Refus du paiement à la performance

Ces médecins généralistes que la prime déprime

Publié le 13/01/2012
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Crédit photo : S TOUBON

LE P4P, ou paiement à la performance, a été généralisé par la dernière convention médicale. Fondé sur un ambitieux système par points, il propose aux médecins adhérents de prétendre à une prime sur objectifs (jusqu’à 9 100 euros par an mais sans doute la moitié en réalité), liée au respect de 29 indicateurs (de santé publique ou d’efficience des prescriptions). A la différence du CAPI (contrat d’amélioration des pratiques individuelles) qui nécessitait l’adhésion individuelle express des médecins, ce P4P est une option conventionnelle que les médecins rétifs devaient refuser par courrier recommandé avant le 26 décembre dernier, faute de quoi ils y adhèrent automatiquement. La date limite de refus d’adhésion étant dépassée, l’assurance-maladie assure qu’une très faible minorité de médecins - moins de 1 %, soit quelques centaines - a rejeté cette option.

L’Ordre des médecins avait montré le chemin. Déjà très opposée au CAPI, l’institution a, dès la publication de la nouvelle convention, alerté sur les difficultés que ce dispositif pouvait susciter en termes de déontologie et d’exercice professionnel. L’article 5 du code de déontologie précise que « le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit ». Petit à petit, pour cette raison et beaucoup d’autres, une forme de résistance (modeste) au P4P est apparue, notamment sur le net, à travers quelques réseaux médicaux. Sur le site les-medecins-qui-refusent-la-prime-secu.org, on peut signer une pétition initiée par la coordination 29, un groupe informel de médecins du Finistère.

Usine à gaz, mascarade.

Un certain nombre de professionnels ne font pas mystère de leur rejet du P4P et souhaitent le faire savoir, souvent avec une pointe d’ironie dénonçant un système complexe et ingérable. Dans son courrier à sa caisse primaire, le Dr Jean-Pierre Pigault, généraliste à Saint-Emilion, assure se sentir « trop vieux, trop fatigué et incompétent pour faire la cuisine et distribuer les médicaments à mes patients diabétiques le soir après ma journée de travail, afin d’optimiser leur HbA1c ». « Personnellement, conclut-il, je vais continuer le vélo et le vin rouge, ce merveilleux médicament antioxydant qui n’a pas l’AMM du Pr Got ». Quant au Dr Francis Mauger, généraliste à St-Jean-des-Baisants (Manche), il commence son courrier à sa caisse en confirmant sa « non-adhésion au programme de fidélité par points instauré par la nouvelle convention ». Il juge « dégradant de participer à cette mascarade de soi-disant bonne conduite médicale (..) Je ne veux pas, conclut-il, être inféodé de façon rampante à des technocrates fabricants d’usines à gaz qui ont réussi à créer des déserts médicaux et à démobiliser notre relève ».

Doute des patients.

De son côté, le Dr Dominique Dupagne, médecin généraliste à Paris et fondateur du forum médical « Atoute », reconnaît que les non-signataires, dont il fait partie, « sont totalement minoritaires. Lors de la mise en place du CAPI, il fallait se porter volontaire. Mais avec le système adopté pour le P4P, beaucoup de médecins sont tentés de se dire "prends l’oseille et tire-toi" ». Le Dr Dupagne veut croire que « petit à petit, quand les patients seront confrontés à un refus ou à une insistance suspect du médecin, le doute va s’installer chez eux ».

Certains généralistes, en signalant à leur CPAM leur refus d’adhérer au P4P, ont des exigences. Le Dr Patricia Coroller, généraliste à Quimper (Finistère), membre de la coordination 29, avait demandé que son refus d’adhérer au P4P figure sur le site Ameli-direct, qui précise pour chaque médecin s’il prend la carte vitale et s’il pratique des honoraires opposables. Fin de non-recevoir de l’assurance-maladie. « Il paraîtrait pourtant logique que l’adhésion ou la non-adhésion à cette option y figure », regrette-t-elle. Le Dr Dupagne avait fait lui aussi cette demande, « conformément à la loi qui m’impose de déclarer mes conflits d’intérêts lorsque je parle en public, ce qui est souvent mon cas ». Lui aussi n’a pas été entendu.

Également réfractaire au P4P, le Dr Nikan Mohtadi, assure que le combat n’est pas fini. « Nous invitons tous les médecins qui n’avaient pas été informés de la date butoir du 26 décembre à ne pas en tenir compte et à envoyer malgré tout leur courrier recommandé ».

 HENRI DE SAINT ROMAN

Source : Le Quotidien du Médecin: 9065