LE TEMPS DE LA MEDECINE
Sauvons Manon, Les petits anges de la vie, Association sauvons Laura : pour n'en citer que trois parmi les plus récentes, les associations construites sur les cas de jeunes enfants atteints de pathologies rares qui menacent leur survie s'ils ne font pas l'objet de soins à l'étranger, en général aux Etats-Unis, ameutent périodiquement les télévisions et les magazines. Face à ces situations médicalement limite avec, en général, un arrière-plan social difficile, les médias jouent sur la corde sensible. Et ils gagnent à tous les coups : il n'y pas d'exemple d'une association qui n'ait pas réussi sur de tels cas à émouvoir le grand public et à drainer les fonds nécessaires, souvent pour des montants élevés.
A Maladies Rares Info Service, un Numéro Azur* qui traite chaque année environ 3 000 appels, « la plupart des familles adhèrent à cette idée reçue qui voudrait qu'un traitement n'existant pas en France soit accessible dans un autre pays, constate le Dr Christine Vicard, pédiatre, chargée de ce service. Confrontés à des situations d'échec et d'impuissance thérapeutiques, les gens veulent encore croire au miracle et c'est pour cela qu'ils nous sollicitent ».
Le plus souvent, la réponse tombe comme un couperet : on ne fait pas mieux en France qu'à l'étranger.
En lien avec Orphanet (lire aussi page 14), une unité INSERM spécialisée dans les maladies rares, le Dr Vicard mène l'enquête pour dégotter le ou la spécialiste le plus qualifié sur telle ou telle pathologie. Quitte à approfondir les investigations quand des allégations diffusées sur Internet font état de nouveautés thérapeutiques ou de procédés diagnostics inconnus dans l'Hexagone. « Mais, le plus souvent, note la pédiatre, on est informé en temps réel dans tous les domaines, en particulier pour les maladies génétiques où, dès qu'un gène est localisé par une équipe, on le sait aussitôt. »
Sauvé de l'amputation
Restent cependant des cas où des perspectives différentes existent bien en dehors de nos frontières. Celui du petit Enzo Verpio, malformé congénital de la région de Lyon, est récent et exemplaire. Quand ses parents ont pris contact avec Maladies Rares Info Service, leur décision était déjà prise. Leur enfant de 2 ans était atteint d'agénésie tibiale bilatérale asymétrique et aucun des spécialistes français consultés n'avait accepté d'intervenir, tous posant une indication d'amputation. C'est de Baltimore, aux Etats-Unis, qu'a jailli l'espoir. Le Pr Dror Peley proposait de recourir à une technique conservatrice non amputatoire, en utilisant d'ailleurs un système de prothèse dite d'expansion, mis au point par un ingénieur... français, Arnaud Soubeiran. Cameramen et photographes se sont précipités à la rescousse, « Paris-Match » a consacré plusieurs pages à l'enfant et à sa famille, les télévisions ont multiplié les reportages.
Avant Enzo, beaucoup d'autres enfants en danger se sont retrouvés de la même manière précipités à la une des médias. Quelques cas sont dans toutes les mémoires : Manon est l'une des plus célèbres. « Depuis trois ans, explique le site Internet de l'association Sauvons Manon, « elle combat une tumeur insidieuse qui l'étouffe inexorablement. Les traitements chimiques sont impuissants et seule une opération pratiquée aux Etats-Unis pourrait la sauver, mais son coût est insupportable pour sa famille (...) Désormais, et à très court terme, il n'y a plus qu'un espoir de sauver la petite fille : une opération délicate qui peut être pratiquée par une équipe chirurgicale américaine au Schneider Children Hospital de New York (...) Il faut 170 000 euros. »
Pas moins pathétiques, les cas des petits Rogers et Rubens, âgés de 10 et 7 ans, dans le Var ; leur père a monté l'association Les petits anges de la vie pour qu'ils puissent être traités pour leurs dysplasies osseuses avec retard par un as du Cedars Sinaï Hospital de Los Angeles, le Pr David Rimoin. France 3 Côte d'Azur a orchestré une campagne d'appel à la solidarité et les deux enfants, escortés par leurs parents, ont pu être examinés par leur sauveur californien, lequel les a adressés à une des ses élèves... française, le Dr Valérie Cormier-Daire (Necker-Enfants-Malades). Mais aujourd'hui, les parents voudraient quand même bien aller faire un contrôle chez un neurochirurgien new-yorkais...
New York où, grâce à une autre association d'appel à la charité (Sauvons Laura), la petite Laura, de Nice, a pu être opérée avec succès cette année d'une tumeur au cerveau.
Mais il n'y a pas que les Etats-Unis. Sur de tout autres problèmes, la Belgique draine aussi des dossiers à très fort coefficient d'émotion populaire. La presse grand public et jusqu'à notre journal (« le Quotidien » du 28 août) a évoqué abondamment le cas de Florian, 8 ans, de Beuvry (Nord), atteint d'aplasie médullaire, qui pourrait être sauvé par la naissance d'un frère ou d'une sur dont le HLA serait compatible avec le sien. Mais la loi française, dans le cadre du diagnostic préimplantatoire ne permettant pas la sélection d'embryon dans ce dessein, les parents se sont adressés à un professeur de génétique bruxellois, qui a donné son accord pour effectuer des DPI de manière à obtenir la naissance d'un petit frère non seulement indemne de la maladie, mais avec un HLA compatible avec celui de Florian. Interdits en France, ces examens sont autorisés outre-Quiévrain. « Pour un coût de 3 000 euros par tentative, précise la maman, avec un taux de succès qui n'excède pas 15 % par tentative. »
Les Français ont du cur. Somme toute, l'effet Téléthon, qui fait merveille à grande échelle, ne joue pas moins pour les cas isolés. Des cas extrêmement isolés, même, puisque les deux médecins de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM) par lesquelles transitent ces dossiers de prise en charge pour des soins aux Etats-Unis n'en recensent pas plus de cinq par an sur les quelque 1 4000 qu'elles examinent (voir ci-contre). « L'Amérique, aujourd'hui, ce n'est plus l'Amérique », constatent en chur les Drs Michèle Brami et Roche Apaire ; autrefois, nous enregistrions un grand nombre de demandes pour des protonthérapies, mais maintenant la France est équipée. Restent quelques cas limites, comme celui du petit Enzo, où l'accord a été donné, ou celui de tumeurs du tronc cérébral avec des localisations très particulières. » « Mais, notent les médecins-conseils adjoints, ces prises en charge sont toujours accordées sur la base des principes de tarification française. » Autant dire que la Sécurité sociale, dans le meilleur des cas, n'assume qu'une part marginale des budgets nécessaires pour une simple consultation de l'autre côté de l'Atlantique. Le relais associatif risque donc de rester longtemps encore aussi indispensable que ses indications sont marginales.
* 00810.63.19.20 (prix d'une communication locale), un service de l'Alliance des maladies rares (01.56.53.53.40).
Comment l'assurance-maladie sélectionne les dossiers
Pour bénéficier d'une prise en charge, les cas des patients qui souhaitent être examinés ou traités à l'étranger doivent faire l'objet d'une prescription par un médecin français, adressée au médecin-conseil de la caisse régionale. Celui-ci la transmet au médecin-conseil national, à la CNAM, qui décide, après instruction par ses deux adjointes, les Drs Apaire et Brami. « Trois critères doivent être réunis, expliquent celles-ci : le traitement demandé doit être conforme aux dernières données de la science ; l'état du patient doit constituer une indication indiscutable ; et aucune équipe française ne doit être capable de le traiter dans des délais compatibles avec l'urgence présentée par son cas. »
Pour étayer ses avis, la CNAM s'en remet aux indications des responsables des sociétés savantes dans la discipline incriminée. Ce sont eux qui, le cas échéant, vont confirmer l'intérêt médical d'un recours à l'étranger. Sur les 1 400 dossiers qui sont instruits chaque année (54 % pour des explorations diagnostiques, 46 % pour des actes thérapeutiques), 65 % reçoivent une réponse positive.
Au hit-parade des pays étrangers, la Belgique arrive en tête des demandes (29 %), talonnée par l'Allemagne (28 %). Viennent ensuite la Suisse (11 %) et l'Espagne (7 %). Les Etats-Unis sont très très loin derrière : 0,4 %.
Explication fournie par la CNAM : la très grande majorité de ces demandes concerne des patients qui résident dans des zones frontalières. Pour eux, il n'y a pas d'indication médicale à proprement parler pour se faire traiter à l'étranger, mais il s'agit plutôt d'une question de commodité matérielle, l'hôpital étranger pouvant être plus proche que l'établissement national.
L'argument d'une technicité qui ferait défaut en France est donc ultramarginale : l'insuffisance d'équipements en PET-scan est encore souvent évoquée, mais, globalement, l'Amérique n'est plus l'Amérique en termes de santé.
La CNAM considère en tout cas qu'elle doit protéger les patients qui sont parfois victimes de procédés publicitaires, en particulier sur Internet, où les propositions recèlent souvent plus un argument commercial que réellement scientifique (la moindre intervention chirurgicale est communément facturée 100 000 dollars). L'attention des médecins-conseils se porte aussi sur les allégations des médecines alternatives, orientées sur des formules ésotériques. Interdites en France, elles ont souvent libre cours en Allemagne, même si elles n'y font pas l'objet de remboursement par les organismes sociaux.
A la CNAM, on se targue d'instruire dans l'urgence, eu égard aux situations en cause : les décisions sont le plus souvent communiquées sous 48 heures.
Ch. D.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature