De notre correspondant
B EAUCOUP de personnalités politiques ou religieuses associées au combat anti-IVG sont partagées au sujet de la recherche sur les cellules souches. L'un des tout premiers actes du président Bush, quand il est entré à la Maison-Blanche, a été de geler le financement fédéral de cette recherche. Ce qui lui a valu des critiques au sein même de la droite chrétienne.
Dans ce mouvement, en effet, une forte majorité se dégage qui récuse la confusion entre la fertilisation in vitro et les embryons qui se développent dans l'utérus de la femme enceinte. Dans un récent sondage, 57 % des personnes qui se déclarent fortement opposées à l'avortement se sont prononcées en faveur de la recherche sur les cellules souches. De même que 72 % des catholiques. L'ancien sénateur de Floride, Connie Mack, républicain et catholique, militant pro-life, a pris ses distances par rapport à l'Eglise. « Pour moi, déclare-t-il, tant que l'ovule fertilisé n'est pas destiné à être placé dans l'utérus, il ne peut pas devenir vivant. »
Le mal fait aux vivants
A une écrasante majorité, médecins et chercheurs américains sont favorables à la culture des cellules souches. Un biologiste, le Dr Irv Weissmann, de l'université de Stanford, estime que « toute personne opposée à la recherche sur les cellules souches sera responsable du mal qui aura été fait aux êtres humains que cette recherche peut aider. On veut sacrifier ces patients à des embryons congelés qui, de toute façon, seront détruits ».
La recherche sur les cellules souches a une bonne dizaine d'années, mais elle a été pendant longtemps limitée aux embryons d'animaux. Pour la première fois, en novembre 1998, des chercheurs de Johns Hopkins et de l'université du Wisconsin à Madison ont annoncé qu'ils avaient mis en culture des cellules souches humaines, qu'ils les avaient empêchées de se différencier et qu'ils les avaient multipliées tout en gardant leur pluripotence. C'était le début de l'aventure. Le mois suivant, le Dr John Gearhart, chef des chercheurs de Johns Hopkins, affimait devant une commission sénatoriale que les cellules souches pouvaient soigner la maladie d'Alzheimer, la maladie de Huntington, les AVC, les blessures à la moelle épinière, le diabète, la dystrophie musculaire. En décembre 2000, Gearhart, dont les travaux sont financés par Geron Corp., avait réussi à transformer des cellules souches humaines en dix sortes de cellules, y compris des cellules T, des cellules du tissu cardiaque et des cellules de l'épiderme.
On ne peut pas créer des organes
Il ne faut pas pour autant croire au miracle. Les espoirs de cultiver des organes entiers se sont évanouis. La greffe de cellules souches, en revanche, est efficace quand il s'agit de réparer, par exemple, un cartilage usé par l'arthrose ou un foie détruit par la cirrhose ou l'hépatite, ou de reconstituer la peau des grands brûlés.
Les chercheurs ont fait une autre découverte : des cellules adultes, que l'on croyait affectées à une seule fonction, sont capables de changer de « vocation » et de produire, in vitro, des cellules qui ont une autre fonction. Chez la souris, des cellules souches de la moelle osseuse ont produit des neurones, des cellules du foie et des cellules gastro-intestinales. Dans un cur endommagé de souris, des cellules de la moelle osseuse ont réparé le tissu cardiaque en se transformant en cellules du cur.
Du coup, ceux qui sont opposés à la culture des cellules d'embryons estiment que le problème est réglé et que l'on peut se contenter de recourir uniquement aux cellules adultes. « Pourquoi "tuer" qui que ce soit, s'exclame le sénateur Sam Brownback, hostile à la recherche sur les cellules souches, dès lors qu'on est en mesure de récolter des cellules adultes ? »
C'est vrai, reconnaît le Dr Fred Gage, du Salk Institute, de nombreuses études montrent qu'on peut prélever des cellules adultes, les cultiver in vitro et les transplanter dans une autre partie du corps où elles réparent l'organe défectueux. Malheureusement, les résultats de certaines de ces études sont controversés, et au moins une chercheuse, le Dr Margaret Goodman, de Baylor, a déclaré publiquement qu'elle ne croyait plus, comme elle l'affirmait il y a deux ans, que des cellules musculaires peuvent être transformées en cellules du sang.
Une demi-douzaine de colonies
Et c'est pourquoi les scientifiques observent avec avidité le développement d'environ une demi-douzaine de colonies de cellules qui se développent dans divers laboratoires à travers le monde. Ces colonies peuvent fournir des quantités infinies de cellules souches dont les usages seront multiples. « On peut même imaginer un système au sein duquel il ne sera plus du tout nécessaire de retourner aux embryons, déclare le Dr James Thomson, qui lui-même cultive l'une de ces colonies de cellules dans son laboratoire du Wisconsin. Franchement, il m'est très difficile de comprendre comment la destruction des embryons serait plus éthique que leur usage à des fins thérapeutiques. »
Ce qui est sûr, c'est qu'on n'en sait pas assez sur la culture des cellules et que la recherche doit être poussée plus avant, de manière à bien établir le rôle des cellules souches et celui des cellules adultes. Quoi qu'il en soit, le président Bush aura une décision difficile à prendre. Mais même s'il interdit le financement fédéral, les laboratoires privés poursuivront leurs travaux qui ne seront que ralentis.
Un rapport : oui à la recherche sur les cellules souches
Les cellules souches, en particulier celles provenant d'embryons humains, présentent un énorme potentiel pour le traitement de maladies aujourd'hui incurables, ce qui justifie une poursuite des recherches sur leurs applications thérapeutiques, selon un rapport scientifique de 222 pages.
« A ce jour, il est impossible de prédire quelles cellules souches (...) correspondent aux besoins de la recherche fondamentale et des applications cliniques. Les réponses résident clairement dans la poursuite des recherches », écrivent les auteurs de ce rapport publié par les Instituts nationaux de la santé (NIH), basés à Bethesda (Maryland).
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