LE Dr MARTINE RAYNAUD, généraliste en Seine-Saint-Denis, est aujourd’hui le médecin traitant de plusieurs de ses confrères généralistes. Elle assume ce rôle et cette mission sans état d’âme particulier et sans problèmes. «Au contraire, dit-elle, c’est un grand plaisir pour moi de soigner des confrères.» Et des consoeurs, puisqu’elle est leur « conseillère » en matière de contraception.
Pour le Dr Raynaud, soigner d’autres médecins est «une tâche très agréable», dit-elle, «un bonheur même, parfois», assure-t-elle. En tout cas, un moment «très fort qui tranche avec une consultation ordinaire». Il est vrai que le dialogue entre deux médecins, même si la maladie est le sujet d’échanges, prend une autre forme que l’habituelle relation patient-médecin. «C’est tout à fait autre chose; on entre alors dans une autre forme de relation. Quand un confrère vient me voir et me dit: je crois que j’ai ça, nous avons alors une vraie discussion, un réel échange qui nous sert à tous les deux. Même si le diagnostic final appartient au médecin qui est consulté.»
Pour le Pr Bruno Housset, chef de service de pneumologie à Créteil, «il est cependant aussi difficile de soigner un confrère qu’un patient ordinaire» et «ça peut être même parfois plus compliqué», explique-t-il, puisque le médecin malade fait la plupart du temps son propre diagnostic et «peut se persuader qu’il a une maladie grave».
«Quand on examine un médecin, comme cela m’arrive, qui a une maladie pulmonaire infectieuse, il pense tout de suite au cancer, ajoute le Pr Housset, ce qui peut compliquer la relation entre le médecin et son patient médecin.» Le même problème peut d’ailleurs survenir, poursuit-il, «concernant des patients qui ont une famille médicale».
Mais, en règle générale, le Pr Housset ne perçoit pas de différence notable entre le fait de soigner le patient lambda et le patient médecin.
Même sentiment chez le Dr André Choussat, cardiologue en Midi-Pyrénées, qui soigne et suit régulièrement des médecins, «surtout des généralistes». Il faut s’efforcer, dit-il, d’avoir les mêmes relations avec eux qu’avec les autres patients.
Une relation enrichissante.
«C’est important pour la précision du diagnostic, et il ne faut pas se laisser emporter par des sentiments confraternels qui pourraient troubler le jugement.»
Il reconnaît qu’il doit répondre plus longuement et différemment aux questions que peut lui poser un médecin. «Il sait ou plutôt il croit savoir ce dont il souffre, ce qui n’est pas toujours le cas d’ailleurs, et, dans cette situation, il nous faut adopter évidemment une autre attitude que celle que nous avons face à un autre patient.» Pour autant, le Dr Choussat ne déteste pas s’impliquer dans cette relation médecin-médecin qui est, dit-il, souvent «très enrichissante».
Pour le Pr Charles Msika, chirurgien orthopédique à Paris, «soigner, opérer un confrère est souvent difficile». «Il y a, dit-il, une charge émotionnelle forte, c’est comme si on soignait un membre de la famille.»
De même, annoncer un diagnostic à son patient médecin est difficile, surtout lorsqu’il s’agit d’une pathologie sérieuse ou grave. «On hésite à dire les mots, à dire la vérité, on essaie de lui faire comprendre, de lui faire prendre conscience de la gravité de son cas. Et il n’est pas rare que, de son côté, le médecin patient se bloque, refuse de comprendre, fasse tout pour occulter la vérité. C’est difficile, très difficile.Il est déjà angoissé quand il vient nous voir, et il attend du confrère une aide, une compréhension, que nous ne sommes pas toujours à même de lui apporter.»«C’est souvent très délicat, poursuit le Pr Msika, d’autant que pas mal de médecins viennent me voir.»
Gratuité des soins.
Cette relation médecin-médecin peut-elle être compliquée par des problèmes pécuniaires ? En clair, les médecins font-ils payer leurs confrères ? «J’ai tendance à ne pas les faire payer, explique le Pr Msika, c’est normal en tant que confrère.»
Pour le Pr Housset, cette tradition médicale de la gratuité des soins pour les médecins est en train de disparaître. «En tant que chef de service hospitalier, je ne me pose pas ce problème, dit-il, puisque je n’exerce pas en service privé, mais je sais qu’un certain nombre de médecins ont tendance aujourd’hui à demander des honoraires aux confrères qui viennent les consulter.»
Une attitude qui n’est pas celle du Dr Martine Raynaud. «Il ne me viendrait pas à l’idée, dit-elle, de demander au confrère des honoraires. Je le soigne gratuitement, comme c’est la tradition médicale depuis Hippocrate. D’ailleurs, je ne fais pas payer non plus les étudiants en médecine qui viennent me consulter.»
Pour le Dr Choussat, la question ne se pose pas non plus. «La gratuité des actes est normale, dit-il. Feriez-vous payer un membre de votre famille?»
Reste à savoir si ces médecins qui soignent d’autres médecins vont à leur tour consulter des confrères. A ce niveau, les réponses sont prudentes. «J’ai tendance, dit le Pr Msika, à pratiquer l’automédication.» Même réponse du Dr Raynaud. «Je préfère l’automédication», répond-elle.
Quant au Dr Choussat et au Pr Housset, ils n’ont pour l’instant, disent-ils, aucun besoin de voir un autre médecin. Mais si c’était le cas ? «J’aviserai», répond prudemment le Dr Choussat.
Des réponses qui confirment les résultats du questionnaire du « Quotidien ».
Mais qui sont donc alors ces médecins qui vont consulter d’autres médecins ?
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