LE TEMPS DE LA MEDECINE
A comme anesthésie péridurale
De plus en plus de femmes appartenant à des cultures judéo-chrétiennes et islamiques y renoncent pour donner un sens positif aux douleurs qui accompagnent la naissance de leur enfant.
En Afrique, « il n'y a rien de plus déshonorant chez une femme que de ne pas maîtriser sa douleur physiologique ; elle doit maîtriser sa douleur d'abord pour échapper à la honte et pour que l'enfant soit épargné de certains accidents », dit C. Balouki Moussa Manzanz. La même approche prévaut en Asie.
Ces réticences ne dispensent évidemment pas les patientes de la consultation préalable d'un médecin anesthésiste. Que celui-ci soit de sexe masculin ne constitue pas un argument religieusement admissible pour récuser la prescription d'une péridurale.
C comme circoncision
Née en Afrique centrale et subsaharienne pour s'étendre vers l'Afrique du Nord, en suivant les sources et la vallée du Nil, la circoncision fit son entrée dans le judaïsme avec Abraham. L'Eglise chrétienne l'a réfutée au concile de Jérusalem, en l'an 49. Pour l'Islam, elle constitue un symbole d'esthétisme et de spiritualité. Dans le cas d'un phimosis ou d'un paraphimosis, la circoncision, pratiquée comme un acte thérapeutique, est prise en charge à 100 % par la Sécurité sociale (K 30, sous anesthésie générale). Mais lorsqu'il s'agit d'une intervention rituelle, les frais restent à la charge de l'intéressé ou de sa famille. Accepter en ce cas qu'elle soit effectuée en milieu hospitalier doit être considéré comme une démarche de santé publique, dans le respect des règles d'hygiène, d'anesthésie et de prise en charge de la douleur. Nul ne saurait s'y opposer. Cela dit, des chirurgiens peuvent hésiter à la pratiquer, compte tenu d'éventuelles poursuites en cas de suites opératoires problématiques après un acte jugé non nécessaire à la santé de l'enfant.
C comme contraception
Dans la religion juive, la contraception est strictement interdite à l'homme dans le cadre du mariage, qu'il s'agisse de préservatif, de vasectomie ou d'interruption de coït ; mais elle est concédée à la femme après la naissance d'un garçon et d'une fille, la mission du couple ayant été remplie. Seuls les méthodes naturelles (méthode des températures Ogino et Knauss ou méthode de l'étude des modifications de la glaire cervicale sont licites) ; pilule et stérilet, sauf autorisation rabbinique au cas par cas, sont illicites.
Chez les catholiques, si le concile de Vatican II accepte la régulation des naissances pour que chaque couple choisisse le nombre d'enfants auxquels il donnera naissance, l'Eglise romaine n'autorise pas la contraception par des moyens artificiels (pilule, stérilet, préservatif), mais elle admet une régulation fondée sur l'observation des rythmes naturels.
Le Coran autorise la contraception dans le strict cadre du mariage si la santé ou l'équilibre économique du couple l'exige. Le préservatif est autorisé pour l'homme, la pilule et le stérilet sont à éviter pour la femme et, bien sûr, les méthodes dites naturelles pourront être préconisées. Seule la stérilisation définitive est considérée comme illicite par la Sunna.
E comme excision
Perpétrée au nom de motifs moraux, hygiéniques, sociaux et esthétiques, l'excision n'est imposée par aucune religion. Elle est le plus souvent pratiquée dans certains pays africains islamisés. Si le Coran reste muet à son sujet, certains milieux comme la IVe école hanbalite la soutiennent et la sanctionnent au motif qu'elle a pour effet d' « atténuer le désir sexuel des femmes pour l'amener à la modération désirable ».
Alors que dans certains pays européens, l'excision peut être effectuée dans l'enceinte des hôpitaux au nom de la sacro-sainte « santé publique », la France est l'un des rares Etats à avoir adopté à son encontre des mesures législatives drastiques.
Toute personne, médecin ou simple citoyen, qui a connaissance d'un tel risque est dans l'obligation de signaler le cas de la fillette menacée au procureur de la République du tribunal de grande instance, ou au service départemental de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Ce signalement doit être effectué de façon à être compris par les parents, dans sa motivation et son objectif, à savoir empêcher l'excision des enfants encore indemnes.
F comme fin de vie
Chez les juifs, si la présence d'un rabbin n'est pas nécessaire pour accompagner le mourant, celle d'un proche est requise, sous peine de laisser l'âme solitaire et désolée au moment du dernier soupir. On s'abstiendra de tout acte qui pourrait hâter la mort, ne serait-ce que le simple geste de déplacer l'oreiller. Lors des derniers instants, les proches lisent des psaumes en langue hébraïque au chevet de l'agonisant. Après le décès, les bras sont mis le long du corps, le visage recouvert immédiatement d'un drap blanc afin de le soustraire aux regards.
Lorsque la fin de vie d'un chrétien est proche, selon ses dernières volontés, le personnel soignant appelle l'aumônier qui administre l'onction aux malades.
Chez les musulmans, l'assistance d'un religieux n'est pas expressément requise, mais celle d'un parent ou d'un musulman informé des rites est une exigence de la vie communautaire. Aucun musulman ne doit mourir sans une présence religieuse.
I comme insémination artificielle
Elle est autorisée par la loi juive traditionnelle si le mari est le donneur du sperme recueilli lors d'une relation sexuelle interrompue (et non après masturbation). La fertilisation in vitro est licite, si elle est nécessaire à la procréation. L'autorisation d'un rabbin est nécessaire. L'insémination artificielle sera interdite si le conjoint est décédé, conformément à la loi française.
La loi musulmane est plus souple, qui ne requiert pas l'autorisation préalable d'un imam pour entreprendre la démarche.
L'Eglise catholique autorise l'insémination artificielle si elle respecte une filiation légitime (sans don de spermatozoïdes ni d'ovocytes).
P comme préservatif anti-VIH
Si le judaïsme interdit strictement le préservatif comme mode contraceptif dans le cadre du mariage, les rabbins conseillent d'y recourir pour se protéger du virus, tenant pour suicidaire de s'en abstenir, ou pour préserver son partenaire lorsqu'on ne peut s'empêcher d'avoir des rapports sexuels réprouvés.
Si le Vatican prône officiellement la fidélité et la chasteté pour endiguer l'épidémie de sida, de nombreuses voix de prélats recommandent l'utilisation du préservatif, à l'instar du cardinal Lustiger, qui, dès 1988, lançait à l'adresse des personnes contaminées : « Prenez les moyens que l'on vous propose par respect pour vous-même et pour les autres. Vous ne devez pas donner la mort. »
Quant à l'islam, il n'oppose aucune raison spirituelle à l'utilisation du préservatif mais « la relation hors mariage étant illicite, commente Hamza Gharbi, aumônier musulman du Chru de Lille, ce qui se fait dans ce cadre l'est aussi. Le préservatif n'est pas illicite par lui-même, mais selon le cadre dans lequel il est utilisé. »
R comme régime alimentaire
Les règles alimentaires imposées par le judaïsme constituent la cacherout, qui repose sur la notion de sainteté (voir encadré).
Chez les chrétiens, la sentence de Jésus, « Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l'homme impur, mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui rend l'homme impur » (Mt 15,11) atténue singulièrement la notion de prescription alimentaire, « tout ce qui entre dans bouche allant dans le ventre pour être éliminé ». Le « Catéchisme des évêques de France » (n° 632) rappelle que « la privation d'aliment, qui peut être celle de l'alcool, de cigarettes ou de bonbons, selon les âges de la vie, manifeste extérieurement le renouveau souhaité de mes désirs profonds, le jeûne signifiant symboliquement que l'homme doit se nourrir prioritairement de la Parole de Dieu. ». Jeûne et abstinence ne sont plus de rigueur que le mercredi des cendres (1er jour de Carême) et le Vendredi saint (commémoration de la mort du Christ).
Chez les musulmans, explique le Dr Dalil Boubakeur, recteur de l'Institut musulman de Paris, « le licite et l'illicite, c'est la parole du Prophète ; lui seul définit le cadre légal qui règle la vie quotidienne des musulmans : le licite (halâl) , l'illicite ou l'interdit (harma) et entre les deux, le réprouvé (makrouh) ». Autrement dit, « ce qui n'est pas expressément interdit est permis. » Tous les produits de la nature sont mis à la disposition de l'être humain. La nourriture est considérée comme un bienfait par le Coran, un don de Dieu, une récompense et un soutien pour l'action des hommes.
S comme sexe du médecin
Selon le Coran et la Sunna, « le patient a le droit de choisir les meilleurs médecins, mais il n'est pas libre de rejeter les soins recommandés pour lui sauver la vie ou pour protéger sa santé. Un malade musulman peut être traité par un médecin non musulman de confiance. Au besoin, un docteur homme peut examiner une femme malade en présence de son mari ou de l'un de ses proches parents masculins. »« Bien que la majorité des femmes musulmanes préfèrent à juste titre se faire soigner par une femme, il est bon de préciser que, de l'avis des nombreux savants, il est permis qu'un médecin homme soigne une femme et qu'un médecin femme soigne un homme », assure Malika Dif, dans son livre « la Maladie et la mort en Islam ». Précisons encore que les musulmans peuvent se faire soigner par des non-musulmans, reconnus « honnêtes et de bonnes mœurs. »
Pour éviter que « des personnels hospitaliers s'épuisent dans des négociations avec les usagers, au détriment des soins qu'ils devraient prodiguer en urgence », le rapport Stasi propose de « compléter la loi hospitalière pour rappeler aux usagers leurs obligations, notamment l'interdiction de récuser du personnel soignant ou le respect des règles d'hygiène et de santé publique. »
T comme transfusion sanguine
Si les chrétiens ne se sont jamais interrogés à son sujet et ne s'y opposent donc pas, de même les juifs se refusent à décliner toute transfusion dès lors que cela risquerait d'entraîner le décès ou une atteinte à l'intégrité physique ou mentale du patient.
Les musulmans autorisent quant à eux la transfusion « lorsqu'il y a besoin urgent, c'est-à-dire lorsqu'un médecin compétent craint pour la vie de son patient et qu'il n'existe pas d'autres moyens pour le sauver » (Mohsin Ibrahim, « Greffe d'organes, euthanasie et clonage, le point de vue de l'Islam », ed. Tawhid).
Restent évidemment les Témoins de Jéhovah. Certains d'entre eux tolèrent la transplantation de moelle osseuse, considérant le greffon comme un tissu, même s'il contient du sang. Leur refus de la transfusion est totale, il figure sur une carte intitulée « Instructions médicales/Attestation » qu'ils renouvellent chaque année. En cas d'urgence, le médecin rappelle les risques encourus au patient, qui, s'il est conscient, peut signer une décharge au nom du praticien. Dans le cas d'un malade majeur dans l'incapacité de manifester sa volonté, si le représentant légal qui est alors recherché exprime son refus de soins, le médecin contacte par téléphone le procureur de la République du tribunal dont dépend l'établissement. Ce dernier délivre dans les minutes qui suivent, sans contestation ni dénégation, une autorisation de soins. La législation française se place donc au-dessus des religions lorsqu'il s'agit de porter assistance à personne en danger, quels que soient son statut et ses croyances spirituelles. N'agit-elle pas de même avec une personne qui a tenté de se suicider et sur laquelle seront pratiqués des soins d'urgence sans qu'aucun consentement préalable n'ait été exprimé par des proches.
Avec des extraits de « la Religion à l'hôpital »,
par Isabelle Lévy
La cacherout
« Cacherout », c'est le nom de l'ensemble des règles alimentaires imposées par le judaïsme. Selon le grand rabbin Ernest Gugenheim (dans sa préface de l'ouvrage sur la cacherout*) : « La Thora, elle, ne fait jamais intervenir d'argument diététique ou sociologique. Elle insiste, chaque fois qu'il est question des lois alimentaires, sur la notion de sainteté. » Cette analyse relègue à un plan secondaire des règles d'hygiène. Les lois alimentaires, édictées vers l'année 2400 du calendrier hébraïque (la communauté israélite vient de fêter l'an 5765) reposent sur la notion de pureté. Les principes généraux concernent les viandes, poissons, volailles et laitages.
Pour ce qui concerne les quadrupèdes, seuls les mammifères ruminants et à sabot fendu sont autorisés : bovins, ovins, caprins et certains cervidés (cerfs, chevreuils, daims). Pour que la viande soit cachère, les bêtes sont abattues selon des rites et des méthodes précises. Comme s'y ajoute l'interdiction de consommer du sang, la bête est saignée à l'abattoir, puis un salage est réalisé au domicile afin d'évacuer la totalité du sang.
Pour les animaux issus du milieu marin, les textes autorisent les poissons recouverts d'écailles et munis de nageoire. Ce qui élimine d'office crustacés et coquillages et autorise la très grand majorité des poissons. Pour ce qui est des volatiles, la plupart des interdictions portent sur des prédateurs ou des carnassiers. Essentiellement, la Thora autorise poulets, dindes, oies et certains canards ou pigeons. Les œufs des ovipares autorisés le sont également.
Restent les laitages. De fait, sont permis ceux des mammifères autorisés. Les restrictions portent sur les délais d'ingestion. Après un laitage, il faut attendre une demi-heure avant de consommer de la viande (sauf pour certains fromages cuits où la latence passe à six heures). Il faut aussi attendre six heures pour prendre du lait après un plat carné. Le verset fondateur dit : « Tu ne feras point cuire un chevreau dans le lait de sa mère ». Cette incompatibilité s'étend à toute la vaisselle.
> Dr GUY BENZADON
* Edité par le Keren Hassefer.
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