La loi de 2002 sur le droit des malades s'efforce de préserver le colloque singulier entre le médecin et le patient, dans sa dimension citoyenne. Et voilà un site Internet qui constitue une atteinte commerciale à la relation médecin-malade. Au côté purement marchand de l'opération, risquent même de s'ajouter des débordements vers la délation et la diffamation. Disant cela, je ne m'inscris bien évidemment en faux contre l'évaluation des médecins. Nous avons bien sûr besoin d'une évaluation, mais à condition qu'elle soit contrôlée, avec des critères objectifs et une obligation de formation médicale continue.
Ce projet n'a rien à voir avec une évaluation digne de ce nom et il ne peut que contribuer encore un peu plus à déstabiliser la médecine libérale.
* Urgentiste, vice-présidente de l'Assemblée nationale, députée (PS) du Pas-de-Calais.
Gérard Bapt* : un facteur de stress supplémentaire
Ma réaction devant un tel projet est très défavorable. Je pense même qu'il serait opportun d'interdire ce site. En effet, il contrevient potentiellement à l'interdiction déontologique de faire de la publicité. Car il pourrait être utilisé à cette fin, autant qu'à celle de porter atteinte à l'honorablité d'un confrère. Là encore, il s'agit d'un manquement caractérisé au code de déontologie médicale. La notation nominative des professeurs vient d'être interdite par la justice. Or noter son médecin me paraît encore moins justifié, éthiquement parlant, que noter un enseignant. Celui-ci, en effet, est un fonctionnaire et l'élève est soumis à son autorité, que cela lui plaise ou non. Dans le cas de la relation du médecin et de son malade, après tout, si ce dernier n'est pas satisfait, il a toute liberté de s'adresser à un autre confrère. Instaurer un système de notation nominative et publique ne saurait avoir d'autres effets que d'ajouter un facteur de stress supplémentaire à un colloque qui, en l'état, n'en manque pas.
* Cardiologue, député (PS) de Haute-Garonne et maire de Saint-Jean.
Jean Leonetti* : une idée extrêmement dangereuse
C'est tout simplement consternant. Proposer au patient d'évaluer la politesse, la qualité de l'accueil, la ponctualité, la rapidité de réponse de son médecin peut sembler affaire de bon sens citoyen. Mais une telle notation est extrêmement dangereuse car elle revient à demander au non-sachant de noter le sachant, en dehors de critères sérieux et objectifs. Chacun connaît des praticiens qui redoublent de séduction envers leur clientèle et qui ne sont pas forcément de bons médecins. Inversement, des praticiens peuvent avoir un contact difficile, mais effectuer un travail de grande qualité. Avec un tel système, vous vous exposez à ce que tous les Drs Knock se retrouvent en tête de classement !
Bien sûr, nous assistons à un déferlement venu d'Amérique de ce type d'initiatives sur Internet. Mais l'éthique consiste à savoir aller contre les modes. Surtout quand, en l'espèce, les modes sont contraires à l'éthique. Pour parler dans le jargon du Dr Knock, il faut arrêter de chatouiller l'électeur là où ça le gratouille ! Après les profs et les médecins, à quand la notation des juges par les délinquants ?
* Cardiologue, député (apparenté UMP) des Alpes-Maritimes, maire d'Antibes.
Le Dr Jean Doubovetzky* : une démarche citoyenne qui a ses limites
Dans mes livres, qui sont des guides pour le choix d'un praticien, j'ai procédé à l'aide d'une grille très détaillée de renseignements, ce qui ne semble pas être le cas du site. Et j'ai surtout souligné que le choix d'un médecin est toujours une démarche personnelle, qui ne saurait être dictée à d'autres. Tous les praticiens sont exercés à mettre du liant dans le colloque singulier et à satisfaire la demande de convivialité du malade. Ce critère de la qualité d'écoute et de contact ne saurait être déterminant, pas plus qu'il n'est objectif. Il risque même d'ouvrir la voie aux rancoeurs accumulées, à un ressenti qui évolue mal.
En revanche, chacun est en quête d'éléments d'informations factuels sur le fonctionnement d'un cabinet médical : est-il ouvert le samedi ? Peut-on joindre le médecin directement au téléphone ? A quel étage se trouve-t-il ? Y a-t-il place pour un landau dans la salle d'attente ?...
Le projet Note2bib n'est cependant pas à rejeter. Il sanctionne une situation de défiance qui, dans un certain nombre de cas, a pu s'instaurer entre le médecin et le patient. Et il n'est pas forcément de nature à restaurer la confiance perdue.
* Généraliste à Albi (Haute-Garonne), auteur de « Comment choisir son médecin » et « Choisir son généraliste » (éditions Déclics).
Le Dr Jean-Claude Valier* : tourner en dérision plutôt qu'interdire
S'il s'agissait, comme le prétendent les promoteurs de cette opération, d'apprécier d'abord la qualité de l'écoute des praticiens, j'aurais envie de leur répondre : mon chien aussi m'écoute attentivement, mais je ne le choisis pas comme médecin traitant ! Ce site est une absurdité que je préfère tourner en dérision plutôt qu'en demander l'interdiction. Va-t-on inviter demain les passagers d'un Airbus à noter leur pilote ? Et vont-ils réserver leur place dans l'appareil selon la notation d'un site Internet consacré aux commandants de bord ?
Est-ce que ça me dérange personnellement ? J'ai envie de vous répondre que, lorsque ce site sera opérationnel, je me paierai un réseau d'internautes pour venir me noter comme le meilleur généraliste de toute ma région.
* Généraliste à Piré (Finistère).
Le Dr Catherine Harvey* : un site éthiquement douteux
Etant donné que je consacre beaucoup de temps à chacun de mes patients, j'espère que je n'aurais pas à souffrir d'une notation qui porterait sur la qualité de l'écoute entre eux et moi. En revanche, je m'interroge sur des confrères plus rugueux de contact, qui peuvent être d'excellents praticiens. Au final, la consultation d'un tel site ne risque-t-elle pas de dériver sur une appréciation de la compétence à proprement parler médical ? C'est un problème constant avec Internet, autour des interprétations abusives ou erronées de l'information. Et nous-mêmes, médecins, nous sommes exposés à des erreurs d'appréciation.
* Généraliste à Châtillon-Coligny (Loiret).
Le Dr Annie Lacroix* : ce site n'empêchera pas la médecine à l'abattage
Quand vous voyez que le public continue à s'entasser dans les salles d'attente des confrères qui pratiquent la médecine à l'abattage et, en fait de qualité d'écoute et de relation, expédient les clients en quelques minutes, vous vous dites qu'un site censé recueillir les avis sur ces critères n'a guère de chance de renverser la tendance ni d'améliorer les choses. Pour moi qui m'applique à passer du temps avec chaque malade, c'est navrant, c'est débilitant. De toute manière, si les patients ont envie d'attaquer leurs médecins, de les classer, de les noter, personne ne les empêche de construire un blog et de se lâcher.
* Généraliste à Paris 13e.
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