Quelques-uns de nos lecteurs nous ont écrit pour nous poser une série de questions sur le comportement diplomatique et militaire des Etats-Unis depuis le 11 septembre.
Ils ne remettent pas en question l'intervention en Afghanistan. Mais ils constatent, conformément à ce que nous disions nous-mêmes dans un article du 31 janvier dernier, que George W. Bush n'a pas modifié la ligne qu'il a définie pendant sa campagne électorale et qu'il l'a même renforcée.
S'il a utilisé à fond les ressources de sa diplomatie avant d'envoyer des troupes en Afghanistan, il a réaffirmé sa politique unilatéraliste au lendemain de la défaite des talibans.
« L'axe du mal »
Son rapprochement avec Vladimir Poutine ne l'a pas empêché de dénoncer le traité ABM de 1972 pour construire un bouclier antimissiles, malgré les mises en garde de Moscou et des capitales européennes ; il ne signera pas le protocole de Kyoto pour la défense de l'environnement ; il a ouvert une sorte de nouvelle guerre froide avec l'Irak, l'Iran et la Corée du Nord, décrits comme « l'axe du mal » dans son discours sur l'état de l'Union ; il propose au Congrès un budget militaire de 380 milliards de dollars, justifié, selon lui, par les menaces contre l'Amérique ; il rejette sèchement et les imprécations de ses ennemis désignés et les protestations de ses amis, notamment celles de la France dont le ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, dénonce le « simplisme » américain ; il refuse de modérer Ariel Sharon et d'aider Yasser Arafat, ne craint pas de désigner le Hamas, le Djihad et le Hezbollah comme des groupes terroristes, à la grande satisfaction des Israéliens ; il lance une bataille contre l'opposition démocrate qui refuse de diminuer les impôts et il transforme d'énormes excédents budgétaires en déficits, destinés principalement à financer son programme d'équipements militaires.
George W. Bush a trouvé dans les attentats du 11 septembre non pas une source d'humilité, mais un argument puissant en faveur de l'unilatéralisme. Il a conduit la guerre d'Afghanistan avec une certaine maestria et un succès difficile à récuser, même si le sort de ce pays divisé n'est pas vraiment scellé et si Ben Laden et le mollah Omar courent toujours. M. Bush a toujours dit que son rôle ne consistait pas à reconstruire les nations (il laisse ce rôle bien volontiers aux Nations unies, si elles sont capables de le jouer) mais à défendre les intérêts de l'Amérique. Ce n'est pas un diplomate, c'est un stratège. Il n'a pas la patience d'entrer avec le dictateur coréen dans des tractations qui ne mènent à rien, ni de laisser M. Arafat jouer sur les ambiguïtés. Il a contraint son secrétaire d'Etat, Colin Powell, qui a acquis une stature de grand diplomate, à confirmer que l'Amérique s'en prendra à l'Irak si Saddam Hussein n'accepte pas sans conditions le retour non négociable des inspecteurs des Nations unies.
L'exemple de Reagan
Depuis Reagan et sa fameuse phrase sur « l'Empire du mal » (l'Union soviétique), on n'avait jamais entendu un tel discours chez les dirigeants américains. M. Bush, loin de s'inspirer de son père, copie Reagan. Dans les années quatre-vingt, l'ancien acteur de cinéma devenu président faisait l'objet des quolibets d'Européens condescendants. Mais c'est Reagan qui a mis l'URSS à genoux en lançant un programme d'armements (1 500 milliards de dollars) qui a contraint les dirigeants soviétiques à augmenter leur budget militaire et à ruiner leur pays, incapable de suivre. C'est de cette manière que le mur de Berlin s'est écroulé.
De la même manière, M. Bush fait savoir à tous ceux qui recourent au double langage, comme les dirigeants de la Corée communiste, ou qui tentent de se munir de l'arme atomique pour modifier le rapport de forces en leur faveur, qu'il ne les laissera pas faire. Simpliste ou non, le président américain ne se trompe pas quand il estime que le monde est devenu extrêmement dangereux ; il ne se trompe pas quand il voit que les Européens n'ont pas commencé à mettre sur pied une armée commune qui pourrait intervenir à chaud dans les conflits régionaux ; il ne se trompe pas quand il découvre les complaisances des gouvernements européens, y compris celui du Royaume-Uni, avec le terrorisme international. Paranoïa ? Dites-le aux familles des victimes du World Trade Center et vous verrez comment vous serez reçu. Dîtes-leur qu'il faut répondre au crime par la persuasion, et vous entendrez leur réponse. Dîtes-leur que les détenus de Guatanamo ont tous les droits des prisonniers de guerre et ils évoqueront les droits des civils massacrés à leur poste de travail.
M. Bush conduit cette politique de fermeté, et même martiale, en partie parce que les nouvelles ne sont pas si roses sur le front intérieur et que l'économie américaine n'a pas encore redémarré. Il sait bien que, sur le thème de la défense des Etats-Unis, il est suivi par 90 % des Américains. Sa ligne est donc dictée à la fois par ses convictions et par les circonstances. Il n'a aucun intérêt à la modifier pour obtenir de M. Védrine un jugement plus flatteur. La vérité, c'est que, en dehors de Tony Blair, il ne s'intéresse pas aux Européens, il ne s'intéresse pas aux Nations unies et, au fond, il ne s'intéresse pas à l'OTAN. Aujourd'hui, les Etats-Unis n'ont pas besoin de leurs alliés pour lancer une opération contre un pays du « mal ». Ils peuvent le faire seuls et le feront seuls si leurs alliés soulèvent des objections.
Pas un saint
Ce passage en force systématique sur les grands problèmes de l'heure doit-il être approuvé ? M. Bush n'est pas un saint et rien n'interdit à d'autres de penser (et ils ne s'en privent pas) que l'empire du mal, c'est l'Amérique. Le président des Etats-Unis est au moins coupable de se moquer de l'environnement, d'encourager le réarmement, de ne penser qu'aux intérêts pétroliers de son pays et de définir son programme en fonction des appétits de l'industrie qui a financé sa campagne électorale. Il est coupable d'avoir eu, lui et son entourage, des liens avec des sociétés dirigées par de dangereux escrocs, comme Enron. Il est coupable de trouver des milliards de dollars pour renflouer les compagnies en faillite, mais de ne pas songer aux employés qu'elles ont licenciés.
Il demeure qu'une diplomatie crédible qui tiendrait tête à l'Amérique ne saurait se borner à des mots et à des jugements. Il est possible que nous ayons en France des dirigeants infiniment plus intelligents et cultivés que M. Bush. Mais nous n'avons pas fait l'Europe, nous n'avons pas les moyens militaires qui nous permettraient de conjurer les nouveaux dangers du siècle. Nous n'aurions rien fait au Koweit, au Kosovo, en Afghanistan sans les Américains. Nous n'avons aucune influence réelle au Proche-Orient et, si les Américains prennent le parti de M. Sharon, nous pouvons toujours tempêter, c'est M. Sharon qui gagne cette manche.
Le plus drôle, c'est que les Etats-Unis et M. Bush ne verraient aucun inconvénient à ce que l'Europe prenne leur relais, par exemple au Proche-Orient : ils ne tiennent pas du tout à ce que la crise s'étende au reste de la région. Pour le moment, le sentiment profond des Américains, c'est qu'ils font le travail pour nous. Ils changent la donne à la faveur d'une intervention militaire, nous les laissons faire et, quand la crise est passée, nous les abreuvons de critiques. C'est trop facile. Si l'Irak ou l'Iran ont un jour des moyens nucléaires, chacun d'entre nous peut imaginer ce qui se passerait au Moyen-Orient ou en Asie mineure. Les Européens ne seront pas pris au sérieux par les Américains s'ils ne sont prêts qu'à discuter, jamais à livrer bataille. M. Bush, depuis le 11 septembre, n'a changé que dans le sens d'un renforcement des convictions qu'il avait en arrivant au pouvoir. Au point que, à ses yeux, la partie se joue dans un champ clos entre l'Amérique et ses ennemis.
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