NOUS AVIONS chiffré à la fin des années 1990, le coût d'une épidémie hivernale de grippe en France, uniquement en termes d'arrêts de travail (1), à partir des données recueillies par les médecins généralistes du réseau Sentinelles de l'Inserm. Ainsi, pour l'épidémie de grippe de 1988-1989, d'une taille de 4,3 millions de cas (il s'agit de cas de syndromes grippaux, tous âges confondus, amenés à consulter leur médecin généraliste), le coût attribuable à l'épidémie en termes d'arrêts de travail avait été estimé à près de 90 millions de dollars, soit, en l'actualisant et en le convertissant, à environ 150 millions d'euros aujourd'hui. Une équipe néerlandaise (2) a chiffré à 167 milliards d'euros les coûts médicaux directs d'une pandémie de grippe (hospitalisations, consultations de médecins, prescriptions) pour une population d'une taille d'un milliard d'individus issus de pays développés (sur la base des coûts médicaux enregistrés au Royaume-Uni). Les auteurs ont repris les hypothèses d'une pandémie grippale pour un virus ayant un taux d'attaque (pourcentage de personnes atteintes) de 35 %, soit une hypothèse admise aujourd'hui par de nombreux auteurs.
Pour estimer la consommation de soins en cas de pandémie, ils ont appliqué à la population générale, les données dont ils disposaient pour les épidémies de grippe saisonnière et concernant les personnes âgées au Royaume-Uni (3) : taux d'hospitalisation pour grippe et pneumonie de 2,52 %, pour autres causes respiratoires de 9,34 %, pour insuffisance cardiaque de 1,9 %, soit un taux d'hospitalisation de l'ordre de 14 %.
Nous avons réalisé pour « le Quotidien du Médecin », l'estimation des coûts médicaux directs et du coût des arrêts de travail d'une future pandémie grippale en l'absence de mesures d'intervention particulière (ni vaccination, ni chimioprophylaxie organisée par l'Etat), selon les hypothèses retenues dans ces différents travaux.
Des coûts médicaux directs et indirects estimés entre 4 et 11 milliards d'euros.
En retenant l'hypothèse d'une pandémie responsable de 21 millions de syndromes grippaux en France (taux d'attaque de 35 %), 2,9 millions d'hospitalisations et 1,3 million de consultations de généralistes supplémentaires, le chiffrage à la population française de la prochaine pandémie en termes de coûts médicaux directs (en l'absence de prise en compte des pertes de productivité et des arrêts de travail) peut être estimé entre 9 et 10 milliards d'euros, auxquels il conviendrait d'ajouter environ 1 milliard d'euros pour la prise en charge des arrêts de travail.
Il convient d'interpréter nos prévisions avec précautions. En effet, les différences de recours aux soins, y compris à l'intérieur même de l'Europe, sont importantes. Lorsqu'en France 57 % des personnes atteintes d'un syndrome grippal consultent leur médecin généraliste (4), elles sont seulement 16 % au Royaume-Uni. La proportion de consultations retenue dans nos simulations était encore plus faible (6 %), soit un taux probablement très inférieur à ce qui se passera en France, mais la part que représentent les consultations des médecins généralistes dans le surcoût lié à la pandémie ne serait que de 0,5 % des coûts médicaux directs ; ainsi, même décuplé, il ne modifierait pas substantiellement nos prévisions.
La part essentielle du surcoût de la pandémie dans le modèle retenu ici est donc liée aux hospitalisations. Or l'hypothèse de 2,9 millions d'hospitalisations que nous avons retenue est plus élevée que celle avancée par l'InVS (1,06 million) et conduirait à une estimation du coût médical direct (+ arrêts de travail) de la pandémie de l'ordre de 4 milliards d'euros.
Les estimations du coût de la pandémie réalisées aux Etats-Unis par les Centers for Disease Control and Prevention (5) sont très similaires aux nôtres (avec une hypothèse sur le taux d'attaque de 35 % et un taux d'hospitalisation de 14 %), puisque rapportées à la taille de la population française, elles conduisent à un coût estimé à 11 milliards de dollars (9,13 millairds d'euros) en ne retenant que les coûts médicaux directs.
En fait, cette équipe publie un chiffrage trois fois plus élevé, car il tient compte des pertes de production dues aux décès de personnes jeunes et actives, en reposant sur des hypothèses (taux de décès, et donc virulence de la souche grippale) plus contestées.
Au total, selon les hypothèses retenues, le seul coût médical de la pandémie (hospitalisations, consultations et remboursements des arrêts de travail) s'élèverait pour la France entre 4 et 11 milliards d'euros, si l'on retient l'hypothèse souvent avancée d'un taux d'attaque de la souche virale de l'ordre de 35 % de la population générale. A cela, devront s'ajouter les coûts indirects pour perte de production liées aux absences, à la désorganisation sociale, et aux décès prématurés, ainsi que les coûts sociaux et sociétaux liés à la perte de confiance, à la baisse du commerce mondial et du tourisme qui, selon un rapport de l'Oxford Economic Forecasting, pourrait s'élever entre 1 et 6 % du produit intérieur brut mondial (6).
SENTINELLES
(1) D. Costagliola, A. Flahault, D. Galinec, P. Garnerin, J. Menares, A.J. Valleron. A routine tool for detection and assessment of epidemics of influenza-like syndromes in France. « Am J Public Health ». 1991.81 (1) : 97-99.
(2) J.K. Medema et al., Modeling pandemic preparedness scenarios : health economic implications of enhanced pandemic vaccine supply. Virus Res, 2004. 103 (1-2) : 9-15.
(3) P.A. Scuffham, P.A. West. Economic evaluation of strategies for the control and management of influenza in Europe. Vaccine, 2002. 20 : 2 562-78.
(4) F. Carrat, C. Sahler, S. Rogez, M. Leruez-Ville, F. Freymuth, C. Le Gales, M. Bungener, B. Housset, M. Nicolas, C. Rouzioux. Influenza burden of illness : estimates from a national prospective survey of household contacts in France. « Arch Intern Med ». 2002 Sep 9 ; 162 (16) : 1 842-8.
(5) M.I. Meltzer, N.J. Cox and K. Fukuda, The economic impact of pandemic influenza in the United States : priorities for intervention. « Emerg Infect Dis », 1999. 5 (5) : 659-71.
(6) V. Rossi, J. Walker. Assessing the economic impact and costs of flu pandemics originating in Asia. Oxford Economic Forecasting Group. Mai 2005. http://www.l20.org/publications/Phase%20III/Pandemics/geneva.rossi_walk….
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