En décembre, la firme américaine ACT affirme avoir cloné le premier embryon humain. Puis on découvre le joli minois de cinq petits cochons clonés, présentés comme nos futurs donneurs d'organes. Dernière annonce en date, l'arthrite prématurée de la brebis Dolly signe, aux yeux de certains, les dangers de la technique du clonage. Chaque semaine apporte son lot de nouveaux clones, vrais ou faux. Le problème, c'est que beaucoup de résultats semblent se contredire. Qu'est-ce qu'il est vraiment possible de faire ? Pourquoi tant d'échecs chez les animaux ? A quand l'application à l'homme ? Pour mieux saisir ce que l'avenir nous réserve, une petite rétrospective scientifique s'impose.
Initialement développée chez les amphibiens, la technique du clonage, c'est-à-dire du transfert nucléaire, est appliquée depuis quelques dizaines d'années aux mammifères. Premier succès : la naissance sur le sol américain, en 1986, d'un mouton issu du clonage à partir d'une cellule embryonnaire. 1989, première réussite chez les bovins. « A partir de 1986, les succès se multiplient, raconte Jean-Paul Renard . La décennie de 1986 à 1996 voit naître un tas de clones créés à partir de cellules donneuses totipotentes prélevées sur des embryons de 50 blastomères. Fait notable, la technique fonctionne également chez le primate ; deux petits singes clonés naissent en août 1996. En 1996, la société écossaise PPL réussit le clonage à partir de cellules embryonnaires pluripotentes, prélevées au stade 1 000 cellules. PPL enchaîne en 1996 avec Dolly, premier mammifère cloné à partir d'une cellule adulte différenciée, de glande mammaire en l'occurrence. Là, c'est le grand tournant : le passage du clonage horizontal (embryonnaire) au clonage vertical (somatique) . Conséquence, la porte au clonage thérapeutique est ouverte. »
Depuis, outre la brebis, quatre autres espèces ont pu être clonées de la sorte : la souris, la chèvre, la vache et le porc.
Un taux élevé d'échecs
Forts de ces succès, les chercheurs évitent cependant de crier victoire trop vite. D'abord parce que le clonage somatique ne semble pas convenir à tous les animaux : certaines espèces font de la résistance. En effet, à ce jour, aucune naissance n'a été obtenue chez le lapin, le rat, le chien ou le singe. Les chercheurs ignorent pourquoi.
Deuxième raison qui donne à réfléchir : le taux élevé d'échecs chez les cinq espèces qui « acceptent » le clonage vertical. A chaque clone parvenu au terme de la grossesse correspond une foule de « clones brouillons » préalablement « décédés ». Jusqu'au stade blastula, tout va plutôt bien. Selon les méthodes et les espèces employées, de un à deux tiers des embryons clonés avec des cellules somatiques se développent normalement. C'est après que ça se gâte. Jean-Paul Renard considère que « seulement de 1 à 2 % des embryons reconstitués se développent à terme. Si on ne prend en compte que les embryons transplantés dans l'utérus, on arrive à 5 % ». Chez les moutons et chez les bovins, la majorité des pertes ftales survient au cours du premier tiers de la gestation.
Dans un article paru dans le magazine « Pour la science » en janvier 2001, Jean-Paul Renard et son collègue Xavier Vignon tentent d'apporter une explication. « Cette mortalité précoce est souvent associée à des anomalies du placenta. De surcroît, la mortalité tardive, lors du dernier tiers de la gestation ou après la naissance, atteint parfois 50 %. Les animaux ont alors une taille excessive ("syndrome du gros veau" chez les bovins) et des organes (...) hypertrophiés (...). On ignore la cause de cette surmortalité. »
A toutes les étapes
Le cafouillage peut survenir à toutes les étapes de l'expérience. Pour l'expliquer, de nombreuses hypothèses ont été avancées. Voici une liste de conseils à suivre scrupuleusement pour mettre toutes les chances de réussite de son côté. La première étape, le transfert du noyau dans l'ovocyte énucléé, requiert beaucoup d'adresse. Primo, il a été démontré que la façon dont sont cultivées in vitro les cellules donneuses influe sur le résultat de l'expérience. Choisir le milieu de culture avec soin. En revanche, rien ne sert de se préoccuper du temps de culture in vitro de ces cellules : Jean-Paul Renard a obtenu des bovins viables avec des cellules proches de la sénescence. Pour que le transfert dans l'ovocyte énucléé soit efficace, il importe que le noyau soit en métaphase. Autre facteur à prendre en compte : l'origine géographique de la cellule donneuse. Actuellement, ce sont les fibroblastes qui assurent les meilleurs résultats. Sachons toutefois qu'un bovin a déjà été obtenu à partir d'une cellule sanguine. Enfin, le choix de la technique de reconstitution de l'embryon a lui aussi son importance. Pour une raison inconnue, il faut préférer la fusion entre cellules donneuse et receveuse pour les bovins et les moutons. Pour les souris, on choisira l'injection de noyau.
Une fois le transfert nucléaire effectué, rien n'est gagné pour autant. L'embryon va devoir éviter nombre d'écueils pour parvenir sain et sauf jusqu'au terme de la grossesse. La réussite de l'essai est conditionnée par l'aptitude du noyau du pseudozygote à être reprogrammé.
Pour Jean-Paul Renard et Xavier Vignon, « l'âge du donneur ne semble pas influer sur le développement des embryons obtenus : des taureaux âgés de 17 et 21 ans ont été clonés avec succès. De plus, aucun (des animaux résultant) ne présente de signe apparent de vieillesse ». Chez les brebis, il semble en aller tout autrement puisque Dolly, à peine âgée de 5 ans, souffre déjà d'arthrite.
Pourquoi cette différence entre ovins et bovins ? Mystère. Si on réalise un clonage somatique, l'âge du donneur importe peu. En revanche, on observe des résultats très variables selon que la cellule donneuse est adulte, ftale ou embryonnaire. Jean-Paul Renard et Xavier Vignon publient un article à ce sujet dans le numéro de janvier 2002 du journal « Biology of Reproduction ». « Aujourd'hui, le perfectionnement du clonage passe par la compréhension des remodelages de la chromatine et des chromosomes d'un noyau introduit dans un cytoplasme embryonnaire. »
Certaines anomalies semblent résulter d'une expression anormale de certains gènes soumis à l'empreinte parentale. En plus de cela, « d'autres facteurs épigénétiques peuvent intervenir, explique Jean-Paul Renard. Par exemple, la mauvaise synchronisation entre le développement du ftus cloné et son environnement utérin ». On a beaucoup accusé la longueur trop courte des télomères lors du clonage somatique, qui entraîne une division anormale des noyaux. « En fait, on n'en sait rien, avoue le biologiste. On a observé que les télomères étaient plus longs chez la vache clonée que chez la brebis clonée. Certes, mais on dispose de données beaucoup plus nombreuses chez la vache. Je crois que cet élément n'est pas significatif. Il faut laisser vieillir les clones. Il se peut que l'arthrite de Dolly, le doyen de clones, soit tout simplement due à l'environnement spécifique de sa bergerie. » Jean-Paul Renard semble confiant au vu de la santé des animaux produits par son unité de biotechnologie du développement, à l'INRA. « Notre plus vieux clone, une souris née il y a deux et demi, se porte comme un charme. »
Clones mais moins que jumeaux
Et le clonage humain dans tout ça ? « Comparé au rat ou au lapin, dont on maîtrise mal la biologie du développement, il n'y a aucun exploit technique à réussir un clonage somatique chez l'homme », considère le chercheur français, qui ne cautionne en aucun cas ce qu'il considère comme une grave dérive. Axel Kahn semble, pour sa part, douter de l'imminence de la naissance du premier bébé-clone. Dans le numéro juillet-août 2001 du magazine « Biofutur », le généticien déclare que « chez les primates, le clonage embryonnaire semble se heurter à des difficultés importantes. Les premiers résultats menés chez des singes montrent que les embryons ainsi obtenus ont très rapidement interrompu leur développement ». De là à réussir un clonage somatique...
Autre remarque de Jean-Paul Renard : « Il faut tordre le cou à cette idée qui veut qu'un clone est la copie biologique conforme de son double. En réalité, deux clones sont plus différents que deux jumeaux. Raison principale : les clones n'ont pas le même ADN mitochondrial. » Le chercheur a eu l'occasion de vérifier cette différence biologique en étudiant des bovins clonés à partir de cellules au génotype identique : la pigmentation de la peau variait d'un clone à l'autre. Et Jean-Paul Renard de résumer : « On n'est pas que le produit de nos gènes. »
Dernière question adressée au scientifique : quel est l'avenir du clonage reproductif chez les animaux ? « Sa combinaison avec la transgenèse, afin de créer des modèles d'étude des maladies humaines ou des producteurs biologiques assurant la synthèse de molécules thérapeutiques dans leur lait. »
La loi de bioéthique enfin devant les députés
Les députés entament aujourd'hui la discussion du projet de loi relatif à la bioéthique, avec plus de deux ans de retard sur la date de révision prévue lors de l'adoption de la première loi en 1994.
La commission spéciale de l'Assemblée a adopté la semaine dernière le projet. Ont été acceptées, entre autres pratiques : la recherche sur les embryons surnuméraires, dont le contrôle sera assuré par une agence de la reproduction humaine ; l'implantation, après le décès du père, d'embryons créés dans le cadre d'un projet scientifique. En revanche, seront interdits l'introduction en France d'embryons non conçus selon les principes en vigueur, de même que la possibilité de mettre en uvre de nouvelles techniques de PMA (procréation médicalement assistée) sans évaluation préalable. Enfin, la commission a introduit une peine de cinq ans d'emprisonnement pour toute personne impliquée dans des affaires de clonage reproductif.
La séance commencera par le rapport d'Alain Claeys au nom de la commission spéciale, puis le rapport d'Yvette Roudy au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
L'Académie de médecine a tenu pour sa part à rappeler son avis sur le sujet. Un avis globalement positif, le projet interdisant le clonage reproductif et assurant un meilleur encadrement des pratiques d'AMP et de la recherche sur l'embryon.
L'Académie émet toutefois des réserves. Elle déplore notamment « l'absence de différence dans le projet entre la recherche sur l'embryon résultant d'une fusion gamétique et la recherche sur des lignées de cellules souches par transfert intraovocytaire d'un noyau somatique ».
Concernant l'APEGH, l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaine, l'Académie s'inquiète des moyens dont elle pourra disposer, « étant donnée l'ampleur de ses missions d'encadrement ». Enfin, l'Académie déplore que la mesure de la loi de 1994 rendant obligatoire au terme de cinq ans un nouvel examen législatif des conditions d'application ne soit pas reconduite.
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