TOUT AU LONG de l'évolution, le besoin vital de nourriture et sa disponibilité ont conditionné à la fois la morphologie, le développement et le comportement des espèces. La disponibilité des nutriments a constitué une formidable pression de sélection contribuant de manière drastique à la sélection naturelle telle que l'a décrite Charles Darwin à la fin du siècle dernier.
L'homme du paléolithique supérieur, l' Homo sapiens sapiens, dont on retrouve des traces au Moyen-Orient il y a un peu plus de cent mille ans et en Europe il y a environ quarante mille ans, nous a légué son patrimoine génétique conditionnant à la fois notre phénotype et nos fonctions physiologiques. Le taux de mutations spontanées de l'ADN nucléaire étant estimé à 0,5 % par million d'années, ces paramètres n'ont pas eu le temps de varier significativement. Toutefois, deux événements majeurs sont venus depuis changer le cours de l'histoire : l'agriculture et l'élevage du bétail, il y a sept mille à huit mille ans, avec pour conséquence l'augmentation des réserves et, très récemment, la révolution industrielle et ses effets sur l'alimentation. La sédentarité, le stockage des aliments et l'apparition de nouvelles denrées ont eu pour effet de bouleverser les habitudes alimentaires. Force est donc de constater que l'homme moderne vit dans un environnement totalement diffèrent de celui pour (ou par) lequel il a été sélectionné.
La sélection exercée par l'alimentation.
La pression de sélection de l'alimentation s'est exercée sur deux plans. L'un, morphologique : la taille des primates, qui dépend du régime alimentaire, est plus importante chez les carnivores que chez les végétariens. L'autre, comportemental : les singes hurleurs, qui avaient un cerveau de 50 g environ, consommaient principalement des feuilles qu'ils trouvaient à proximité ; alors que les singes araignée, au cerveau deux fois plus développé, parvenaient à trouver des fruits, denrée plus rare et plus dispersée. Les singes araignée fructivores semblent avoir été sélectionnés dans ce contexte, provoquant la divergence de ces deux espèces issues d'un ancêtre commun.
Il est probable que l'évolution de l'espèce humaine résulte de la sélection des individus ayant acquis un mode d'approvisionnement régulier en denrées de haute valeur nutritive dans un environnement où les moyens de subsistance étaient éminemment variables.
De tous les mammifères, l'homme est celui qui possède proportionnellement le plus gros cerveau. L'australopithèque possédait déjà un volume cérébral de 50 % plus important que celui des autres préhominiens. La taille du cerveau n'a fait que croître tout au long de l'évolution du rameau humain, pour atteindre ses plus grandes dimensions chez le néandertalien et le sapiens sapiens. La présence d'un cerveau volumineux à capacités cérébrales performantes semble, dans la majorité des espèces préhistoriques ou modernes, liée à une grande activité comportementale. Cette activité peut s'exercer aussi bien dans le domaine de la recherche de nourriture que dans celui de la complexité sociale. Cette augmentation du volume cérébral au cours de l'évolution a imposé une fourniture d'énergie supérieure, qui impliquait à son tour des progrès en matière de comportement.
L'apparition de stratégies alimentaires.
L'étude du comportement des hominidés laisse penser qu'ils se différenciaient des autres espèces par leur aptitude à transporter et à partager la nourriture avec leurs congénères de manière systématique, sinon équitable. De véritables stratégies alimentaires, au début certainement intuitives, n'ont pu être élaborées que progressivement grâce au développement cérébral et à l'apparition d'un langage articulé. L'amélioration des techniques et des tactiques de chasse a permis par la suite de progresser du simple charognage à la chasse spécialisée, voire hyperspécialisée.
La viande était en partie consommée sur place ; une autre partie était transportée au campement afin d'alimenter la progéniture ou de constituer des réserves. Le besoin d'organiser la recherche d'une nourriture s'est fait sentir au sein du groupe. Les uns chassaient, tandis que les autres récoltaient des plantes ou des fruits. Cette répartition des tâches a eu le mérite de diversifier la nourriture. Le feu, découvert ou maîtrisé il y a environ quatre cent cinquante mille ans, a dû modifier progressivement les habitudes alimentaires tout en favorisant la vie sociale. La cuisson de la viande permet d'en modifier le goût tout en la rendant plus tendre, d'en augmenter la concentration en protéines en maintenant celle des lipides.
L'Homo sapiens à table.
L'alimentation presque exclusivement végétale de l'australopithèque s'est progressivement enrichie en viande jusqu'au paléolithique supérieur, où le gibier représentait environ 35 % de la ration alimentaire de l' Homo sapiens. Avec le réchauffement climatique de la fin du pléistocène, responsable d'un certain degré de maigreur du gibier, le besoin de nouvelles sources d'énergie s'est fait sentir. L'avènement de l'agriculture au néolithique a donné de nouveau aux végétaux une place prépondérante. Bien plus tard, la consommation de viande d'élevage et la révolution industrielle alimentaire sont encore venus modifier ce schéma.
En dépit de ses énormes besoins énergétiques, générés par une alimentation hyperprotidique équivalente à environ trois fois celle de l'homme moderne et par une activité physique très élevée, l'alimentation de l'homme du paléolithique supérieur était relativement pauvre en énergie et manquait cruellement de lipides. Toutefois, les rapports acides gras polyinsaturés/acides gras saturés et n-3/n-6 étaient proches des recommandations actuelles (mais très différents des habitudes de l'homme moderne). Tel était le cas également de la consommation importante de fibres et de celle, faible, de sel. Enfin, cette alimentation n'était probablement pas carencée en minéraux et elle était riche en vitamine C.
Ainsi, ce régime alimentaire s'oppose presque point par point à celui de l'homme du XXIe siècle, qui, de plus, est devenu sédentaire. Le mode de vie actuel, en inadéquation avec nos possibilités digestives et métaboliques réelles, est vraisemblablement en partie responsable de l'explosion de certaines pathologies chroniques et des maladies de surcharge.
Toutefois, il est hors de propos de préconiser le retour à un régime et un mode de vie préhistoriques. Les travaux des historiens apportent néanmoins un éclairage intéressant sur les maladies dites de civilisation. Les recommandations nutritionnelles devraient sans doute désormais prendre en compte les susceptibilités ou des prédispositions génétiques individuelles ou ethniques.
D'après la communication du Dr Jacques di Costanzo (service de gastro-entérologie et de nutrition, hôpital de Sainte-Marguerite, Marseille). 7e Rencontre de nutrition azuréenne à Nice.
Alimentations de lHomo sapiens du paléolithique supérieur, de lAméricain actuel, et recommandations diététiques américaines* |
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Paléolithique | Américain | Recommandations | |||||||||||||||||
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AGPI/AGS** | 1,41 | 0,44 | 1,00 | ||||||||||||||||
Cholestérol (mg) | 591 | 600 | 300 | ||||||||||||||||
Fibres (g) | 45,7 | 19,7 | 30-60 | ||||||||||||||||
Sodium (mg) | 690 | 2 300-6 900 | 1 100-3 300 | ||||||||||||||||
Calcium (mg) | 1 580 | 740 | 800-1 200 | ||||||||||||||||
Vitamine C (mg) | 392 | 87 | 45 | ||||||||||||||||
* Recommended Daily Dietary Allowance, Food and Nutrition Board, Nutritional Academy of Sciences. National Research Council. ** AGPI : acides gras polyinsaturés. AGS : acides gras saturés. |
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