PRATIQUE
Besoin impérieux de se gratter
Il se définit comme l'ensemble de sensations conduisant au besoin impérieux de se gratter. Il est symptomatique, secondaire à une cause précise, ou bien idiopathique une fois sur deux lorsque aucune explication n'est trouvée. Le plus souvent, il s'observe alors dans un contexte d'hyperméticulosité, de stress, d'hystérie et de troubles phobo-obsessionnels. La recherche d'une étiologie s'effectue en plusieurs étapes.
Recherche de signes sémiologiques
L'interrogatoire bien mené, par un praticien averti, précise la chronologie des manifestations et contraintes étroitement liées au prurit. Il recherche des signes sémiologiques précis : douleur, trouble de la défécation, suintement clair ou trouble, hémorragie, tuméfaction permanente ou réductible. Il renseigne sur les manifestations locorégionales associées, les troubles digestifs, génito-urinaires, généraux (respiratoires, cardio-vasculaires, alimentaires).
Position genu-pectorale
L'examen clinique visuel s'effectue en position genu-pectorale avec un éclairage adapté. Il permet d'observer les modifications de la muqueuse anale, de la semi-muqueuse et de la peau environnante (érythème, œdème, érosion, ragade, etc.). Il confirme la présence de suintements, de tumeurs ou de dermatoses : eczéma, lichen plan, lichen scléreux, psoriasis, s'accompagnant souvent de lésions sur le reste du corps. Le grattage intense peut être responsable de lichénifications et d'excoriations.
Trois types d'étiologie
Ainsi, à ce stade de l'examen, sont individualisables trois types d'étiologie.
1. Les causes irritatives et allergiques
L'anus est une zone de sphincters et de transition de la muqueuse anale à la muqueuse cutanée. Passage obligé des matières fécales, celles-ci peuvent déclencher une irritation dans 40 % des cas. Les germes fécaux libéreraient des endopeptidases et des substances prurigènes dans un milieu alcalin. La macération anale, l'hypersudation du sillon interfessier et une hygiène insuffisante favorisent toutes sortes d'incidents irritatifs et de surinfection. Les causes irritatives et allergiques sont de loin les plus fréquentes. Elles devancent les étiologies infectieuses et les inflammations cutanées. Elles représentent entre 15 et 20 % des causes du prurit anal.
Il s'agit de :
- causes hygiéniques : savon antiseptique, déodorant, parfum, papier de toilette, produit coloré, parfumé ;
- causes médicamenteuses : gels, crèmes, pommades, solutions, suppositoires, antiseptiques, anesthésiques, antibiotiques, antihistaminiques, anti-inflammatoires, antihémorroïdaires ;
- parmi les causes vestimentaires, les produits synthétiques, comme le Nylon, le Tergal, sont très irritants, de même que le caoutchouc, les vêtements teints, les protections périodiques, mais aussi les sous-vêtements serrés hermétiques, les préservatifs. Les enquêtes allergologiques avec réalisation de patch-tests cutanés peuvent permettre de confirmer certaines étiologies. Les plus fréquentes sont les caïnes mix, les quinolones, la lanoline, l'éthylène diamine, mais aussi certains produits ingérés (colorants alimentaires ou à usage intrarectal, qu'il ne faut jamais sous-estimer) ;
- une autre forme d'irritation directe peut s'observer chez les sportifs (joggeurs, cyclistes), les obèses à pilosité excessive et les personnes présentant une hyperhidrose majeure. L'utilisation d'une corticothérapie locale abusive est responsable de dermite péri-anale, équivalent de la dermite péri-buccale poststéroïdienne.
2. Affections bactériennes mycosiques et parasitaires
Pendant de nombreuses années, l'atteinte staphylococcique pathogène était de loin prédominante. Désormais, la dermatite streptococcique péri-anale à streptocoque bêta-hémolytique du groupe A est la plus fréquemment rencontrée chez l'enfant et même l'adulte. Elle se caractérise par un érythème péri-anal en plaques à collerette périphérique fine dans un contexte streptococcique général (pharyngé, amygdalien, avec énanthème, exanthème et, parfois, desquamation cutanée à grand lambeau). Le prélèvement bactériologique permet dans tous les cas d'affirmer ou de typer le germe en cause. D'autres agents bactériens peuvent être responsables, mais plus rarement : colibacille, Proteus, streptocoque D, Candida albicans. Parmi les virus, la primo-infection par le virus herpès et l'herpès récurrent sont parfois localisés sur la marge ano-cutanée. Parmi les parasites, l'oxyurose constitue la plus fréquente cause de prurit anal, atteignant souvent tous les membres d'une famille. Ce prurit vespéral s'explique par le fait que les femelles viennent pondre sur le territoire ano-cutané en fin d'après-midi et dans la soirée. Elles sont faciles à reconnaître, sinon un Scotch-test permet de retrouver les œufs d'oxyures.
3. Les dermatoses chroniques de tout type peuvent avoir une localisation anale
Eczéma de contact, dermatite atopique, affection érythémato-squameuse, comme le psoriasis ou la dermite séborrhéique, lichen plan, affection bulleuse, comme la maladie de Darier, la maladie de Hailey-Hailey, la pemphigoïde bulleuse, le pemphigus. Mais la dermatose ano-génitale la plus spectaculaire, la plus prurigineuse, reste le lichen scléreux, dont la sémiologie est tout à fait caractéristique. Il est important, devant un tableau d'intertrigo plus ou moins macéré, suintant, prurigineux, de rechercher non seulement une dermatose régionale, mais aussi une dermatose à distance. Ainsi, dans une dermite séborrhéique, c'est souvent la poussée concomitante médio-faciale de petites plages érythémato-squameuses qui permet de confirmer le diagnostic de l'atteinte anale ou du gland. Enfin, des atteintes tumorales peuvent être observées de type lésions virales, condylomes, mais aussi de tumeurs non virales bénignes ou malignes, et, parmi ces dernières, le carcinome baso-cellulaire non muqueux, les carcinomes épidermoïdes et les mélanomes qui peuvent être parfois achromiques et, donc, difficiles à reconnaître.
Anuscopie et toucher rectal
L'examen clinique sera ensuite complété par l'anuscopie avant d'effectuer un toucher anal pour répertorier l'ensemble des causes proctologiques.
Un suintement clair fait rechercher une anite ou la présence d'hémorroïdes. L'examen clinique suivi de l'anuscopie permet de typer ces lésions en quatre stades :
- stade I : simple gêne locale qui traduit des hémorroïdes non prolabées ;
- stade II : hémorroïdes prolabées à l'effort de défécation, surtout si les selles sont dures, sont spontanément réductibles ;
- stades III : hémorroïdes prolabées à l'effort qui n'ont pas tendance à la réduction spontanée, le patient ayant pris l'habitude de les réduire au doigt ;
- stade IV : hémorroïdes prolabées en permanence, sans réduction manuelle possible.
Un suintement fécal est plus péjoratif, il fait rechercher des anomalies proctologiques internes recto-sphinctériennes nécessitant des investigations compliquées et une prise en charge très spécialisée. Des hémorragies de sang rouge (rectorragies) évoquent, bien sûr, des hémorroïdes, mais rendent nécessaires des investigations pour éliminer un cancer anal ou rectal.
La douleur par rapport à la défécation
Une douleur doit être étudiée par rapport à la défécation :
- contemporaine, elle évoque une anite, une papillite ;
- déclenchée par les selles et retardée, elle signe la fissure ;
- permanente, elle est en faveur d'une suppuration paroxystique pulsatile ;
- insomniante, elle caractérise l'existence d'un abcès anal. Celui-ci interdit toute manœuvre locale d'anuscopie, de même que le simple toucher anal ;
- hyperalgique, elle traduit une thrombose hémorroïdaire.
S'intégrant plus volontiers dans des causes psychosomatiques, les névralgies ano-rectales réalisent plusieurs tableaux :
- les proctalgies fugaces paroxystiques nocturnes sont de type spastique ;
- la névralgie ano-rectale succède à des antécédents gynécologiques : hystérectomie, rétroversion utérine sévère, endométriose ;
- les coccygodynies à prédominance rectale ne se déclenchent qu'en position assise prolongée.
Au total
Ainsi, après avoir recherché les stigmates d'une affection générale, complété l'analyse de la région anale par des investigations sus-jacentes, recto-sigmoïdiennes, coliques (maladie de Crohn, recto-colite ulcéro-hémorragique) par d'autres atteintes régionales ou générales, la grande majorité des causes du prurit anal peuvent être retrouvées. Sinon, on aura affaire à un prurit idiopathique, peut-être psychogène, dont la prise en charge sera différente.
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