DEPUIS qu'elle s'est mise à l'heure du multimédia, la Bibliothèque interuniversitaire de médecine (Bium), à Paris, offre la possibilité de découvrir de visu de larges échantillons de son fonds ancien, riche de 338 000 ouvrages datant de 1477 à 1952. Des expositions virtuelles fort bien faites explorent diverses époques, en présentant 100 frontispices de livres de médecine, l'herbier de Paolo Boccone, les gueules cassées et le voyage en Italie du Dr Cloquet. Le livre-exposition virtuel qui vient d'être mis en ligne n'est pas le moins intéressant, en se penchant sur les monstres de la Renaissance à l'âge classique.
Chroniques de prodiges.
A cette époque, explique Annie Bitbol-Hespériès, qui a choisi les images et écrit les textes, le mot monstre était fréquemment utilisé pour décrire des êtres humains et des animaux affectés de déformations morphologiques importantes ou des créatures composites ou tout simplement exotiques. Dans « Des monstres et prodiges » (1573), Ambroise Paré présente entre autres une fille à deux têtes, un porc à huit pattes et quatre oreilles, un poulain à tête d'homme et une baleine, « le plus grand monstre qui se trouve en la mer », ou un caméléon.
Avec cette définition très large et un intérêt passionné qui n'est pas le seul fait des médecins ou chirurgiens, cette période est vraiment « le temps des monstres ». Dès la seconde moitié du XVIe, de nombreux ouvrages en témoignent : « Chronique de prodiges » (Lycosthenes), « Cosmographie » (Münster), « Histoires prodigieuses » (Boaistuau) et, avant Paré, le traité sur la génération humaine du chirurgien et obstétricien Rüff.
Les images montrent ce qui existe, conformément à l'étymologie du mot monstre (monstrare), et sont le moyen de faire passer le savoir, mais elles relèvent aussi de l'imaginaire influencé par la religion ou la mythologie. D'authentiques cas tératologiques (anencéphalie, phocomélie, métopagie, dérodymie...) voisinent avec des créatures imaginaires.
C'est que les connaissances sont fragiles. Dans « la Fabrique du corps humain », Vésale est le premier à représenter un utérus féminin, puis un fœtus enveloppé de ses membranes. Rüff et Paré exposent les diverses présentations des enfants dans l'utérus à côté d'êtres mi-homme mi-animal.
L'émergence du discours médical.
Au XVIIe, avec la séparation de la théologie et de la médecine, et l'émergence d'un discours médical, l'attitude envers les monstres se modifie. Des médecins (Marin Weinrich, André Du Laurens, J.-G. Schenck) mettent en avant la recherche de causes naturelles dans la production de monstres, à distinguer des interventions surnaturelles, divines ou diaboliques qui servaient volontiers d'explication. La présentation des monstres se limite alors aux êtres vivants porteurs de malformations majeures. Le développement de l'anatomie, grâce aux dissections auxquelles peuvent assister des dessinateurs, y est pour beaucoup. Puis William Harvey, dans son traité latin sur la génération des animaux (1651), sans gravures, fait le lien entre monstruosité et développement embryonnaire. L'attitude envers la nature a aussi changé, notamment grâce à Descartes. Tout dans la nature peut devenir objet de connaissance, ce à quoi s'emploieront les savants des siècles suivants. Et l'exposition, qui fait une incursion jusqu'au milieu du XIXe, de citer Geoffroy Saint-Hilaire, qui dit en 1826 à propos des monstres : « S'étonner en les voyant n'est pas savoir. »
Ce voyage dans deux siècles de livres sur les monstres, qui éclaire l'histoire de la médecine et des mentalités, se fait avec facilité grâce à la réalisation infographique et informatique de Jacques Gana. On peut zoomer sur chaque document, visualiser toutes les illustrations du même livre, accéder à la biographie des auteurs. Et refaire la visite autant de fois que souhaité.
Recherche et ressources
La Bium est aussi un centre de ressources, qui expédie des reproductions de documents dans le monde entier. Elle propose enfin un service de renseignements en ligne et de nombreuses ressources électroniques.
12, rue de l'Ecole-de-Médecine, 75006 Paris, tél. 01.40.46.19.51, fax 01.44.41.10.20, bium@bium.univ-paris5.fr.
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