« Voilà vraiment une mesure inutile et complètement à côté de la réalité. C'est une non-nouveauté. » Pour un peu, et comme beaucoup de ses confrères, le Dr Denis Barrault, qui préside le Syndicat national des médecins du sport, rigolerait franchement à la lecture de l'article 32 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), que viennent d'adopter les députés en première lecture.
Que dit ce texte ? Que seuls les soins nécessaires des assurés sociaux doivent être pris en charge par la Sécurité sociale et que, partant, les actes effectués en dehors de « toute justification médicale » - tels la délivrance d'un certificat pour l'obtention d'une licence sportive, d'un brevet de pilote ou du droit de conduire au-delà d'un certain âge (droit qui n'existe pas encore)... - doivent être exclus du remboursement. A l'Assemblée nationale, le ministre de la Santé a insisté : « L'objet » de l'assurance-maladie n'est pas de « prendre en charge des actes effectués pour répondre à des exigences administratives ». Et de citer d'autres exemples : les certificats prénuptiaux (1) et les examens nécessaires pour le permis de chasse. Surtout, Jean-François Mattei a chiffré dans l'hémicycle les économies qu'il attendait de cet article 32 : 20 millions d'euros.
Si la démarche laisse on ne peut plus perplexes les médecins comme les professionnels de l'assurance-maladie, c'est que les certificats médicaux d'aptitude au sport ne sont pas, aujourd'hui, remboursés par la Sécurité sociale. Logiquement, la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM) est d'ailleurs bien en peine de fournir des statistiques sur le sujet : les chiffres n'existent pas. Evidemment, les pouvoirs publics ne sont pas si sots qu'ils veuillent réinventer la poudre. Leur propos est à la fois de rendre plus explicite le code de la Sécurité sociale et de responsabiliser médecins et assurés, histoire de dire à ceux qui abusent et font, selon les termes du ministre, « indûment » payer l'assurance-maladie qu'ils sont hors la loi.
Mais y a-t-il tant d'abus que le manque à gagner représente chaque année plusieurs millions d'euros pour la Sécurité sociale ? Pas certain. D'après les représentants syndicaux des généralistes, tout est possible aujourd'hui dans les cabinets. Il y a les médecins, comme le Dr Robert Machin (voir entretien ci-dessous), qui suivent les textes à la lettre. Il y a ceux qui, pour les malades qu'ils connaissent bien, tamponnent des certificats sur un coin de bureau sans les facturer du tout. Il y a ceux qui consacrent du temps à l'examen du patient et cotent un C. Il y a ceux que les fédérations sportives rétribuent après avoir organisé des visites groupées pour leurs adhérents...
Même s'il se trouve certainement aussi des généralistes pour remplir une feuille de soins - parfois sous la pression des patients - après avoir rempli un formulaire à la va-vite, on ne voit pas comment l'article 32 du PLFSS pourrait changer quoi que ce soit à ces pratiques par nature incontrôlables. Que les médecins continuent de considérer les examens concernés comme une consultation et l'assurance-maladie n'y verra que du feu. Qu'ils continuent à ne pas les faire payer ou au contraire à les facturer hors remboursement, et « l'opération sera financièrement blanche », ainsi que le souligne le Dr Michel Combier, président de l'UNOF (branche généraliste de la CSMF). Pour le Dr Combier, le « surréalisme » de la situation s'explique par les fausses idées que se font les pouvoirs publics : « Ils sont persuadés que les médecins courent après les certificats médicaux. Or, non, ce n'est pas le cas. Ils sont certains aussi que les certificats sont isolés de tout autre acte (dans les faits, ils sont très souvent collés à une autre consultation) et systématiquement payés par les caisses. Ce n'est pas vrai. »
Des dispositions spéciales pour les moins
de dix-huit ans ?
Voilà pour la forme. Sur le fond, l'article 32 du PLFSS provoque aussi des réactions. A l'Assemblée nationale, les députés de l'opposition ont mis le doigt sur l'injustice sociale que crée le non-remboursement des certificats d'aptitude au sport. Un argument brandi également par la Fédération des parents d'élèves FCPE, pour laquelle la mesure est « mesquine et inconséquente ». Dans le même registre mais sur un plan plus médical, les généralistes de MG-France ou de l'UNOF se sont émus du risque, très dommageable en termes de santé publique, de ne plus voir dans leurs cabinets des jeunes qui n'y viennent que rarement et à l'occasion précisément de la délivrance d'un certificat médical. Le ministère de la Santé, qui précise que l'article 32 n'est pas du tout finalisé, a entendu ces critiques : Jean-François Mattei a indiqué aux députés qu'il réfléchissait à des dispositions spécifiques pour « les jeunes de moins de 18 ans ».
D'un point de vue plus général, chaque syndicat fait sa propre lecture du choix du ministre et propose ses solutions. Pour le Dr Pierre Costes, président de MG-France, le gouvernement est en train de choisir « une mauvaise voie » qui consiste à « prendre en charge le grand risque et sortir du financement de l'assurance-maladie la prévention et tout ce qui ne relève pas du soin. Cette approche, nous ne pouvons pas la porter à MG-France. Quand quelqu'un entre dans un cabinet, il n'y a pas écrit sur sa tête "je suis malade (et relève donc de l'assurance-maladie)" ou ""j'ai besoin de prévention autorisée (et relève donc du Fonds de prévention)" , ou bien "j'ai besoin de prévention non autorisée (et en suis donc pour ma poche)". Non, la bonne piste à suivre, c'est celle des soins primaires ». Regrettant que la décision du gouvernement « se fonde sur des approximations », le Dr Jean-Claude Régi, président de la FMF (Fédération des médecins de France), ne voudrait pas que les médecins tombent dans un « piège ». « Il faut savoir de quoi on parle. S'il s'agit de consultations pour tout et n'importe quoi (pour le tennis, l'école... autant d'organisations qui cherchent en fait à se couvrir par le biais des certificats), d'examens sans grand intérêt, il est normal que ça ne soit pas remboursé. En revanche, si à l'occasion d'une aptitude à pratiquer le sport, on fait de la prévention, je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas remboursé. » Le Dr Régi redoute les amalgames entre « examen à la sauvette » et « examen approfondi de dépistage ». Quant au Dr Combier, il souligne « l'utilité dans certains cas d'un examen qui ne doit pas être galvaudé, en particulier parce qu'il place le médecin en responsabilité vis-à-vis de la loi ». Pour les jeunes de 6 à 15 ans, il propose un accord de bon usage des soins (AcBUS) spécifique et suggère de faire du tout-venant des certificats un espace de liberté tarifaire.
(1) A l'heure actuelle, les certificats prénuptiaux, cotés C, sont remboursés par l'assurance-maladie. On peut évaluer leur coût à quelque 4,4 millions d'euros.
(2) Le ministère de la Santé se base pour cette évaluation sur une étude menée par sa Direction de la Sécurité sociale (DSS) en février 2001, selon laquelle 0,5 % des consultations concernent la délivrance d'un certificat médical, ce qui correspond à une ardoise d'environ 14 millions d'euros. Il y ajoute ce que coûteront les futurs examens d'aptitude à la conduite.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature