PRATIQUE
Durée : un ou deux ans
Par définition, la période prodromale de la schizophrénie est comprise entre l'apparition des premières modifications comportementales (telles qu'une baisse des performances scolaires et un isolement social croissant) et la survenue des premiers symptômes psychotiques francs (par exemple, des hallucinations auditives et des idées délirantes de persécution).
La période prodromale dure habituellement un ou deux ans.
Période prémorbide non silencieuse
Rappelons que la schizophrénie résulte probablement d'un défaut dans le développement et la maturation du cerveau. Cette perturbation, favorisée en partie par une vulnérabilité génétique, serait très précoce, vraisemblablement antérieure à la naissance. Par la suite, l'action de facteurs de stress mal connus (antÉ-, péri- et pos-nataux, et pubertaires) sur un cerveau fragilisé par un développement défectueux aboutirait à la révélation des symptômes de la maladie chez l'adolescent. Il existe donc une période prémorbide d'une quinzaine d'années avant la période prodromale, cette dernière précédant elle-même l'éclosion de la psychose.
La période prémorbide n'est pas tout à fait silencieuse cliniquement. Déjà le Suisse Eugen Bleuler, qui créa le terme de schizophrénie en 1911, remarquait que tous ses camarades de classe qui devinrent par la suite schizophrènes étaient déjà un peu différents de leurs pairs dès l'enfance. Une étude israélienne (Davidson) a montré que les individus qui deviennent par la suite schizophrènes avaient déjà en moyenne des résultats inférieurs d'un écart type aux tests d'adaptation sociale et de QI lors de leur examen dans les centres de sélection de l'armée.
Symptômes positifs et négatifs atténués
La sémiologie prodromale, résumée dans différentes échelles cliniques comme la SOPS (Scale Of Prodromal Symptoms) proposée par l'équipe de McGlashan aux Etats-Unis, est caractérisée typiquement par l'apparition en quelques mois de symptômes schizophréniques (a) positifs et (b) négatifs sous une forme atténuée.
Les symptômes prodromaux positifs (a) regroupent des idées et des perceptions bizarres. Ce sont par exemple des idées de référence (se sentir menacé au collège ou dans les lieux publics par l'attitude ou les regards des autres qui paraissent dirigés contre soi), des préoccupations quasi délirantes pour son corps (fixation sur des boutons, une partie ou une fonction du corps) ou des expériences sensorielles inhabituelles quasi hallucinatoires (impression désagréable d'une présence derrière soi qui n'est plus là quand on se retourne pour vérifier, vision d'une forme en mouvement derrière la fenêtre, audition fugace et vite critiquée de bruits de moteur ou de l'appel de son prénom).
Les symptômes prodromaux négatifs (b) peuvent être un isolement social et l'abandon de fréquentations en dehors de la famille proche, des difficultés à se concentrer sur un travail intellectuel et à utiliser des concepts abstraits entraînant une chute des résultats scolaires (le jeune est mal à l'aise car les cours du professeur lui sont devenus inintelligibles et il ne va plus au lycée), un discours qui devient moins spontané et plus réduit.
Non spécifique
Une difficulté vient du fait que ces symptômes ne sont pas spécifiques. Ils permettent de soupçonner le diagnostic, plutôt que de l'affirmer, quand le comportement d'un jeune devient incompréhensible. Que faut-il penser, par exemple, de Robert St. qui vient de tuer 16 personnes dans son lycée d'Erfurt et dont on dit qu'il s'isolait et ne fréquentait plus personne depuis quelque temps ?
Faut-il traiter ?
Faut-il traiter dès l'apparition des prodromes?
On sait en tout cas qu'il faut traiter, au plus tard, dès l'apparition des premiers symptômes manifestes de schizophrénie. La plupart des études indiquent en effet que la latence de la réponse au traitement médicamenteux et le déficit résiduel en fin d'évolution sont proportionnels à la durée de psychose non traitée (c'est-à-dire au délai séparant l'éclosion des symptômes psychotiques francs de l'instauration du traitement). L'expérience montre que la durée de psychose non traitée est souvent proche d'un an et que des progrès sont possibles pour réduire cette durée par un diagnostic plus précoce. Un traitement antipsychotique rapide chez un jeune qui hallucine ou délire augmente les chances d'avoir une rémission symptomatique de bonne qualité après le premier épisode morbide.
La gravité de la schizophrénie tient notamment à l'évolution fréquente vers un déficit cognitif et une baisse des performances professionnelles et sociales. Ce déficit progresse probablement avant même l'éclosion symptomatique franche de la maladie, et on peut donc se demander si un traitement dès la phase prodromale ne va pas permettre d'enrayer l'évolution vers un déficit résiduel chronique. La question du traitement antipsychotique « avant la psychose » est aussi posé par la célèbre étude de McGlashan qui a montré chez des adolescents australiens qu'un traitement « préventif » par de faibles doses d'un antipsychotique était bien plus efficace que le placebo pour prévenir la conversion de symptômes prodromaux en symptômes schizophréniques francs.
Pas d'avis unanime
Toutefois, s'il y a un consensus sur le traitement précoce de la schizophrénie manifeste, il n'y a pas encore d'avis unanime sur le traitement des prodromes. Une difficulté vient du nombre élevé de faux positifs - c'est-à-dire d'individus qui n'auraient de toute façon pas évolué vers une schizophrénie - que l'on pourrait être amené à traiter par des antipsychotiques selon cette approche. En effet, les signes prémorbides et prodromaux de schizophrénie sont peu spécifiques. Ils sont fréquents dans la population, alors que la schizophrénie elle-même n'a une prévalence que de 1 %. Ils sont avérés par des études rétrospectives chez des patients schizophrènes, mais ils ont peu de pouvoir prédictif chez un jeune encore indemne. Enfin, il n'est pas certain que les médicaments antipsychotiques, utilisés dans la schizophrénie, soient le seul choix pour la phase prodromale. Des études sont en cours avec d'autres types de produits.
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