LA PUBLICATION, en juin dernier, de l'ordonnance qui crée les partenariats public-privé (PPP), un nouveau type de contrat avec l'État qui permet de confier à un groupe privé la construction et la maintenance d'infrastructures publiques, révolutionne la réalisation des grands projets publics. Peuvent recourir aux PPP, les hôpitaux, mais aussi les prisons, les commissariats et les casernes.
Dans la foulée de cette publication, le ministère de la Justice a rédigé un appel d'offres pour la construction de 18 nouvelles prisons. Mais c'est dans le secteur hospitalier que les projets sont les plus avancés : parmi la trentaine d'hôpitaux actuellement intéressés par les PPP, neuf ont déjà lancé l'appel d'offres européen, et sont entrés dans la phase de sélection des candidats privés. Les premiers chantiers commenceront en 2006.
« La réussite des premières opérations déterminera le succès de la suite des PPP », confie Vincent Le Taillandier. Le directeur de la Mission nationale d'appui à l'investissement hospitalier (la Mainh) note déjà un point positif : l'évolution des mentalités. L'idée de privatiser la gestion des murs de l'hôpital rendait frileux plus d'un directeur il y a encore peu (« le Quotidien » du 16 avril dernier). Aujourd'hui, « on a le sentiment que le sujet s'est un peu décrispé ; maintenant les PPP sont perçus comme un levier d'action supplémentaire par les acteurs locaux », affirme Vincent Le Taillandier.
En quoi consiste exactement un partenariat public-privé ? Un hôpital décide de rénover tout ou partie de ses bâtiments par ce biais. Après publication d'un appel d'offres au « Journal officiel des communautés européennes », il sélectionne et met en concurrence un nombre restreint de consortiums privés - chaque consortium regroupe un maître d'œuvre, un constructeur, un financier (une banque) et des prestataires de services. Au cours de cette phase dite de dialogue compétitif, l'hôpital négocie les coûts, à la différence du marché public classique. Puis il retient le candidat final, à qui sont confiés le financement, la conception, la réalisation, l'exploitation et la maintenance des bâtiments en question.
Une formule à la carte.
Pendant toute la durée du bail emphytéotique administratif (qui dure au minimum 18 ans), l'hôpital reste propriétaire du terrain mais devient locataire de ses murs ; il versera un loyer au consortium, qui s'engage en retour à remplir un cahier des charges très précis. A la fin du bail, le bâtiment revient de droit à l'hôpital.
« Il s'agit d'une formule à la carte, précise Vincent Le Taillandier, car chaque hôpital est libre de décider quelles activités il délègue au privé en fonction de ses besoins locaux. Nettoyage, blanchisserie, gestion du parking, approvisionnement en énergie... : tout est possible. »
Tout, sauf l'externalisation des missions de service public, rassure le directeur de la Mainh : « Le consortium n'intervient pas du tout dans l'activité médicale et le fonctionnement des soins. Le ménage des chambres, par exemple, ne sera jamais assuré par une entreprise privée. »
Le PPP est censé être un contrat gagnant-gagnant. Le constructeur a accès à des revenus réguliers sur une longue période. L'hôpital, lui, étale ses charges dans le temps et peut se recentrer sur ses missions de soins ; de plus, les délais de réalisation sont rapides. Le CHU de Limoges, qui va passer un PPP pour la construction d'un bâtiment administratif, estime à 18 mois le gain de temps par rapport à la procédure classique. Le directeur des travaux de l'établissement, Antoine Pacheco, voit le PPP comme « un outil financier permettant de lisser les coûts et d'aller plus vite ». Mais un outil « qui coûtera plus cher, aussi », du fait des intérêts à rembourser. Coût total de l'opération : 7 millions d'euros. Le CHU de Limoges espère bénéficier de subventions pour régler la note, même échelonnée.
Le CHU de Caen espère bien, lui aussi, profiter de la manne du plan Hôpital 2007, qui prévoit de relancer, avec 10 milliards d'euros de plus, l'investissement hospitalier sur cinq ans, pour payer son futur loyer. L'addition sera sûrement plus salée qu'à Limoges, car l'opération - la construction d'un pôle femme-enfant-hématologie - coûte environ 100 millions d'euros.
Pourquoi le choix du PPP pour cette réalisation ? Si le CHU avait mené lui-même les travaux, le pôle aurait englouti le quart de son budget investissement. « Ce PPP nous permet de continuer à financer d'autres projets », explique la directrice générale adjointe, Liliane Lenhardt. L'idée du PPP a recueilli l'adhésion générale ; les différentes instances (CA, CME, CTE) ont donné leur accord, précise la DGA. Les médecins ont participé à la définition des besoins - nombre de blocs opératoires, de chambres stériles, de lits de maternité ou d'hématologie. La remise du bâtiment clé en main est attendue au plus tard le 31 décembre 2008. « La délégation s'arrête aux murs, au chauffage et à l'électricité, précise Liliane Lenhardt. Nous n'avons pas voulu déléguer notre cœur de métier : nous ajouterons les lits, le matériel médical et les tables d'opération. De même, nous gardons la gestion de la blanchisserie et de la restauration. »
Initiative pilote.
Un PPP de plus grande envergure se trame dans l'Essonne : pour la première fois en France, un hôpital a choisi cette procédure pour la construction et la gestion d'un établissement complet - coût total de l'opération : 250 millions d'euros. L'objectif est de faire sortir de terre, à l'horizon 2010, un hôpital de 950 lits et places (activités de MCO, SSR et psychiatrie). Ce nouveau site réunira les hôpitaux d'Evry et de Corbeille, fusionnés depuis 1999. Son ambition : devenir l'hôpital pivot du sud de l'Ile-de-France, grâce au développement d'activités médicales de référence et à l'installation d'un plateau technique dernier cri. Afin de se payer son TEP Scan, ses deux IRM et ses trois scanners, le centre hospitalier Sud Francilien n'a pas eu d'autre choix que de recourir au PPP pour bâtir les locaux. « Nos capacités d'investissement sont limitées, explique la directrice de l'établissement, Marie-Paule Morin. La réflexion sur l'avantage que représenterait pour nous le PPP a commencé en décembre 2003. Le conseil d'administration a arrêté le montage du projet. Quant à la communauté médicale, elle a vite compris l'intérêt de la démarche novatrice. »
Marie-Paule Morin a conscience d'être à la tête d'une initiative pilote. Elle s'est fixé quelques lignes de conduite pour éviter les dérapages : s'entourer d'une équipe de consultants, fixer clairement les responsabilités de chacun, définir un contrat précisant dans le détail les engagements respectifs (le consortium devra s'engager, par exemple, à mettre à niveau les bâtiments en fonction des nouvelles normes ; en cas de non-respect, des pénalités financières sont prévues).
La directrice a-t-elle le sentiment de prendre un risque en se lançant dans l'aventure du PPP ? Pas vraiment : « Pour moi, le PPP est un emprunt à 100 % avec remboursement différé. Nous avons des garde-fous avec les clauses de révision qui empêcheront les consortiums d'augmenter n'importe comment leur loyer. Le PPP, c'est aussi la garantie que, à la fin du bail, dont la durée reste à négocier, on récupérera un bâtiment en bon état et aux normes. »
La Mainh met en ligne plusieurs documents pour aider les établissements dans leur démarche de négociation avec les groupes privés (www.mainh.sante.gouv.fr). Son directeur, Vincent Le Taillandier, voit un bel avenir aux PPP. Les caisses de la Sécurité sociale - et, partant, celles des hôpitaux - étant vides, on comprend aisément que, pour les pouvoirs publics, il s'agit là d'un moyen pratique de retaper le parc hospitalier. Mais pour que l'expérience ne tourne pas mal, Vincent Le Taillandier suggère une utilisation raisonnable - ou restreinte - de ces PPP. « La Mainh déconseille de déléguer au privé les équipements médicaux », dit-il, conscient que la logique privée « va essayer d'optimiser sa dépense ».
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