REFERENCE
Adolescents
Le cannabis est consommé particulièrement par les adolescents, souvent associé à d'autres drogues promues par la mode et la culture. Des enquêtes réalisées en Europe estiment que 20 % des jeunes âgés de 18 à 20 ans auraient consommé du cannabis dans l'année écoulée, et 5 % des amphétamines ou de l'ecstasy.
La politique à adopter quant à la vente et à la consommation de cannabis est débattue dans les pays occidentaux. On pense que la libéralisation des lois, déjà largement enfreintes, permettrait de tarir un marché illégal. En revanche, le cannabis semble poser un risque réel pour le développement psychique des adolescents, en particulier pour ceux qui ont une vulnérabilité aux troubles psychotiques.
Aspects neurophysiologiques
Le principe actif du cannabis, le 9-tétrahydrocannabinol (9-THC), fut identifié dès 1964. On connaît des récepteurs pour les cannabinoïdes, les récepteurs CB1 et CB2, appartenant à la famille des récepteurs membranaires couplés aux protéines G. Le récepteur CB1, mis en évidence dans des régions très diverses du système nerveux central, notamment dans le cortex frontal et dans les régions limbiques, est activé par le 9-THC, ainsi que par des cannabinoïdes endogènes produits par notre cerveau.
Il est montré que les cannabinoïdes influencent l'effet des opiacés et des endorphines, ainsi que la neurotransmission dopaminergique et glutamatergique (récepteurs NMDA), d'où des liens possibles avec les addictions et les psychoses. Chez l'animal, le 9-THC possède les caractéristiques des drogues induisant une dépendance. Ainsi, l'administration de 9-THC ou de cannabinoïdes de synthèse stimule les circuits dopaminergiques mésolimbiques, comme le font d'autres produits induisant plaisir et dépendance.
L'absence de syndrome de sevrage sévère chez l'homme serait due à la cinétique particulière du 9-THC, qui est relibéré à partir des tissus graisseux et disparaît ainsi relativement lentement du plasma.
Une neurotoxicité à des périodes cruciales du développement ?
Une neurotoxicité potentielle du cannabis est suspectée depuis les études de McGahan (« American Journal of Diseases of Children » , 1984 ; 138 : 1109-1112) qui montrèrent chez le singe rhésus des modifications de la structure et du volume de l'hippocampe, ainsi qu'une atrophie dans des régions du noyau caudé et du cortex frontal, induites par des doses équivalant à une consommation importante chez l'homme.
Des observations chez l'homme suggèrent qu'une consommation quotidienne chronique de cannabis entraîne des troubles cognitifs mesurables, notamment dans le domaine de la mémoire et de l'attention, qui disparaissent toutefois en grande partie après une abstinence stricte. Une question importante est celle de savoir si le cannabis pourrait être plus particulièrement toxique durant certaines phases du développement, comme cela est suggéré par des études chez des adolescents ayant été en contact très tôt (de 10 à 16 ans) et chez des jeunes dont les mères consommaient du cannabis pendant leur grossesse.
Le cannabis fait éclore des troubles schizophréniques chez les sujets vulnérables
Le lien entre le cannabis et la schizophrénie semble avéré. On comprend que de fortes doses de cannabis puissent provoquer des états psychotiques aigus transitoires, avec des troubles des perceptions et de l'attention. La relation avec l'installation différée de troubles durables est plus complexe. Le consensus actuel est que le cannabis provoque l'apparition et la récidive de troubles schizophréniques chez les sujets vulnérables, et aggrave de manière générale les symptômes chez tous les patients.
La première étude majeure fut le suivi de plus de 50 000 conscrits suédois sur quinze ans (Andreasson S. et coll., « The Lancet », 1987 ; 2 : 1483-6) qui révéla que la consommation de cannabis durant l'adolescence est associée à une augmentation du risque d'apparition ultérieure de troubles schizophréniques. Cette étude montra que l'augmentation du risque était proportionnelle à l'importance de la consommation mais elle ne permettait pas d'affirmer un lien de causalité. On ne pouvait en effet exclure le rôle déclenchant d'autres drogues, notamment des amphétamines, et le cannabis pouvait être une « automédication » de la part de sujets tentant d'échapper au mal-être induit par des symptômes prodromaux de schizophrénie.
Des travaux récents et une réanalyse des données de l'étude suédoise, dont la période d'observation atteint maintenant vingt-sept ans (Zammit et coll, « BMJ », 2002 ; 325 : 1199-1201), confirment que l'abus de cannabis, notamment précoce (avant 15 ans), augmente le risque ultérieur de psychose, que cet effet n'est pas dû à d'autres drogues, et que la consommation de cannabis est la cause plutôt que la conséquence des symptômes .
Il paraît donc prouvé que le cannabis favorise l'éclosion de troubles schizophréniques et que le premier épisode survient plus précocement chez les jeunes présentant une vulnérabilité ou d'autres facteurs de risque. Si les mécanismes de la vulnérabilité pour la schizophrénie ne sont pas encore bien élucidés, il font l'objet d'une abondante littérature. On connaît, par exemple, l'existence d'un risque familial et le rôle de traumatismes pré- et périnataux (malnutrition...). En revanche, les avis sont partagés quant à la capacité du cannabis à provoquer des troubles schizophréniques chez un sujet « normal », non prédisposé. La difficulté qu'il y a à infirmer ou à confirmer cela est illustrée par une étude australienne récente (Degenhardt L. et coll., « Drug and Alcohol Dependence » , 2003 in press) qui ne retrouve pas une prévalence accrue de schizophrénie dans les classes d'âge jeune exposées à une consommation plus importante de cannabis que les générations précédentes, comme cela aurait pu être prédit selon l'hypothèse d'un lien causal simple.
Autres symptômes mentaux
Une relation entre le cannabis et d'autres symptômes mentaux, notamment la dépression, l'anxiété, l'absence de motivation et l'anhédonie, est suggérée par plusieurs travaux. Le suivi sur quinze ans d'un échantillon de sujets américains a montré que l'abus de cannabis est un facteur de risque pour les symptômes dépressifs (Bovasso G. B. et coll., « Am J Psychiatry », 2001 ; 158 : 2033-2037). Une étude australienne récente (Patton G. C. et coll., « BMJ » , 2002 ; 325 : 1195-1198) confirme qu'un usage fréquent du cannabis chez les adolescents provoque des troubles anxieux et dépressifs. Là encore, la consommation de cannabis provoque les troubles et n'est pas une automédication pour les soigner.
Le cannabis pose clairement des problèmes quand il est utilisé à forte dose, par des sujets vulnérables ou jeunes. Comme nous le dit Homère dans la suite du passage de l'Odyssée cité en introduction (4, 230), « la terre fertile nous offre de nombreux sucs qui peuvent être associés de manière bienfaisante ou nocive ».
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