La santé en librairie
La littérature de la fin du XIXe met en scène une nouvelle catégorie de médecins, celui des dames. Si, de Maupassant à Zola en passant par Huysmans, Léon Daudet ou Paul Bourget, de nombreux écrivains connus ou moins connus ont donné à cet individu un rôle important, c'est que celui-ci s'est prêté merveilleusement à la critique sociale, à l'ironie mais aussi qu'il jouait un rôle essentiel dans la vie des héroïnes desdits romans.
Contre-modèle du médecin altruiste et savant, ce médecin des dames est en effet à la fois le confident, le confesseur, le directeur intellectuel, voire le séducteur des bourgeoises et aristocrates désuvrées mais pas désargentées ; « Toujours prêt à répondre à leurs caprices ou à leur questionnement existentiel », explique Isabelle Delamotte.
Personnage romanesque
Chimère du curé d'hier et du psychanalyste d'aujourd'hui mâtinée du dandy XIXe, il doit semble-t-il sa prospérité récente à la surpopulation médicale (dans les milieux citadins et aisés) de la seconde moitié du XIXe. Personnage romanesque par excellence, il a réellement existé dans certains milieux, que l'on dirait aujourd'hui favorisés, et s'est merveilleusement prêté à la création littéraire, qu'elle soit géniale ou plus fleur bleue. Le regard des écrivains sur cette corporation lui permet d'analyser comment se construisent les représentations collectives du médecin et de saisir le contexte historique dans lequel ce type d'exercice de la médecine a pu se développer. En observant le rejet mêlé de fascination que suscite le médecin des dames dans la société française de l'époque, c'est la dimension fantasmatique du regard de l'homme sur le corps de la femme qu'elle souligne avec son cortège de représentations irrationnelles, de justifications idéologiques de la domination homme/femme.
Entre dandy et Charcot
Charcot n'est pas loin qui, dans cette seconde moitié du XIXe, monopolise l'attention du monde médical, intellectuel, sur l'hystérie et conquiert avec l'exhibition de ses patientes hystériques son immense renommée. « Charcot, en traitant de l'hystérie, maladie de femme, va donc à sa manière devenir un médecin des dames (...) mais il n'est pas représenté au service de ses patientes, c'est le médecin des hystériques, qui utilise au contraire ses malades, des mannequins, des objets de laboratoire pour servir ses recherches », explique I. Delamotte. Si les critiques à son encontre seront parfois vives sous la plume de Léon Daudet (« les Morticoles ») ou de Joris-Karl Huysmans (« Là-bas »), ses théories viendront étayer la création littéraire de personnages de femmes suggestibles, hypersensibles, voire simulatrices.
« Entre pécheresses et déesses, les femmes à la fin du XIXe sont encore perçues à travers des représentations mythologiques, montre I. Delamotte ; la masculinité est ainsi dominée « à la fois par le désir, la crainte, voire le dégoût de la femme, autant de sentiments montrant que la féminité reste pour eux un mystère inquiétant ». S'il n'existe plus aujourd'hui de médecins des dames, c'est que la société a profondément changé et que le regard des hommes sur les femmes a changé, dit l'auteur. Le beau médecin séduisant reste encore le héros de bon nombre de romans roses ou de séries télévisées. Les mythes ont la vie dure.
« Médecin des dames », Editions de la Différence, 270 pages, 20 euros.
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