d’ailleurs, pour l’essentiel, la peste, le charbon, la brucellose, certaines fièvres hémorragiques virales notamment la dengue et l’infection à virus Ebola, la fièvre Q, la tularémie, la morve, la mélioïdose, le botulisme et la variole (4). Pour ces quatre dernières affections, il n’existe pas de traitement de première intention, ni d’alternatives en prophylaxie postexposition, mais uniquement des traitements curatifs. Si l’on prend l’exemple du virus de la variole, qui a fait couler beaucoup d’encre, l’Invs a comparé plusieurs moyens de parer à toute tentative d’attentat. «Dans l’hypothèse de la survenue de cas de variole, la vaccination des sujets contacts d’un cas constitue la plus efficace et la plus efficiente des différentes stratégies envisagées», notent les auteurs de ce travail (5). Parmi les agents dangereux pris en compte par l’Invs dans ses guides d’investigation épidémiologique figurent également des toxines, comme l’entérotoxine B staphylococcique, la saxitoxine (produite par des microalgues), la ricine (graine de ricin) et la toxine diphtérique.
Chimique
De nombreux toxiques industriels et agressifs de guerre ont déjà été utilisés comme arme ou à des fins terroristes, comme l’ypérite (gaz moutarde) au cours de la Première Guerre mondiale, les défoliants pendant la guerre du Vietnam, le cyanure et le tabun pendant la guerre Irak-Iran, le sarin par la secte Aoun au Japon… (2). Selon les dégâts qu’ils entraînent, ces agents chimiques sont classés, schématiquement, en vésicants, asphyxiants et anoxiants, et innervants. Leurs effets apparaissent souvent très rapidement, de l’ordre de quelques secondes après inhalation de gaz neurotoxiques comme le sarin à quelques minutes pour les asphyxiants et dans l’heure pour le contact avec des neurotoxiques liquides. Deux des particularités des attentats chimiques sont le grand nombre de victimes potentielles et, avec certains produits, le risque important de contamination. Comme pour les autres menaces, le risque chimique a son plan gouvernemental, Piratox, qui comporte, entre autres, des fiches thérapeutiques pour huit types de toxiques parmi lesquels les ypérites, la Lewisite, les neurotoxiques organophosphorés… (6). Actuellement, le risque Nrbc est donc pris très au sérieux, comme en témoignent la mobilisation des pouvoirs publics et l’implication des acteurs concernés, professionnels de santé, pompiers, armée… Si aucun événement n’a, pour l’instant, nécessité l’application des plans d’intervention, des exercices locaux, nationaux et européens sont réalisés régulièrement pour tester leur efficacité. Rappelons que, lors de l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (Sras), c’est le plan Biotox qui a été mis en oeuvre, avec succès.
(1) François Bricaire, Philippe Bossi. Bioterrorisme, éditions scientifiques et médicales Elsevier SA, collection « Médecine des risques », 2003.
(2) Dossier : « Lutte contre le terrorisme nucléaire, radiologique, biologique et chimique : aspects sanitaires », www.sante.gouv.fr.
(3) Guide d’aide à l’élaboration des plans blancs élargis et des plans blancs des établissements de santé, édition 2006, ministère de la Santé. (4) Affsaps : http://agmed.sante.gouv.fr/htm/ 10/biotox/fichreca.pdf.
(5) Utilisation du virus de la variole comme arme biologique. Estimation de l’impact épidémiologique et place de la vaccination. InVS, octobre 2001.
(6) http://agmed.sante.gouv.fr/htm/10/piratox /bioter.htm.
En ville aussi
Les généralistes peuvent être impliqués dans des scénarios d’attentats insidieux. Par exemple, en cas d’utilisation d’une bombe sale de type source radioactive qui n’exploserait pas, mais serait une source de contamination potentielle de la population, ou encore d’infections dues à des agents bactériologiques qui ne seraient pas dépistés immédiatement et dont les premiers cas se présenteraient avec une symptomatologie «floue». Dans ces situations, les patients peuvent soit aller dans des services d’urgence, soit consulter leur médecin généraliste. Or, souligne le Dr Gérald Kierzek (urgences-Smur, Hôtel-Dieu, Paris), «à ma connaissance, il n’existe pas en médecine générale de système de veille sanitaire comme celui organisé par les services d’urgences». Devant des symptômes inhabituels, inconnus, polymorphes, les généralistes et les autres praticiens libéraux doivent faire remonter l’information aux médecins inspecteurs de santé publique et utiliser le système d’information électronique destiné aux professionnels de santé, DGS-urgent*, qui permet d’informer directement et rapidement sur les alertes sanitaires.
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