REFERENCE
1) Description histologique
Les études anatomiques des remaniements osseux postradiques manquent de spécificité avec une raréfaction progressive en ostéocytes et ostéoblastes à l'origine d'une diminution de la production de matrice osseuse, associée à un remplacement cellulaire incomplet. En phase de constitution lésionnelle, l'os irradié présente des signes d'ostéoporose avec amincissement des travées osseuses, compensée par un tissu conjonctif fibreux. En phase de lésion constituée, l'os radique a une structure trabéculaire de type pagétoïde, qui combine des foyers d'ostéogenèse au sein de plages étendues d'ostéolyse, de néovascularisation et de fibrose médullaire. En phase évoluée d'ORN proprement dite, avec dévitalisation des travées osseuses, peuvent s'associer fracture spontanée et foyer infectieux, avec des poussées successives d'ostéogenèse et d'ostéolyse. Les fractures siègent le plus souvent à la jonction de la zone d'ostéopénie et d'os sain.
2) Physiopathologie
La physiopathologie des lésions osseuses radio-induites s'oriente vers deux hypothèses pathogéniques complémentaires : vasculaire par ischémie-hypoxie et osseuse fibroatrophique. Le rôle d'un phénomène vasculaire a été rapporté, étayé par des images de thrombose artériolaire avec fibrose intimale, ou d'hypoxie enregistrée au niveau de la moelle osseuse d'os long après irradiation chez l'animal. Cependant, l'existence de lésions disséminées à l'ensemble du champ d'irradiation, et non pas systématisées comme après les lésions nécrotiques d'origine vasculaire pure, constitue un argument contre un mécanisme exclusivement vasculaire segmentaire. L'hypothèse fibroatrophique radio-induite apporte un éclairage différent par dégradation excessive et/ou défaut de synthèse osseuse à partir du foyer inflammatoire initial. Tout stress oxydatif ultérieur surajouté peut accentuer la production de radicaux libres, contribuant à l'extension et à la densification de la fibrose radio-induite.
Au total, le tissu osseux irradié répare le plus souvent un traumatisme radio-induit, avec pour témoignage une ostéoporose tardive pouvant s'apparenter à un vieillissement prématuré. A l'inverse, l'ORN est l'aboutissement d'un processus pathologique progressif de destruction cellulaire et matricielle osseuse mal compensée par une ostéogenèse défectueuse, au profit d'un tissu cicatriciel de fibrose radio-induite composée de fibroblastes et de matrice collagénique.
3) Principes thérapeutiques
La prise en charge thérapeutique des ORN doit prendre en compte que l'os irradié est de mauvaise qualité, mais qu'une réparation osseuse semble possible. Dans les cas d'ORN peu évoluée, le traitement consiste à limiter les facteurs d'aggravation associés. Dans les cas évolués avec séquestre osseux, seule l'élimination mécanique chirurgicale du tissu « mort » peut être proposée. Cependant, les tissus adjacents irradiés fragiles peuvent être agressés de surcroît par un geste local et se nécroser à leur tour. Aussi, les gestes chirurgicaux sont en général larges et prennent appui sur des zones saines non antérieurement irradiées. Enfin, même si l'irradiation est ancienne, les tissus en volume irradié en gardent le « souvenir » à vie. Un traitement novateur serait donc, non pas de supprimer l'agent causal disparu, mais d'aider à la réparation des tissus blessés apparemment sains par la voie des antioxydants.
En l'absence de lésion fracturaire, le traitement symptomatique repose sur des mesures hygiéno-diététiques, le repos fonctionnel de l'os atteint, une association corticoïdes-antibiotiques pour un os exposé et des antalgiques souvent de type morphinique. Le traitement médical de l'ORN mandibulaire repose en première intention sur les soins locaux tels que l'arrêt de l'imprégnation alcoolo-tabagique et des bains de bouche (associant bicarbonates 14 pour 1 000, antiseptique et amphotéricine B), associés à une antibiothérapie à spectre buccal et à une bonne pénétration osseuse (type amoxicilline-acide clavulanique ± quinolone...), avec un antifongique systémique oral (fluconazole 50 mg/j), et une corticothérapie brève (méthylprednisolone 16 mg/j) poursuivie pendant deux à quatre semaines.
L'oxygénothérapie hyperbare (O2HB) est une thérapeutique onéreuse et peu accessible, proposée dans les formes sévères d'ORN afin d'obtenir une stabilisation, voire une amélioration des symptômes. Elle est également proposée comme traitement adjuvant postopératoire des ORN sévères.
Le traitement chirurgical des ORN du bassin est en général techniquement lourd, nécessitant des exérèses larges, avec des résultats peu satisfaisants du fait de l'altération de la vascularisation secondaire à l'irradiation. La couverture du lit opératoire par des muscles irradiés scléreux et dévascularisés limite l'accessibilité des antibiotiques au site opératoire et expose ce dernier à une absence de cicatrisation (risque de pseudarthrose). Les risques de complication sont réduits par l'utilisation d'autogreffe microvascularisée chez le sujet jeune à pronostic conservé. Le traitement chirurgical de l'ORN mandibulaire symptomatique et d'aggravation progressive est proposé aux échecs du traitement médical et de l'O2HB.
La voie des traitements antioxydants a été récemment proposée à partir de travaux développés dans la fibrose radio-induite avec l'association pentoxifylline (PTX)-tocophérol (vitamine E). Dans une étude de phase II, puis récemment dans une étude randomisée, nous avons administré concomitamment PTX (400 mg x 2/j) et vitamine E (500 UI x 2/j) chez des patientes antérieurement irradiées pour cancer et présentant une fibrose superficielle radio-induite mesurable. Une régression clinique significative des lésions était en moyenne de 53 % en surface à six mois et de 66 % à douze mois, confirmée par une étude expérimentale chez le porc. L'adjonction à cette association d'un disphosphonate (clodronate 1 600 mg/j) à action antiostéoclastique limitant la destruction osseuse a permis d'obtenir des cicatrisations complètes en trois à six mois chez des patients souffrant d'ORN mandibulaire extériorisée ou du sternum et des os longs en échec d'un traitement médical et/ou d'HBO.
4) Conclusion
L'ORN est un problème thérapeutique majeur. Elle implique une destruction osseuse excessive associée à un défaut de synthèse osseuse, compensé par une fibrose radio-induite. La thérapeutique utile à ce jour semble, outre l'exclusion des facteurs d'aggravation, pouvoir bénéficier de cette vision physiopathologique nouvelle fondée sur un traitement antiostéoclastique (disphosphonate) associé à un traitement antifibrosant (pentoxifylline-tocophérol).
Bibliographie
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