- « Rendre la douleur moins intolérable »
«Mme Sébire présente, semble-t-il, des douleurs à composante neuropathique avec envahissement osseux, constate le Dr Bernard Paternostre, adjoint au chef de service de soins palliatifs du CHU de Bordeaux. Son premier problème est là. Elle dit en outre refuser un traitement qui l'endormirait. Des coanalgésies existent, qui associent morphiniques, corticoïdes, AINS et antiépileptiques, avec prise orale, qui la laisseraient éveillée. On n'est jamais sûr de supprimer totalement la douleur, mais au moins peut-on la ramener à des niveaux moins intolérables, avec des crises moins fréquentes. Pour y parvenir, la patiente pourrait être vue en soins externes d'une unité hospitalière, ou par une équipe mobile. Elle relève apparemment des soins palliatifs, sans nécessiter une hospitalisation, car elle reste valide.
L'accompagnement psychologique est également important, qui doit aussi s'intéresser à l'entourage familial.
Tout cela nécessite des moyens qui restent inégalement répartis selon les régions géographiques. Les patients ne sont pas égaux devant les réseaux et les équipes mobiles. Des efforts doivent également être entrepris en formation initiale pour les traitements de la douleur.»
A ceux de ses patients qui, comme Chantal Sébire, lui disent «On ne permettrait pas à un animal d'endurer ce que j'endure», le Dr Paternostre répond : «Mais c'est parce que vous êtes un être humain que nous ne voulons pas vous euthanasier comme un animal.»
- « Une terrible ambiguïté »
Des patients incurables, défigurés et en proie à des souffrances atroces, le Dr Isabelle Marin en a plusieurs fois pris en charge dans le réseau Onconord (cancer et soins palliatifs) qu'elle coordonne à Saint-Denis et dans le Val-d'Oise. «Aucun d'entre eux ne m'a jamais directement demandé de lui donner la mort, ce qui ne veut pas dire qu'ils n'aient pas, à certains moments, exprimé un tel voeu auprès de leur entourage, ou des équipes soignantes. Dans la plupart des cas, nous sommes en mesure de soulager leur douleur et nous arrivons à calmer leur angoisse. Mais certaines douleurs peuvent, c'est vrai, être incalmables.»
Est-ce le cas pour Chantal Sébire ? Les quelques éléments rapportés par les médias à son sujet ne permettent pas de l'assurer. En revanche, ce qui frappe la coordonatrice d'Onconord, c'est «l'ambiguïté terrible de la demande exprimée par cette patiente» : « S'il s'agissait purement et simplement d'une demande de mort, le recours aux médias et l'appel adressé au président de la République seraient-ils nécessaires, demande-t-elle, alors que, eu égard à sa pathologie, la malade dispose des produits qui lui permettraient, si elle le voulait, de passer à l'acte sans l'intervention d'un tiers? En demandant aux médecins de la supprimer, sans doute leur adresse-t-elle une réponse à des actes qu'ils lui ont fait subir et qu'elle leur reproche, à un parcours médical qu'elle a pu trouver inhumain. Et en choisissant de formuler cette demande devant les caméras de télévision, en s'exposant défigurée dans tout ce que sa situation peut représenter d'insupportable, elle fait autre chose qu'exprimer une volonté de mort: elle dénonce en tant que vivante une législation qui l'a réduite à cet état, comme si elle était la victime des méchants adversaires de l'euthanasie.»
«Cela dit, pour en revenir à ce cas qui semble épouvantable à un public qui n'accepte pas qu'il y ait de la mort dans la vie, ce n'est certainement pas au président de la République de réagir. Mais aux médecins de veiller à ce que tout ait été bien entrepris, soit dans un centre antidouleur, soit dans un réseau de soins palliatifs pour répondre aux exigences de son cas. »
- « La créativité des réseaux »
Quand il a vu le reportage télévisé consacré à Chantal Sébire, le Dr Jean-Marc La Piana l'a trouvée pleine de vie et d'énergie. «J'espère, confie-t-il, que l'on a exploré toutes les réponses médicales à son cas. Et, en particulier, que cette patiente a été orientée vers les réseaux qui savent prendre en charge les douleurs et les souffrances aiguës, ces réseaux pour lesquels nous nous sommes battus pendant des années et qui apportent presque toujours les bonnes réponses.»
La Maison , établissement que le Dr La Piana a créé à Gardanne (Bouches-du-Rhône) pour les patients VIH/sida, notamment, a pris en charge en treize ans 2 000 patients, parmi lesquels une dizaine seulement ont persévéré dans leur demande d'euthanasie. Soit 0,5 %. Faut-il, pour ces malades, revoir la loi Leonetti et légaliser l'euthanasie active ? «Nous aurions beaucoup plus à y perdre qu'à y gagner, répond le Dr La Piana. Le fait que nous butions sur le mur de la loi qui interdit l'euthanasie stimule la créativité de nos équipes et nous incite à aller le plus loin possible dans la prise en charge de la détresse des fins de vie. S'agissant de cette patiente, sa détresse doit être secourue, et non récupérée.»
- « Ne jamais se hâter »
Médecin chef de service à la maison Jeanne-Garnier, à Paris, le Dr Daniel Dérouville, sans avoir personnellement traité de patients atteints d'esthésioneuroblastome, a pris en charge à plusieurs reprises des malades qui présentaient de «redoutables pathologies de la face, avec parfois des trous béants. Des patients qui nécessitent des traitements complexes en termes d'antalgie et des accompagnements très attentifs sur le plan psychologique. Il est arrivé dans un de ces cas que la personne persiste dans sa demande d'euthanasie. Si cela doit représenter 0,1% des patients en fin de vie, pour lesquels la médecine est mise en situation d'échec, faut-il adopter une loi spécifique, qui autorise l'euthanasie active? Au législateur de répondre. Le médecin, pour ce qui le concerne, doit aller au bout de ses ressources thérapeutiques et ne jamais se hâter inconsidérément. Nous devons veiller à prendre le temps d'agir sur tous les types de souffrance et à laisser le temps au patient de réitérer sa demande. Si tant est qu'il persiste dans sa volonté de mort.»
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