Nous sommes encore nombreux, dans une société où le défi à l'autorité est devenu un passe-temps, à juger que les forces de l'ordre sont une présence rassurante pour quiconque se refuse à bafouer la loi.
C'est pourquoi les compensations accordées aux gendarmes ne nous paraissent nullement excessives. On ne va pas loin avec 1 000 F de plus par mois, et le moindre des gestes, pour un gouvernement qui voyait ses gendarmes tomber comme des mouches sous le feu des assassins, consistait à leur accorder un gilet pare-balles individuel.
Les gendarmes ont néanmoins commis une erreur lorsqu'ils ont exprimé une satisfaction sans réserve à la suite de l'accord conclu avec le ministre de la Défense, Alain Richard. S'ils sont contents, c'est louche. En France, après un conflit social, les salariés sont toujours mécontents, reprennent le travail en bougonnant et préparent déjà leur prochaine grève. Les gendarmes, auxquels on a reproché d'avoir manifesté parce qu'ils n'en ont pas le droit, comme si ce genre d'oukase pouvait être appliqué dans un système où le prof, le flic, le ministre, le médecin, le contremaître, tous ceux qui disposent d'une once d'autorité, sont insultés tous les jours, sont devenus aussitôt suspects d'avoir obtenu plus que d'autres.
Deux questions
Que les policiers, par exemple, qui n'auraient pas obtenu un accord comparable ; que les enseignants aussi qui, malgré les manières et le discours doucereux de Jack Lang, s'impatientent de nouveau. Or le gouvernement de Lionel Jospin aurait offert trois milliards de francs aux gendarmes, après avoir accordé plusieurs milliards à diverses catégories professionnelles qui, comme les gendarmes (on pense aux hospitaliers), en avaient rudement besoin. On est donc amené à se poser deux questions : pourquoi les services publics sont-ils dans un tel état de délabrement après cinq années de croissance ? Et où M. Jospin trouve-t-il les fonds pour apaiser les mouvements de revendication ?
A la première question, la réponse est relativement simple : M. Jospin est arrivé au pouvoir avec l'intention, louable dans l'absolu, de réformer une société aux inégalités visibles ; il a donc lancé une série de réformes que l'on peut approuver, toujours dans l'absolu, mais qui ont un coût : de la semaine de 35 heures à la CMU, il a multiplié des dépenses que la croissance a financées peu ou prou. Il n'a pas réduit le déficit budgétaire (Laurent Fabius nous parle d'un équilibre budgétaire en 2004 : bonne chance), il n'a pas économisé pour le temps des vaches maigres et, malheureusement, la crise est survenue avant les rendez-vous électoraux.
Humanisme et dogmatisme
On a donc procédé à des réformes dictées par l'humanisme, comme la CMU, et d'autres, comme les 35 heures, qui relèvent du pur dogmatisme. Qu'importe que, en dix ans, on serait parvenu, par des accords d'entreprise et sans la moindre coercition, à réduire de quatre heures le temps de travail. Il fallait le faire tout de suite et le gouvernement s'est engagé à financer partiellement cette RTT de 10 %, qui a réduit d'autant notre productivité, a affaibli notre compétitivité à l'étranger et nous a fait perdre quelques places dans le classement des grandes puissances économiques. Nous n'avons pas fini de payer les 35 heures.
D'autant que le gouvernement n'a pas assorti la RTT d'une politique salariale plus stricte. Il risquait d'autant moins de le faire que les salaires français sont plutôt bas par rapport à ceux des autres pays européens. Il a donc envoyé un message aux Français : vous avez le droit de travailler moins, et quand ils ont fini d'absorber ce message, ils ont constaté qu'ils n'étaient pas riches. Et ils ont réclamé des augmentations.
Le déficit de 2001 sera de l'ordre de 200 milliards de francs. Celui de 2002 sera plus élevé parce que le gouvernement continue à s'appuyer sur des prévisions de croissance qui ne ressemblent à rien. La vérité éclate : les pouvoirs publics n'ont pas un sou vaillant, ni en franc ni en euro, pour financer à la fois les 35 heures et l'amélioration indispensable des services publics, enseignement, hôpitaux, recherche, transports en commun, etc. Quand on a lancé les 35 heures, on se moquait bien des gilets pare-balles et quelques policiers et gendarmes en sont morts. Raccourci démagogique assurément, mais qui signifie qu'un gouvernement n'est jamais trop riche.
Un « redéploiement »
Il n'y a pas deux ans, on croyait dur comme fer, dans la majorité, que la croissance française resterait ininterrompue pendant au moins dix ans et qu'en conséquence elle permettrait de financer non seulement la RTT mais les revendications salariales à la fois dans la fonction publique et dans le secteur privé. Il faut bien déchanter aujourd'hui.
A cinq mois des élections, M. Jospin, qui nous parle non pas d'une augmentation des dépenses mais d'un « redéploiement » des moyens de l'Etat (allez savoir ce que ça veut dire, mais moi je sais que je ne peux pas dépenser de l'argent que je n'ai pas gagné), ne fait pas autre chose que ce que faisait la bonne vieille IVe République : il se sert de la planche à billets.
Quand on arrive au pouvoir avec une grande vision réformiste, c'est évidemment agaçant d'avoir à négocier avec des chauffeurs de poids lourds, des médecins généralistes et des infirmières dénués de toute gratitude. Il est vrai que tous ceux-là ne feront pas 35 heures APRES la réforme, mais cinquante ou soixante. Les 35 heures, c'est bon pour les ronds-de-cuir en surnombre dans les ministères, pas pour les policiers ou les médecins qui jouent un rôle vital, qui se défoncent, mais n'ont rien compris à la réforme.
L'enfer est pavé de bonnes intentions. On peut, certes, faire du social, sans se préoccuper de l'économie. Mais elle est tenace et se rappelle quand elle le veut à notre bon souvenir. On a dépensé l'argent du pays au nom d'une belle cause. Les Français n'en sont pas plus heureux et maintenant, on s'efforce de les satisfaire non pas pour la cause, mais pour des raisons strictement électoralistes.
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