Le Temps de la médecine :
Faites vos jeux
ROULETTE, machines à sous, loto, poker, courses de chevaux..., tout est bon pour le joueur. Bon, « parce qu'il s'agit de jeux d'argent, explique le Pr Michel Lejoyeux (hôpital Bichat, Paris). Le joueur pathologique est quelqu'un qui entretient des relations de l'ordre de la dépendance avec les jeux d'argent. Il se comporte comme l'alcoolique avec la boisson ». Sa dépendance est fondée sur une croyance profonde : la maîtrise du sort.
L'obsession du jeu est omniprésente dans la vie du joueur. Certes, il perd tout contrôle quand il entre dans une salle de jeu. Mais, au-delà de ces périodes intenses, les conséquences induisent des difficultés majeures au quotidien... qui ne l'empêchent pas de persister. « Il se trouve confronté à des problèmes sociaux, affectifs ou professionnels dus aux malversations auxquelles le conduit son addiction. Il lui faut obtenir de l'argent par tous les moyens, pour continuer. S'il passe un temps considérable à jouer, il en consacre aussi beaucoup à éponger ses dettes », constate le Pr Lejoyeux. Il évoque aussi la notion du plaisir, alter ego de la dépendance. Dans ce cas, il peut s'agir soit d'un plaisir de type masochiste, par la souffrance que procurent les ruines successives, soit d'un plaisir par l'excitation du jeu. « En fait, les deux sont probablement mêlés. »
Jeu « social », jeu pathologique.
Les définitions actuelles distinguent bien le jeu dit « social » ou récréatif, du jeu pathologique. Tout un chacun est déjà entré dans une salle de casino ou de machines à sous et y a perdu ce qu'il avait misé. Le joueur pathologique, et c'est ici la première différence fondamentale, n'en ressort pas en se disant « Tant pis ! ». Son objectif est d'y retourner pour rembourser ses dettes, « se refaire ». Ce sentiment, absurde aux yeux du joueur occasionnel, repose sur l'illusion d'une connaissance. C'est ici la deuxième différence entre le normal et le pathologique : il croit en des stratégies, des martingales. Le jeu ne repose plus sur le hasard. Il est maîtrisé par la connaissance de suites logiques de chiffres.
Pour expliquer le jeu pathologique, il y a plusieurs hypothèses. « La première, décrit le Pr Lejoyeux, est psychanalytique freudienne et renvoie à la notion de culpabilité. » Il s'agit d'une réflexion autour de Dostoïevski. Son père était apparemment infernal et l'écrivain russe en souhaitait la mort. « A son décès et selon Freud, poursuit le Pr Lejoyeux, Dostoïevski a éprouvé un intense sentiment de culpabilité. Pour la traiter, il a ressenti le besoin de se ruiner de façon répétée. Dans une approche psychanalytique, le joueur recherche l'ivresse de la perte pour amoindrir sa culpabilité. »
La deuxième hypothèse est comportementaliste. Elle se fonde sur la dépendance « au flash du gain, à la décharge d'adrénaline », ainsi que sur la conviction intime en de fausses croyances.
Plus actuelle, enfin, la théorie neurobiologique emprunte les pistes de l'addiction, de l'impulsivité. Elles mettent en jeu les récepteurs à la dopamine. « Les mêmes cibles biologiques prédestineraient au jeu, à l'alcool, aux psychopathologies. Mais les résultats des études sont très divers, peu synthétisables en un modèle précis », regrette le Pr Lejoyeux.
Thérapies comportementales.
Le traitement repose sur les thérapies comportementales. « Elles ont bénéficié d'évaluation et se montrent efficaces. Dans la moitié des cas environ, on note un arrêt du jeu ou au moins une stabilisation du comportement pathologique. » Elles fonctionnent sur un modèle proche de celui utilisé chez les alcooliques, avec une prise en charge soit en groupe, soit sur un mode individuel. Les éléments fondamentaux du traitement sont, tout d'abord, la correction des croyances. « Il s'agit de faire accepter au patient l'idée, hallucinante pour lui, que les suites de chiffres sont régies par le hasard et non par des lois complexes ; que les coups sont indépendants les uns des autres et que l'on ne maîtrise pas le sort. » L'autre versant thérapeutique utilise des exercices permettant de résister à l'envie. « Par exemple, le joueur doit entrer dans un casino, les poches pleines d'argent et en ressortir avec la même somme. » Comme dans toute addiction, des rechutes sont possibles. Notamment en intrication avec des conduites d'alcoolisation, « l'alcool lève les inhibitions et invite à rejouer », ou lors d'épisodes dépressifs.
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