Des manifestations cliniques très polymorphes

Ce qu'il faut savoir sur les carences en vitamine B12

Publié le 19/10/2008
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Quelle définition ?

En 2008, la définition de la carence en vitamine B12 reste une problématique non résolue pour le praticien. L'encadré 1 reprend les principales définitions proposées dans la littérature (1). En pratique, l'item 3 semble à privilégier pour affirmer une carence en vitamine B12. Toutefois, sa pertinence est discutable, notamment chez le sujet âgé, en raison de la prévalence élevée des manifestations neuropsychiatriques ou des anomalies hématologiques (2). En théorie, l'item 2 est le plus pertinent, l'homocystéine et acide méthyl malonique étant des marqueurs de carence fonctionnelle en vitamine B12 (2), mais ces dosages ne sont pas toujours disponibles et ne sont pas remboursés.

Quel spectre clinique ?

Le spectre des manifestations cliniques des carences en vitamine B12 s'est enrichi ces dernières années. Les principales manifestations sont reprises dans l'encadré 2. Elles sont extrêmement polymorphes et de gravité variable, associant classiquement des manifestations neuropsychiatriques à des anomalies hématologiques (1, 2). Sur le plan pratique, il faut noter que la carence en vitamine B12 met plusieurs années avant de se révéler (plus de cinq ans) et que les manifestations neuropsychiatriques peuvent être isolées (sans anomalie de l'hémogramme) et sont fréquemment irréversibles (aggraver par des apports intempestifs en folate) (2). Comme l'illustre l'encadré 2, les relations et liens potentiels entre carence en vitamine B12 et un certain nombre de manifestations cliniques : tableaux démentiels, maladie thromboembolique veineuse, athérome (cardiopathie ischémique, accident vasculaire cérébral ischémique) et hypofertilité ou pertes foetales inexpliquées sont en cours d'étude (1, 2).

Quelle étiologie ?

Chez l'adulte, les étiologies des carences en vitamine B12 sont représentées classiquement par les malabsorptions, les carences d'apport et la maladie de Biermer, exceptionnellement par les maladies héréditaires du métabolisme des cobalamines (déficit en cubiline) (1, 2). Récemment, il a été mis en évidence une nouvelle étiologie des carences en vitamine B12 : le syndrome de non-dissociation de la vitamine B12 de ses protéines porteuses ou mal-digestion des cobalamines alimentaires (1-3). Ce syndrome est caractérisé par une incapacité à libérer la vitamine B12 des protéines alimentaires et/ou des protéines intestinales de transport, notamment dans les situations d'hypochlorhydrie, l'absorption de la vitamine B12 « non liée »étant normale (test de Schilling normal) (1-3). L'encadré 3 reprend les principaux agents et désordres associés. Il s'agit de la principale étiologie des carences en vitamine B12 chez l'adulte (3). Comme l'illustre ce tableau, ce syndrome est en pratique avant tout un diagnostic d'exclusion (1, 3). L'encadré 4 explicite une démarche diagnostique pragmatique qui peut être proposée pour explorer une carence en vitamine B12 (2).

Quelle prise en charge thérapeutique ?

Le traitement des carences en vitamine B12 repose classiquement sur l'administration parentérale – habituellement intramusculaire pour éviter les allergies – de cette vitamine, sous forme de cyanocobalamine, plus rarement d'hydroxocobalamine (non disponible dans cette indication en France), et cela en dehors des carences nutritionnelles (1, 2). Afin de recharger rapidement les stocks tissulaires vitaminiques, l'administration de 1 000 µg de cyanocobalamine par jour pendant 1 semaine, puis 1 000 µg par semaine pendant 1 mois, puis 1 injection de la même dose mensuelle, voire tous les deux à trois mois, est recommandée en France, et ce habituellement à vie, en particulier dans la maladie de Biermer (1).

En dehors des carences d'apport, il faut noter que d'autres voies d'administration de la vitamine B12 ont été récemment proposées comme les voies orale, sublinguale et nasale (1, 2, 4). Cela repose sur le fait que plus de 1 % de la vitamine B12 est absorbé, selon les individus, par un mécanisme de diffusion passive (1). Des travaux récents ont démontré une efficacité de la vitamine B12 administrée par voie orale, notamment dans le cadre du syndrome de mal- digestion des cobalamines alimentaires et dans celui de la maladie de Biermer (1). Cette efficacité a surtout été documentée sur les manifestations hématologiques. L'encadré 5. Néanmoins sur le plan pratique, les modalités de ce traitement oral par vitamine B12 ne sont pas encore totalement validées : dose, schéma, durée du traitement... indications ? De plus, l'efficacité au long cours de ce traitement par vitamine B12 per os n'est pas encore validée par des études répondant aux critères de la médecine factuelle(Evidence Based Medicine). Une revue récente du groupe de travail COCHRANE invite à la prudence (http://www.cochrane.org/reviews/en/ab004655.html), même si elle valide le concept.

Remarquons néanmoins que l'utilisation de la vitamine B12 se fait depuis de longues années et en routine dans les pays nordiques, en particulier en Suède (1, 2) et tend à se généraliser au Canada. Toutefois, elle reste méconnue des cliniciens, a des détracteurs et reste peut-être le secret le mieux gardé en médecine ?

• Remerciements à la Fondation de France pour son soutien via le prix Robert et Jacqueline Zittoun pour l'année 2004, au titre de la connaissance des anémies et des anomalies du métabolisme de la vitamine B12 et des folates.

Références
1) Andrès E, Vidal-Alaball J., Federici L., Loukili N.H., Zimmer J., Affenberger S. et coll. B12 deficiency : a look beyond pernicious anemia. « J Fam Pract » 2007;56: 537-42.
2) Andrès E. , Loukili N.H., Noel E., Kaltenbach G., Ben Abdelgheni M., Perrin A.E. et coll. Vitamin B12 (cobalamin) deficiency in elderly patients. « CAMJ » 2004; 171:251-60.
3) Andrès E., Perrin A.E., Demangeat C., JKurtz .E., Vinzio S., Grunenberger F. et coll. JL. The syndrome of food-cobalamin malabsorption revisited in a Department of Internal Medicine. A monocentric cohort study of 80 patients. « Eur J Intern Med » 2003;14:221-6.
4) Andrès E., Kurtz J.E., Perrin A.E., Maloisel F. , Demangeat C., Goichot B. et coll. Oral cobalmin therapy for the treatment of patients with food-cobalamin malabsorption. « Am J Med » 2001;111:126-9.

1. Les définitions de la carence en vitamine B12*

– Vitamine B12 sérique < 200 pg/ml (sur 2 prélèvements).

– Vitamine B12 sérique < 200 pg/ ml + homocystéine totale sérique > 13 µmol/l (en l'absence d'insuffisance rénale et de déficits en folate et vitamine B6) ou vitamine B12 sérique < 200 pg/ml + acide méthyl malonique > 0,4 µmol/l.

– Vitamine B12 sérique < 200 pg/ ml + signes cliniques (neurologiques) et/ou anomalies hématologiques.

* Références 1, 2 de fin de texte.

2. Les principales manifestations

Manifestations hématologiques
- Fréquentes : macrocytose, hypersegmentation des neutrophiles, anémie macrocytaire arégénérative, mégaloblastose médullaire (« moelle bleue »).
- Rares : thrombopénie et neutropénie isolées, pancytopénie.
- Exceptionnelles : anémie hémolytique, tableau de microangiopathie thrombotique (présence de schizocytes).
Manifestations neuro-psychiatriques
- Fréquentes : polynévrites (surtout sensitives), ataxie, signe de Babinski.
- Classiques : sclérose combinée de la moelle.
- Rares : syndrome cérébelleux, atteintes des nerfs crâniens dont névrite optique, atrophie optique, incontinence urinaire et/ou fécale.
- En cours d'étude : altérations des fonctions supérieures voire démences, accident vasculaire et athérosclérose (hyperhomocystéinémie), syndromes parkinsoniens, dépression, épilepsie.
Manifestations digestives
- Classiques : glossite de Hunter, ictère et élévation des LDH et de la bilirubine
(« avortement intramédullaire »).
- Liens discutables : douleurs abdominales, dyspepsie, nausées et vomissements, diarrhées, troubles fonctionnels intestinaux.
- Rares : ulcères cutanéo-muqueux rebelles et/ou récidivants.
Manifestations gynéco-obstétriques
- Discutables : atrophie de la muqueuse vaginale et infections chroniques vaginales (surtout mycoses) et/ou urinaires.
- En cours d'étude : hypofertilité et avortements à répétition.
Autres
En cours d'étude : maladie thromboembolique veineuse et angor ( via l'hyperhomocystéinémie).

3. Syndrome de non-dissociation ou mal digestion

1. Concentration sérique de vitamine B12 < 200 pg/ml.

2. Test de Schilling standard (avec de la cyanocobalamine libre marquée au cobalt-58) normal.

3. Pas de carence nutritionnelle en vitamine B12 (apport > 5 µg par jour).

4. Existence d'un facteur prédisposant à la carence en vitamine B12 :

– gastrite atrophique, infection chronique à Helicobacter pylori, gastrectomie, by-pass gastrique,

– insuffisance pancréatique exocrine (éthylisme, mucoviscidose),

– éthylisme chronique,

– prise d'anti-acides (anti-histaminiques 2 ou inhibiteurs de la pompe à protons) ou de biguanides (metformine),

– pullulation microbienne, sida,

– Sjögren, sclérodermie

– « Idiopathique » : lié à l'âge ou au déficit congénital en haptocorrine.

4. Exploration d'une carence en vitamine B12

Affirmer le diagnostic de carence en vitamine B12:

déterminer la vitamine B12 sérique (± homocystéine totale).

=>Éliminer une carence d'apport:

chercher des stigmates cliniques de dénutrition (réaliser une enquête alimentaire).

=>Éliminer une malabsorption:

rechercher des éléments anamnestiques et cliniques.

En cas de forte suspicion, réaliser un test de Schilling (si disponible).

=>Éliminer une maladie de Biermer:

– en 1re intention : rechercher des anticorps anti-facteur intrinsèque et anti-cellules pariétales gastriques sériques ;

– en 2e intention : réaliser une gastroscopie avec biopsies (systématiquement pour éliminer un cancer gastrique), voire un test de Schilling avec facteur intrinsèque (si disponible).

n Affirmer le diagnostic de syndrome de non-dissociation ou mal digestion de la vitamine B12 de ses protéines porteuses:

– en 1re intention : réaliser un test de Schilling (si disponible) et rechercher un(des) facteur(s) favorisant(s).

– en 2e intention : traitement d'épreuve par 125 µg par jour de cyanocobalamine per os pendant au moins un mois.

5. Administration par voie orale (cyanocobalamine)

Traitement d'attaque

– pour les carences d'apport et les non-dissociations :

vitamine B12 : de 500 à 1 000 µg par jour pendant 1 mois ;

– pour la maladie de Biermer :

vitamine B12 : 1 000 µg par jour.

Traitement d'entretien

– pour les carences d'apport et les non-dissociations :

vitamine B12 : de 125 à 500 µg par jour ;

– pour la maladie de Biermer :

vitamine B12 : 1 000 µg par jour.

&gt; Pr EMMANUEL ANDRÈS Service de médecine interne, diabète et maladies métaboliques de la clinique médicale B, hôpitaux universitaires de Strasbourg

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8443