Après les repas
Mme C. Thérèse, née en 1927, est hospitalisée le 29 mai 2006, adressée par sa famille, pour des douleurs abdominales perdurant depuis deux mois. Ces douleurs, paroxystiques, s’accompagnent d’une anorexie marquée, de vomissements rares et de diarrhée. Ces troubles apparaissent essentiellement après les repas.
Lourds antécédents vasculaires
Cette patiente a de lourds antécédents vasculaires : elle porte les séquelles d’un AVC ischémique datant de 1990, sous forme d’un déficit de l’hémicorps gauche, marche avec une canne tripode. Elle a été en fibrillation auriculaire, elle est hypertendue traitée et prend des anticoagulants.
L’interrogatoire précise que ces douleurs sont très souvent postprandiales, plutôt précoces et s’accompagnent de diarrhée. Mme C. a fait un lien depuis longtemps entre ces douleurs et l’alimentation. Elle s’impose donc une restriction alimentaire. S’ensuit une altération progressive de l’état général chez cette femme de 79 ans, habituellement très dynamique.
Examen pauvre
L’examen clinique est plutôt pauvre et retrouve un abdomen sensible dans son ensemble, plus au niveau du flanc gauche. Sur le plan vasculaire, elle est équilibrée du point de vue tensionnel, et est en rythme sinusal.
Le bilan complémentaire réalisé commence par l’échographie abdominale normale, suivie d’une gastroscopie également normale : il n’existe pas d’explication ulcéreuse à ces douleurs de caractère postprandial. La colonoscopie ne retrouve qu’une diverticulose sigmoïdienne, non compliquée. Les biopsies coliques sont sans anomalie histologique. La biologie n’apporte rien de plus, tous les examens sanguins sont normaux, y compris les marqueurs tumoraux, la coproculture est normale.
L’évolution inquiète : Mme C. présente des épisodes douloureux de plus en plus intenses, nécessitant le recours à la morphine. La normalité de ces examens habituels nous conduits à envisager l’hypothèse d’un angor intestinal.
Test à la trinitrine
Cette douleur étant souvent nitrosensible, un test à la trinitrine sublinguale est alors réalisé : il est franchement positif, avec une disparition très rapide de l’accès douloureux. Le test a été renouvelé ainsi à plusieurs reprises.
Un scanner abdomino-pelvien avec injection documente un peu plus l’hypothèse diagnostique mettant en évidence des lésions athéromateuses de l’ostium du tronc coeliaque et de l’artère mésentérique. Il permet aussi d’éliminer une lésion rétro-péritonéale.
L’exploration écho-Doppler de cette artère confirme l’altération des flux distaux. Dans l’incertitude d’aboutir à un geste curateur, la décision de réaliser une artériographie mésentérique n’a pas été facile à prendre. Elle le fut après entretiens avec Mme C. et une longue réflexion de la famille.
Aortographie
Cet examen a été réalisé le 16 juin 2006 : aortographie avec injection sélective du tronc coeliaque réalisée par voie humérale gauche (Dr Fadi Alachkar, CHP Saint-Martin à Caen).
Le diagnostic ainsi affirmé et affiné avec précision, la discussion chirurgicale s’engage, en commençant par l’hypothèse d’un pontage chirurgical ; celui-ci est récusé, compte tenu du risque opératoire majeur, chez cette patiente affaiblie et amaigrie et surtout âgée de 79 ans. La décision est prise alors de tenter une recanalisation par voie endovasculaire... (Dr Sébastien Veron, CHP Saint-Martin, Caen). Ce geste est effectué par voie humérale au pli du coude gauche : après de très longues tentatives, il parviendra à cathétériser l’artère mésentérique supérieure et à réaliser une dilatation à l’aide d’un ballon 4-40, et ensuite un stenting à l’aide d’un Génésis 6-40. Le résultat est excellent, sans embol distal. La patiente est placée sous Hbpm et Kardégic. Depuis cette intervention qu’elle a admirablement supportée, Mme C. ne souffre plus du tout, elle a repris une alimentation qui se normalise progressivement et a retrouvé tout son tonus.
Commentaires
L’angor mésentérique est certainement sous-estimé dans sa fréquence d’observation, et il est d’expression clinique plus polymorphe que ne l’est l’insuffisance coronarienne.
• Le terrain. Il s’agit généralement des sujets âgés, polyathéromateux. Souvent, on retrouve des antécédents ischémiques associés – AVC, insuffisance coronarienne, ou artériopathie oblitérante des membres inférieurs.
• Facteurs de risques. Ce sont les mêmes que pour les autres localisations athéromateuses. Hypertension artérielle, dyslipidémie, diabète, tabagisme.
• La symptomatologie habituelle Les douleurs abdominales sont post-prandiales précoces, dans un délai de vingt à trente minutes après le repas. Elles sont la traduction de l’hypoxie des organes digestifs, sollicités par la digestion. Le patient non diagnostiqué finit par réduire son alimentation pour limiter les accès douloureux. Souvent, l’ischémie des muqueuses intestinales se traduit par des diarrhées, parfois sanglantes et, presque constamment, aussitôt après les repas.
• Le diagnostic. Evidemment, le diagnostic ne se pose pas d’emblée. Nombreux sont les patients admis dans nos services de médecine qui se plaignent de tels cortèges symptomatiques.
– Explorer par l’endoscopie le tube digestif est la première démarche que nous devons avoir. Rechercher une lésion ulcéreuse ou tumorale est la priorité. C’est la normalité de tous ces examens qui doit nous conduire à envisager l’ischémie chronique intestinale et conduire les explorations dans ce sens.
– On commence par l’examen écho-Doppler, dont la rentabilité reste très opérateur-dépendant, mais l’examen fondamental est l’artériographie spécifique du tronc coeliaque et de l’artère mésentérique... Cet examen doit être demandé et réalisé au terme de la collecte d’un faisceau d’arguments et en gardant à l’esprit que cet examen lourd doit déboucher sur la possibilité d’un geste curateur...
Brandt LJ. Maladies vasculaires de l’intestin. Traité de médecine interne, Cecil,1997.
Bouvry M. Syndrome d’ischémie intestinale chronique. Traité de médecine. Pierre Godeau, 1987. Vallet B, Lebuffe G, Leclerc J (CHU de Lille). Conférences d’actualisation, Société française d’anesthésie et réanimation, 1997.ZerbibP, Alarcon B, Caudalle P, Chambon JP. John Libbey. Eurotext. « Hépato-gastro », n° 5, 371, 8 octobre 1998.
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