Rappels sur la motilité oculaire
Le nerf optique et les voies visuelles transmettent l’information reçue par la rétine au cortex visuel.
Le système sensoriel génère une image rétinienne et la transmet vers des centres supérieurs. Le système moteur est assuré par les quatre muscles droits, supérieur, inférieur, latéral et médial, et par les deux muscles obliques, supérieur et inférieur. L’insertion de ces muscles par rapport au globe oculaire, et plus particulièrement à l’équateur, détermine la direction de leur traction. Ce système moteur dirige les deux yeux vers l’objet afin que la même image s’élabore sur les deux rétines. Ainsi, le cerveau peut traiter cette information en vision binoculaire.
La vision binoculaire présente trois niveaux distincts :
– la vision simultanée : les rétines des deux yeux perçoivent deux images simultanément, normalement sur la foveola, point central de la macula où l’acuité visuelle est maximale et la plus fine ;
– la fusion : les deux images rétiniennes se fondent en une perception unique si les deux rétines transmettent au cortex visuel deux images strictement identiques ;
– la vision stéréoscopique qui permet la perception de la profondeur.
Les exotropies précoces
L’exotropie précoce ou strabisme divergent est une déviation externe de l’axe visuel, survenant de la naissance à la deuxième année de vie. Elles sont plus rares que les ésotropies (strabismes convergents) de l’enfant.
Elles peuvent être, soit primitives isolées, soit secondaires, intégrées dans un contexte d’anomalies oculaires, neurologiques, de prématurité, de craniosténoses ou de traumatisme. Ainsi, face à une divergence précoce, il est absolument nécessaire d’éliminer d’abord une cause oculaire organique (cataracte congénitale et surtout rétinoblastome : d’où l’importance du fond d’oeil lors de l’examen initial), une cause oculomotrice, de rechercher une anomalie neurologique associée (souffrances foetale et néonatale, infirmité motrice cérébrale), puis de vérifier la morphologie crânienne.
Les signes cliniques
La déviation est en général importante et variable. Elle est le plus souvent constante, plus fréquemment isolée et de grand angle, ou associée à une déviation verticale dissociée (DVD), une hyperaction des obliques inférieurs, un nystagmus optocinétique (NOC) ou manifeste latent (NML) ; la vision binoculaire est toujours absente. Exceptionnellement, la déviation est intermittente et, dans ce cas, l’interrogatoire des parents est déterminant.
L’amblyopie survient dans environ 10 % des cas de divergence, et il existe alors une anisométropie (différence du pouvoir de réfraction entre les deux yeux) associée.
Etiopathogénie
Les mécanismes de divergence sont complexes. Parmi les différentes explications, on retiendra : des facteurs anatomiques (Bielschowsky), liés au développement de l’orbite et plus précisément à sa profondeur et sa croissance, à leur frontalisation, à la longueur et l’insertion des muscles ; en effet, l’axe au troisième mois passe de 180° à 105°, pour être à 71° à la naissance puis à 68° chez l’adulte ; l’hypertélorisme, isolé ou associé à d’autres aberrations chromosomiques ; certaines craniosténoses syndromiques ; des facteurs innervationnels.
Les facteurs de risque
– L’hérédité : il existe une prédisposition familiale au strabisme ; «les loucheurs sont engendrés par les loucheurs», écrivait déjà Hippocrate. En réalité, et plus exactement, les anomalies de la réfraction, « l’hérédité anthropologique » des axes orbitaires sont surtout prédisposants ;
– la prématurité, qui expliquerait la prévalence du strabisme précoce chez ces enfants ; les lésions peuvent être sévères, latentes, minimes ou régressives ;
– les lésions neurologiques en particulier les atteintes périnatales corticales et sous-corticales, d’où l’intérêt de l’IRM au moindre doute ; tout facteur intervenant de façon délétère sur la maturation du cerveau peut entraîner un strabisme précoce ;
– les anomalies crâniennes ;
– les facteurs environnementaux lors de la grossesse ou de l’accouchement.
L’exotropie précoce congénitale primitive
Lorsqu’elle apparaît chez de jeunes enfants avec un système visuel immature, le développement d’une neutralisation bitemporale empêche la diplopie. L’exophorie – ou strabisme divergent latent – devient progressivement une exotropie intermittente, pour s’installer finalement de manière constante. De façon caractéristique, ces enfants ferment un oeil à la lumière vive ou à l’illumination directe ; ce signe précède ou accompagne l’apparition d’une exodéviation.
Chez ces jeunes enfants, on peut rencontrer :
– une exotropie intermittente type excès de divergence : plusieurs études (Costenbader sur 472 cas, N. Jeanrot sur 172 cas) montrent que le début apparaît le plus souvent très tôt la première année de vie ;
– une exotropie constante, débutant très tôt après la naissance, avec une déviation de grande amplitude, égale en vision de loin et en vision de près.
La DVD et l’hyperaction des obliques inférieurs sont fréquentes, ainsi que la fixation en adduction et l’asymétrie temporo-nasale du NOC. Il n’y a pas de vision binoculaire.
Ces deux types de divergence ne doivent pas être confondus avec l’exodéviation modérée et transitoire de nombreux nouveau-nés.
Plusieurs facteurs de risque environnementaux – prise d’antibiotiques, infections, alcool, tabac, anomalies de la grossesse et de la délivrance – peuvent jouer un rôle dans la genèse d’un strabisme.
De même pour l’hérédité qui possède un rôle significatif dans les exodéviations ; l’origine génétique est multifactorielle et, par ailleurs, un antécédent familial est souvent retrouvé à l’interrogatoire.
Les autres formes cliniques
–Exotropies précoces sensorielles: ce sont les strabismes divergents sur amblyopie organique unilatérale, survenant donc sur un oeil profondément malvoyant ; celui-ci part en divergence (notamment si la cause est maculaire) ou en convergence (surtout si la cause est papillaire).
–Exotropies précoces et lésions neurologiques (anomalies congénitales ou lésions acquises du SNC) : tout facteur intervenant de façon délétère sur la maturation du cerveau peut entraîner un strabisme précoce. L’exotropie est plus fréquente en cas de lésions périnatales corticales que sous-corticales (62 % des cas versus 32 % dans l’étude de Brodsky sur 100 enfants.
Par ailleurs, l’exotropie est de l’ordre de 18 % dans les causes de cécité corticale chronique ; les enfants atteints peuvent aussi présenter des crises d’épilepsie et des insuffisances motrices d’origine cérébrale.
Chez les enfants infirmes moteurs cérébraux, le strabisme est soit constant en éso- ou exotropie, soit passe d’éso- à exotropie, pour devenir uniquement divergent avec l’âge (E. Buckley, 1981).
Un bas poids de naissance (inférieur à 2 000 g) et une hydrocéphalie favorisent aussi la survenue d’exotropies précoces.
Toutes ces lésions neurologiques justifient la nécessité d’un bilan neuropédiatrique et neuroradiologique au moindre doute.
–Exotropies précoces et prématurité : les particularités ophtalmologiques physiologiques de l’enfant expliquent l’incapacité visuelle par l’immaturité neurologique ; l’expérience visuelle progressive entraînera la maturation sensorielle.
Cette différence entre immaturité des récepteurs et des centres visuels, et apprentissage précoce de l’expérience sensorielle fait du prématuré un candidat au strabisme précoce (plus souvent à type d’ésotropie).
–Exotropies et malformations crâniennes : lors de la genèse, le facteur anatomique prédomine, la divergence des orbites entraînant celle des globes oculaires, mais il existe des anomalies musculaires qui peuvent expliquer aussi la divergence oculaire. Par exemple, dans les syndromes de Crouzon, certaines séries ont rapporté 100 % d’exotropies par divergence orbitaire.
Par ailleurs, l’hypertélorisme – augmentation de l’écart intercaronculaire qui est supérieur à la longueur de la fente palpébrale – soit isolé, soit dans le cadre de nombreuses anomalies chromosomiques, est très souvent associée à une exotropie.
–Exotropie paralytique : le tableau clinique typique est celui d’une divergence monoculaire avec torticolis, limitation d’adduction, d’abaissement, ptôsis et mydriase. Ces signes sont présents à des degrés variables selon que la paralysie est partielle ou totale.
–Exotropie fibrosique : la déviation, due à une fibrose congénitale des muscles oculomoteurs, est une exotropie avec ptôsis bilatéral et torticolis tête en extension.
L’amblyopie et les troubles réfractifs sont fréquents.
Il existe une classification génétique avec trois formes.
Les facteurs traumatiques
Un traumatisme à la naissance (déchirure de la membrane de Descemet due à l’extraction par forceps) avec amblyopie anisométropique peut provoquer une exotropie précoce par inégalité sensorielle.
Le traitement
Le traitement consiste essentiellement à prévenir ou traiter l’amblyopie.
Dans l’exotropie congénitale, un traitement chirurgical, en général par recul des droits latéraux, est envisagé par la suite. Certains, notamment en Espagne, proposent la toxine botulique avec 50 % de réussite.
L’âge est discuté : pour certains auteurs, une correction chirurgicale avant quatre ans produirait de meilleurs résultats qu’une chirurgie plus tardive.
Mais chez ces enfants jeunes, une petite surcorrection peut conduire à une ésotropie avec monofixation, augmentant le risque d’amblyopie légère. Pour le Pr Danièle Denis, la chirurgie est effectuée après l’âge de quatre ans.
Un résultat satisfaisant est fondé sur l’angle de déviation : entre orthotropie et 8-10 dioptries prismatiques ; dans le service de l’hôpital Nord, ce résultat existe dans 60 % des cas avec une chirurgie, et dans 82 à 90 % des cas après une deuxième chirurgie.
D’après la communication du Pr D. Denis (CHU Nord, Marseille).
9e Cours de strabologie « Les strabismes divergents », organisé par le Pr D. Denis.
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