Sincèrement, la capture de Saddam Hussein par les forces américaines ne modifie pas sensiblement le rapport de forces en Irak. A voir l'exdictateur échevelé, hagard, incapable de se battre et manifestement surpris de ce qu'il fût découvert, on a le sentiment qu'il n'était plus en mesure de donner des ordres et que la guérilla, d'où qu'elle vienne, Irakiens ou terroristes étrangers, est spontanée et constituée de cellules indépendantes.
Mais d'une part, une sorte de justice immanente s'est abattue sur un homme qui fait beaucoup de mal à son propre peuple, et l'on ne peut que s'en réjouir ; et d'autre part, c'est évident, George W. Bush vient de gagner une manche décisive. L'arrestation de Saddam n'a pas de valeur géostratégique, mais elle sert d'exemple pour l'ensemble du monde arabe qui constate qu'en dépit de ses déboires l'Amérique ne se lasse pas d'aller chercher les fauteurs de troubles dans leur sanctuaire, et cela est valable pour la Syrie notamment et, accessoirement, pour Ben Laden ; que les Américains, contrairement à ce que croit Ben Laden, n'hésitent pas à mourir pour finir une bataille ; et que les revers ne les abattent pas vraiment.
Une marche vers la réélection
M. Bush va gagner en popularité et sa marge de manuvre s'élargit sensiblement : la capture de Saddam l'autorise à demander un effort de plus aux forces américaines ; elle ruine son rival direct aux élections de 2004, Howard Dean, qui conduit sa campagne principalement sur son hostilité, dès le premier jour, à la guerre en Irak, et se retrouve aujourd'hui dans la situation intenable d'un démocrate qui ne peut pas féliciter son adversaire pour l'élimination d'un bourreau ; pour le parti démocrate, la nécessité d'accorder l'investiture à un autre candidat du parti devient vitale et, s'il n'y parvient pas, on peut déjà annoncer le résultat des élections.
On aura toutefois remarqué que M. Bush souhaite rapatrier les forces américaines au milieu de l'année prochaine, et que, sans vouloir aller aussi vite que le bouillant Dominique de Villepin, il serait très heureux d'un retour de ses troupes et de la mise en place d'un gouvernement irakien. Pour Bush, un tel programme, c'est la recette de la victoire électorale ; mais, pour l'Irak, compte tenu des déchirements internes du pays, sunnites contre chiites, sunnites contre Kurdes, chiites contre chiites, l'éclatement du pays n'a jamais paru aussi imminent.
Comme on l'a vu, la violence n'a pas cessé et les factions extrémistes ont tenu à manifester leur présence en se livrant à des attentats au lendemain de la capture de Saddam. Cela signifie que, si on veut rétablir la paix en Irak et maintenir son unité, il faut continuer à se battre.
M. Bush se demande si son intérêt est de reconstruire la nation irakienne ou s'il est de déguerpir au plus vite. Il n'a pas renoncé à l'un des axes de sa politique : intimider l'Iran nucléaire et la Syrie terroriste à partir de l'Afghanistan et de l'Irak. Il n'a pas forcément besoin de maintenir une présence militaire dans ces deux pays, mais il faut que leurs gouvernements soient ses alliés.
Malgré les graves erreurs commises par les Américains, notamment la dissolution de l'armée irakienne, la détermination patiente de M. Bush, cette sorte de colère froide qui ne l'a pas lâché depuis les attentats du 11 septembre, sa sérénité apparente face à de sérieux revers, comme l'inexistence des armes de destruction massive, laissent penser qu'il n'a pas renoncé non plus à capturer Ben Laden.
Le tour de Ben Laden ?
Or il a en quelque sorte « mis le paquet » sur Saddam en transférant d'Afghanistan en Irak des troupes d'élite chargées de repérer et arrêter ou éliminer les leaders du mouvement anti-américain. Si on comprend bien M. Bush, pour qui la vengeance est un plat qui se mange froid, le retour de ces troupes d'élite en Afghanistan et probablement un nouvel arrangement avec le Pakistan pourraient aboutir à l'arrestation ou à l'élimination d'Oussama Ben Laden et du mollah Omar. Ils sont certes introuvables, sans doute dans la région de Quetta au milieu d'une zone pakistanaise qui n'obéit même pas au pouvoir central. Si le président Pervez Mousharraf laisse discrètement les forces américaines prendre à revers Ben Laden et Omar, le triomphe pour Bush sera définitif.
Déjà Ben Laden aurait signifié à Omar qu'il concentrait toute son énergie sur l'Irak (« où il y a beaucoup d'Américains à tuer ») et que les taliban devraient se débrouiller sans lui. Mais dans ce jeu du chat et de la souris, ce qui vaut pour l'un vaut pour l'autre : non seulement les taliban sont plus vulnérables, mais Ben Laden aussi.
Inversement, M. Bush peut-il poursuivre deux guerres dans des territoires arides où l'ami est aussi le traître, les factions nombreuses et divisées, les chefs de guerre corrompus jusqu'à la moelle ? La tentation est grande pour le président américain de se concentrer sur Ben Laden et de laisser à la communauté internationale le soin de régler les problèmes politiques et logistiques. La France, qui ne cesse de demander que les Américains partent d'Irak au plus vite, va être servie : M. Bush n'a jamais été vraiment séduit par le projet de nation building.
Cependant, il est trop engagé en Irak, notamment dans la reconstruction des infrastructures, pour l'oublier du jour au lendemain. Son objectif consistera à avoir le moins de pertes possibles, de garder un pied en Irak, l'autre en Afghanistan et d'être réélu en dépit de ces deux engagements. Avoir la peau de Ben Laden devrait être un objectif de la fin de son premier mandat ; peser sur la Syrie et l'Iran sera celui du second.
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