La presse écrite a abondamment relaté « l'initiative de paix » prise par des Israéliens et des Palestiniens. Ils ont établi les bases d'un plan de solution négociée qui risque bien de rester lettre morte dans la mesure où ses auteurs n'ont aucune responsabilité politique.
Mais le retentissement mondial du plan a été immense. Il a été accueilli par le silence glacial de Yasser Arafat et par l'hostilité indignée du gouvernement israélien ; un élu a même suggéré de poursuivre les « négociateurs » israéliens pour « trahison ».
Des dizaines de milliers de signatures
Qui sont les rédacteurs du texte ? Du côté israélien, il faut mentionner Yossi Beilin, ancien négociateur d'Oslo et ancien ministre travailliste, ainsi qu'Ami Ayalon, ancien chef de la sécurité intérieure d'Israël. Du côté palestinien, Yasser Abed Rabbo, qui était lui aussi à Oslo, et Sari Nusseibeh, un universitaire connu pour son hostilité à la violence.
Le document a été distribué et a recueilli environ cent cinquante mille signatures, israéliennes dans leur majorité. Mais quelques dizaines de milliers de Palestiniens ont également signé, et leur nombre peut encore augmenter. Le plan prévoit la création d'un Etat palestinien selon une ligne de partage qui épouse la ligne dite verte, sauf au nord où elle entame la Cisjordanie pour inclure les plus grosses colonies juives. En échange de ce territoire, Israël donnerait à la Palestine des zones dont l'une longerait la bande de Gaza et l'autre serait située au nord du Néguev. Un corridor relierait Gaza à la rive occidentale du Jourdain. Jérusalem serait partagée entre Juifs et Arabes, mais les colonies contiguës à Jérusalem, comme Maalé Adoumim, resteraient aux mains des Israéliens.
Bien entendu, les forces israéliennes évacueraient le nouvel Etat, même si des points de sécurité sont mentionnés par le texte. Un calendrier de trente mois est prévu pour l'application de l'accord.
Le texte se réfère aux résolutions des Nations unies, aux accords d'Oslo, à ceux de Camp David et aux négociations de Taba, ainsi qu'à la « feuille de route » dans laquelle les Etats-Unis croyaient avoir trouvé LA solution. Bien que MM. Beilin et Abed Rabbo aient pris soin de se référer à tous les précédents diplomatiques, avec la bénédiction de la Suisse qui a accueilli et encouragé leurs travaux, on ne peut pas dire que, en dehors de la presse, ils aient soulevé un délirant enthousiasme dans le camp des décideurs politiques.
Ariel Sharon et son gouvernement ne veulent pas dire d'emblée aux colons ultras qu'ils seront bientôt rapatriés ; et Yasser Arafat n'a même pas permis, à ce jour, à Ahmed Qorei de constituer son gouvernement. La politique de force a la peau dure.
Il est pourtant impératif que l'initiative de paix, conçue par des hommes rompus à la négociation (et qui, d'ailleurs, se connaissent fort bien) soit soutenue non seulement par les deux peuples ruinés et épuisés mais par les dirigeants du monde entier.
Un texte qui ne laisse rien au hasard
Aux atermoiements d'Ariel Sharon, qui a laissé périr la feuille de route, et de Yasser Arafat, qui a lâché Abou Mazen, le prédécesseur de Qorei, doit succéder une politique visionnaire. De plus, le texte rédigé par Beilin et Abed Rabbo est un exemple de minutie ; il ne laisse rien au hasard et il est accompagné de cartes précises, au millimètre près. On ne voit pas pourquoi l'Europe et les Etats-Unis ne reprendraient pas à leur compte l'initiative de paix et n'en feraient pas l'axe de leur action diplomatique. Dans ce texte, en effet, de grandes concessions sont faites par les deux camps. Elles sont comparables à celles qu'Israéliens et Palestiniens avaient faites à Camp David. Mais depuis l'échec de 2000, deux événements se sont produits : Yasser Arafat a choisi la violence et les travaillistes israéliens ont perdu les élections au profit du Likoud, dont les idées sont diamétralement opposées à celles d'Ytzhak Rabin, assassiné pour avoir tenté de faire la paix.
M. Sharon continue de croire, sauf lorsque les Etats-Unis exercent des pressions sur lui, qu'il peut émerger du chaos en laissant se décomposer la société palestinienne. M. Arafat se contente de se maintenir à la tête de l'Autorité palestinienne, ce qui signifie qu'il ne lèvera pas le petit doigt contre les organisations extrémistes, comme le Hamas et le Djihad.
Cependant, l'existence de l'initiative de paix embarrasse les deux hommes. Les Israéliens sont assez informés pour savoir que la politique intransigeante de Sharon à l'égard des Palestiniens n'a pas réduit la violence, augmente la responsabilité d'Israël dans les souffrances des Palestiniens, et se paie chaque jour par des morts violentes et des mutilations.
Fanatisés par la répression israélienne (et aussi par une propagande éhontée), les Palestiniens seront sans doute beaucoup moins ouverts à un discours de paix. On ne peut pas croire, pourtant, qu'ils ne voient pas où le terrorisme les a conduits et que M. Arafat, qu'ils continuent à considérer comme le symbole de la résistance palestinienne, préfère l'impasse politique aux risques qu'implique pour sa personne un accord de paix.
Il suffit d'une bombe
Bien entendu, le prochain attentat contre un bus ou un restaurant réduira en cendres l'initiative de Beilin et Abed Rabbo. On doit même savoir que si, par miracle, les dirigeants israéliens et palestiniens sont saisis par la grâce pacifique, les fanatiques feront tout pour torpiller un plan de partage. N'importe quel effort en direction de la paix nécessite un très grand calme face aux provocations.
Les auteurs du plan n'en ont que plus de mérite. Ils refusent de s'abandonner à la haine, celle-là même qui, depuis le début de l'intifada, il y a trois ans, n'a cessé d'alimenter le cycle terrorisme-répression. Il ne faut pas se voiler la face : les Palestiniens sont sans emploi, mal nourris, privés de soins, humiliés, accablés ; les Israéliens ont peur, ils constatent que la guerre les ruine, que le nombre de chômeurs augmente, que le nombre de leurs concitoyens dont les revenus se situent au-dessous du seuil de pauvreté n'a jamais été aussi élevé. En d'autres termes, la force, la violence, la guerre ne préparent aucun avenir, sûrement pas aux Palestiniens, mais pas davantage aux Israéliens.
A l'initiative de paix devrait succéder, si les deux peuples qui s'entretuent le comprenaient enfin, un raz-de-marée populaire en faveur de la paix qui ne tienne aucun compte des pouvoirs politiques en place. Mais il ne faut pas rêver : la méfiance réciproque est le poison qui tue la paix avant qu'elle se soit épanouie.
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