De notre correspondante
à New York
C'est aux tropiques, principalement le long des rivières à débit rapide, que l'on trouve l'onchocercose. Treize millions de personnes en Afrique, en Arabie et en Amérique latine souffrent de cette maladie inflammatoire causée par la filaire Onchocerca volvulus, et transmise par la piqûre d'une mouche noire infectée. Après avoir été déposées sur la peau au point de piqûre, les larves Onchocerca se développent en vers adultes dans des nodules sous-cutanés.
Pendant les quatorze années de leur vie, les femelles libèrent des millions d'embryons de filaires (microfilaires) qui migrent dans le derme et envahissent l'il (régions antérieure et postérieure). Ainsi, les lésions sont le fait des microfilaires qui, lorsqu'elles meurent, déclenchent une réaction inflammatoire. Les lésions oculaires font toute la gravite de la maladie, provoquant une cécité progressive.
Toutefois, la filaire Onchocerca ne voyage pas seule. A tous les stades de leur cycle, ces vers contiennent un compagnon essentiel, une bactérie appelée Wolbachia. Cette bactérie « endosymbiotique » semble même indispensable pour une bonne reproduction des Onchocerca, comme l'ont découvert récemment des chercheurs ; à tel point qu'un traitement par tétracycline entraîne une réduction des microfilaires et améliore les lésions cutanées dans l'onchocercose (« Lancet », 2001).
Ayant en tête cette étroite connexion entre la filaire et la bactérie, une équipe internationale de chercheurs, dirigée par le Dr Eric Pearlman, de l'université de Cleveland dans l'Ohio, a cherché à déterminer quel rôle exact joue la bactérie dans le développement de l'onchocercose oculaire. Saint-André, Pearlman et coll. ont utilisé un modèle d'onchocercose cornéenne chez la souris. Ils ont injecté dans la cornée d'un groupe de souris des extraits solubles de filaires traitées par doxycycline (qui contiennent peu de bactérie Wolbachia) et, dans un autre groupe de souris, des extraits de filaires non traitées par l'antibiotique. Ils ont ensuite examiné les cornées au microscope confocal.
Il est clair, d'après les résultats, que la bactérie Wolbachia joue un rôle essentiel dans la pathologie oculaire. Les cornées exposées aux filaires traitées sont beaucoup moins épaisses et floues (indiquant moins d'dème et d'opacités) et moins infiltrées par les neutrophiles, comparées aux cornées exposées aux filaires non traitées. Ainsi, les réponses inflammatoires induites par les extraits des filaires traitées sont significativement atténuées.
En outre, montrent les chercheurs, le système immunitaire inné de l'hôte joue un rôle essentiel dans la réponse inflammatoire associée à l'onchocercose oculaire. En effet, les souris privées du récepteur fonctionnel TLR4 (Toll-Like Receptor 4), un récepteur crucial pour la réponse cellulaire au lipopolysaccharide bactérien (LPS), développent peu de signes de kératite lorsqu'elles sont exposées aux extraits de filaires chargées de Wolbachia.
« Chez les individus infectés, la réponse inflammatoire innée est donc probablement déclenchée par des molécules type endotoxines de Wolbachia, libérées par les microfilaires mortes ou mourantes. Ces endotoxines activent alors TLR4 sur les cellules épithéliales et les kératocytes de la cornée », expliquent les chercheurs. « Il est probable que l'activation de TLR4 entraîne la production de cytokines chimiotactiques dans la cornée et l'expression de PECAM-1 sur les vaisseaux du limbe cornéen, lesquels facilitent le recrutement des neutrophiles. »
Des implications thérapeutiques
Les implications thérapeutiques sont évidentes. L'élimination de la bactérie Wolbachia par une antibiothérapie comme la doxycycline pourrait non seulement stériliser les vers et réduire les microfilaires cutanées, mais aussi atténuer et prévenir l'onchocercose oculaire. C'est une bonne nouvelle. La lutte contre la « cécité des rivières », la seconde cause de cécité infectieuse, est actuellement menée sur deux fronts, avec des programmes qui cherchent à contrôler la dissémination de la mouche noire vectrice, et des programmes de distribution gratuite d'ivermectine, un agent filaricide. Toutefois, si ce traitement provoque une diminution marquée de la densité des microfilaires, son effet ne dure que six mois et il doit donc être donné de façon continue.
Il est à noter que la filaire Wuchereria bancrofti, responsable de la filariose lymphatique, contient elle aussi la même bactérie endosymbiotique. Dès lors, la doxycycline pourrait être aussi bénéfique dans cette parasitose.
« Science » du 8 mars 2002, p. 1892.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature