Le droit de grève, indispensable au fonctionnement d'une démocratie, ne doit pas être utilisé aveuglément. Tout simplement parce qu'il finit par se retourner contre les travailleurs.
La SNCF, par exemple, estime à environ 200 millions le coût des grèves déclenchées par la réforme des retraites, laquelle ne concernait en aucun cas le régime spécifique des cheminots (qui bénéficient ainsi d'un privilège exorbitant par rapport aux autres salariés du public et du privé).
Deux mille emplois de moins
Louis Gallois, président de la société, a donc fait ses comptes : il avait prévu un déficit pour cette année de quelque 144 millions d'euros, qui se montera en réalité à 424 millions. Dans ces conditions, il n'est pas en mesure de remplacer tous les cheminots qui partent à la retraite et le nombre de recrutements sera diminué de 2 000. Comme on pouvait s'y attendre, les syndicats, qui n'ont toujours pas expliqué pourquoi ils ont fait des grèves à répétition pour une affaire sans rapport avec leurs intérêts catégoriels, se plaignent du régime d'austérité auquel on les prépare. Ils en viendront peut-être à envisager de faire la grève pour éviter de payer les conséquences des grèves précédentes, ce qui, fatalement, entraînera un surcroît de déficit pour la SNCF et encore des suppressions de postes.
L'exemple même du cercle vicieux.
Mais la SNCF n'est qu'un cas parmi d'autres. La fureur des enseignants les a conduits à multiplier les grèves pendant tout le premier semestre. Ils critiquent sévèrement le gouvernement parce qu'il refuse de payer les jours pendant lesquels ils n'ont pas travaillé. On a vu des reportages bouleversants où de jeunes enseignants abordaient la rentrée avec un découvert bancaire ; d'autres acceptaient bravement leur sort et affirmaient qu'ils referaient la grève si c'était nécessaire.
Aucun n'a posé le problème en termes de responsabilité individuelle ; aucun ne s'est demandé s'il est logique d'être payé pour les jours de grève ou ne s'est demandé qui paie en l'occurrence, c'est-à-dire les contribuables pour lesquels l'éducation des enfants est une cause sacrée. Tous ont vu dans le refus du gouvernement de payer de la méchanceté pure, de la mesquinerie, de l'avarice, alors que les médias sont pleins d'informations sur le déficit budgétaire.
Ce mépris de l'argent affiché par les grévistes n'a d'égal que leur prétention à en gagner sans en ficher une guigne et en participant à des manifestations à grand spectacle où ils s'amusent comme des fous à ridiculiser les dirigeants du pays.
Le gouvernement n'a pas une chance de mobiliser les mécontents en leur tenant un langage économique : la meilleure façon de réduire le déficit, c'est encore de produire. Faire la grève quand la France s'appauvrit ne contribue qu'à réduire ses défenses contre la crise.
Les coups pendables du patronat
Qu'est-ce que tout cela veut dire ? Que le droit de grève doit disparaître ? On ne saurait oublier les coups pendables du patronat, ces usines démontées dans la nuit et dépaysées, ces « plans sociaux » qui n'annoncent que l'extinction de centaines ou de milliers d'emplois, ces malheureux salariés que l'on jette à la rue à 50 ans. Le cynisme syndical a été précédé par le cynisme patronal. Non qu'un employeur doive s'endetter pour protéger des emplois, ce qui ne serait pas viable ; mais de même que la grève devrait être conçue comme le moyen ultime de l'action revendicatrice, de même le licenciement ne devrait être accepté que comme l'ultime recours contre la faillite.
Il manque peut-être aux relations sociales dans ce pays une touche d'humanisme qui permettrait aux patrons et à leurs employés de discuter sur la base de l'intérêt de l'entreprise. Pendant qu'à la SNCF, à EDF-GDF ou dans la fonction publique on se bat sur le maintien de privilèges qui appartiennent à une époque révolue, dans le secteur privé, le dialogue sur a protection des emplois est possible. Il existe d'ailleurs dans beaucoup de PME. Cette cause n'est donc pas désespérée. Il suffit que l'employeur admette que le licenciement est sa dernière carte, celle qui lui permet de ne pas mettre la clé sous la table et de licencier tout le monde.
Encore faut-il que cet employeur trouve devant lui des employés raisonnables, attachés à leur emploi et qui comprennent que si l'entreprise ne fait pas de bénéfices ou si elle perd de l'argent, elle n'est plus viable.
Erreurs de stratégie
Beaucoup d'anciens salariés actuellement au chômage dénoncent, à juste titre, les erreurs de stratégie commises par leur ancien patron. L'exemple le plus remarquable de ce genre d'erreur a été fourni par Vivendi et Jean-Marie Messier. Indiscutablement, le souci du développement doit être accompagné de la prudence la plus extrême. Chacun sait aujourd'hui que M. Messier uvrait pour son propre prestige et que, au nom de son pouvoir personnel, il a mis en danger des dizaines de milliers d'emplois. Les salariés peuvent donc en dire de vertes et de pas mûres sur leurs patrons. Mais, curieusement, ce ne sont pas ceux du privé qui crient le plus fort : on les voit se révolter contre une menace de licenciement, mais lorsqu'ils ont perdu la bataille, les médias les oublient. En revanche, dans le secteur public, la litanie des malheurs passés, présents et à venir occupe l'année entière, sauf en période de vacances. Là, on garde son emploi, mais on fait à peu près tout pour qu'il ne soit plus solvable.
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