A trois jours, les nourrissons sont déjà capables d'associer des données tactiles avec leur contrepartie visuelle. Le transfert intermodal toucher-vision, un processus cognitif absolument nécessaire à une conception cohérente du monde, serait donc un phénomène inné. C'est ce que viennent de mettre en évidence deux chercheurs du laboratoire « Cognition et Développement » de l'université Paris-V, Arlette Streri (professeur de psychologie de l'enfant) et Edouard Gentaz (chargé de recherche au CNRS). Cette découverte remet en cause les théories selon lesquelles le transfert des informations du mode tactile vers le mode visuel nécessiterait un apprentissage issu de l'expérience.
De petits objets placés dans la main
Les chercheurs ont mené leur étude sur des bébés âgés de trois jours en moyenne. Durant la première phase de l'expérience, purement tactile, de petits objets (prisme ou cylindre) ont été placés dans la main (droite ou gauche) des nourrissons. Les nouveau-nés ne pouvaient pas voir l'objet en question. Lorsque les bébés lâchaient l'objet, l'expérimentateur le remettait dans leur main de manière qu'ils « s'habituent » à sa forme.
Lors de la seconde partie de l'expérience, les nouveau-nés ont été placés devant deux objets, celui qu'ils avaient touché lors de la première partie de l'expérience et un second objet avec lequel ils n'avaient jamais été en contact auparavant. Les chercheurs se sont alors appuyés sur leur connaissance du comportement naturel des nourrissons pour savoir s'ils étaient capables de reconnaître l'objet qu'ils avaient touché.
Face à une nouveauté, les bébés montrent une certaine curiosité et une attention qui diminuent au fur et à mesure qu'ils s'y accoutument. Les scientifiques nomment cette période « phase d'habituation ». Au terme de cette phase, si le nourrisson rencontre une situation inédite, il lui porte davantage d'attention qu'à la situation à laquelle il est habitué. Ainsi, face à deux objets dont l'un est familier, l'attention d'un bébé se focalise principalement sur l'objet inconnu.
Regarder plus longuement l'objet inconnu
Au cours de leur expérience, Streri et coll. ont pu observer que les nouveau-nés regardaient plus longuement l'objet qu'ils n'avaient jamais vu, ni touché, que celui qu'ils avaient tenu dans leur main droite. Ce qui suggère qu'ils ont reconnu l'objet auquel ils ont été habitués et ont donc reporté leur attention sur le nouvel objet.
Cependant, les chercheurs ne pouvant exclure d'emblée que les bébés regardaient plus intensément l'un ou l'autre des objets par simple préférence visuelle, un test contrôle a été effectué. Douze nourrissons ont été placé devant les deux objets, sans avoir été habitués à l'un ou l'autre d'entre eux au préalable. Dans ce cas, l'attention des bébés a été retenue aussi longtemps par les deux objets, sans qu'une préférence quelconque ne puisse être mise en évidence.
Les observations de Streri et coll. semblent donc bien signifier que les nouveau-nés humains sont capables, à partir d'une sensation tactile manuelle, d'extraire l'information sur la forme d'un objet, puis de la transposer dans un format visuel. Cette capacité semble être latéralisée dès la naissance puisque seuls les objets tenus dans la mains droite ont été reconnus par les bébés de trois jours. Cette découverte s'oppose aux théories traditionnelles (empiristes) et modernes (connexionnistes) qui se fondent sur un apprentissage perceptif. Selon ces théories, seule l'expérience permettrait aux nourrissons d'acquérir la capacité d'associer des informations tactiles aux informations visuelles. Or, dans le travail de Streri et coll., les bébés n'ont pas eu la possibilité de vivre de telles expériences, et il apparaît que le processus cognitif permettant de coordonner le toucher et la vue est dépendant de structures perceptives innées dont la nature reste à déterminer.
A. Streri et E. Gentaz, « Somatosensory and Motor Research », 2003, vol. 20, pp. 11-16.
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