TOUS LES HABITANTS du canton de Castellane, qui ont signé la pétition du comité de soutien* ; l'unanimité des conseillers généraux des Alpes-de-Haute-Provence, qui ont voté vendredi dernier, comme un seul homme, une motion pour demander à «M.Sarkozy d'intervenir auprès des autorités tchadiennes pour obtenir son extradition en France dès le jugement rendu par la cour criminelle de N'Djamena, comme l'autorise la convention judiciaire entre les deux pays»; les autorités ordinales, départementales et nationales, qui ont octroyé une aide matérielle à son épouse ; jusqu'aux autorités religieuses, par la voix de Mgr François-Xavier Loizeau, l'évêque de Digne, ou du père Guy Gilbert, le « curé des loubards », dont la bergerie est voisine. Tous ont les yeux tournés vers N'Djamena et la cour criminelle qui va juger, à partir de demain, le Dr Philippe Van Winkelberg, les cinq membres français de l'Arche de Zoé qui avaient projeté d'emmener en France 103 enfants ainsi que leurs quatre coaccusés, trois Tchadiens et un Soudanais. Mis en examen pour «enlèvement d'enfants tendant à compromettre leur état civil, faux en écritures publiques et grivèlerie», ils encourent des peines de cinq à vingt ans de travaux forcés.
Optimistes.
Mais les défenseurs et les proches du généraliste sont optimistes. Ou veulent l'être. Certes, le suspense demeure entier sur le verdict de la cour. «Je suis un peu comme le chirurgien qui entre au bloc partagé entre l'espoir que son opération réussisse et la crainte qu'elle échoue», confie le bâtonnier Mario Stasi, l'un des avocats français qui plaidera à N'Djamena. Nous voudrions être assurés que la justice pourra être rendue sereinement, malgré une instruction accélérée qui n'a pas permis de préparer les auditions ni d'organiser toutes les confrontations nécessaires à la manifestation de la vérité.»
Sa consoeur, Me Céline Lorenzo, l'une des avocates du Dr Van Winkelberg, exprime une appréhension semblable quant à l'équité du procès. Tout en se gardant de vouloir dissocier le Dr Van Winkelberg des autres inculpés, elle veut axer sa plaidoirie sur l'engagement médical de son client, « qui a uniquement agi en qualité de médecin soucieux d'apporter des soins à des enfants en danger. Je vaisdonc demander l'acquittement, annonce-t-elle, en produisant notamment tous les témoignages de moralité qui ont été recueillis par le comité de soutien de Castellane».
Pour sa part, le Dr Van Winkelberg, qui a cessé depuis une semaine sa grève de la faim, commence à se démarquer des membres de l'association, dont son épouse, Antonia, n'a de cesse de rappeler qu'il n'est pas membre. C'est ainsi que, à l'occasion du tirage au sort des jurés, alors que les coaccusés étaient, comme à leur habitude, vêtus d'un pantalon bleu de pompier, d'un tee-shirt blanc et d'un gilet bleu marqué Children Rescue (le nom sous lequel l'Arche de Zoé opérait au Tchad), lui-même s'est abstenu d'arborer la moindre emblème associative. Et il devrait s'en garder durant les quatre jours d'audience programmés en principe jusqu'au 26 décembre (la cour faisant relâche le dimanche ainsi que le jour de Noël).
«Evidemment, s'exclame le Dr Michèle Gastaldi, son associée, par ailleurs conseiller général, si Philippe pouvait bénéficier d'un acquittement, ce serait génial!». Son avocate imagine même qu'elle pourrait, dans une telle hypothèse, regagner la France avec lui, dès le 26 décembre.
Convention franco-tchadienne.
A défaut, une condamnation ne serait cependant pas synonyme de maintien en détention au Tchad. «En application des conventions d'entraide judiciaire qui lient laFrance et le Tchad, explique Me Lorenzo, dès l'énoncé du jugement, Paris et N'Djamena pourront s'accorder pour une extradition immédiate. Il appartiendra alors au juge français de l'application des peines de saisir le parquet général pour aménager la peine, car les travaux forcés n'existent pas chez nous.» L'avocate imagine des aménagements possibles, sous forme de contrôle judiciaire, ou avec la pose d'un bracelet électronique. « De toute façon, prévient-elle, il serait scandaleux que mon client passe ne serait-ce qu'un seul jour en détention en France.»
Dès lors, les amis du généraliste, à l'instar de Nathalie Blanc, infirmière libérale à Castellane, une des animatrices du comité de soutien, s'en déclarent convaincus : «Même si les procédures judiciaires sont compliquées, tout sera fait pour accélérer la manoeuvre et permettre l'arrivée de Philippe à Castellane avant la fin de l'année. Nicolas Sarkozy s'est lui-même engagé la semaine dernière, en recevant à l'Elysée les proches des détenus. Il a exprimé ses préoccupations pour l'état de santé de nos compatriotes détenus, assurant qu'il suivait personnellement et de près l'évolution de l'affaire.»
Après les imprécations lancées au tout-début de l'affaire par la secrétaire d'Etat, Rama Yade, le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, s'est lui-même déclaré persuadé que les membres de l'Arche de Zoé «n'avaient pas été malfaisants, qu'ils avaient cru faire le bien et qu'il n'y avait pas eu de leur part de perversité».
Pour Me Stasi, le procès s'annonce délicat, compte tenu du contexte politique et de la susceptibilité des autorités tchadiennes. Et, souligne-t-il, «il ne faudrait surtout pas le considérer comme une simple formalité avant d'engager les procédures d'extradition. Nous devrons être attentifs et combatifs pour convaincre le jury que l'unique motivation des accusés procède bien de leur engagement humanitaire».
A Castellane, Antonia Van Winkelberg continue à exprimer la peur qui l'habite, la peur, dit-elle, de céder à une fausse joie. Ce soir, pour le neuvième jeudi consécutif, le comité de soutien va se réunir à la salle des fêtes. «Nous allons fixer sur la place, sous le buste de Marianne, une pancarte avec un grand portrait de Philippe et un arbre de Noël, annonce Nathalie Blanc. Nous ajouterons des photos des gens du village et un bandeau avec le nombre de jours de procès.» Comme un compte à rebours.
* Site du comité de soutien : www.soutien-v-w.fr.
Repères
– 25 octobre : 9 Français, dont 3 journalistes, et 7 Espagnols (l'équipage de leur avion) sont arrêtés à Abéché (est du Tchad), où ils s'apprêtaient à embarquer vers la France 103 enfants.
– 29 octobre : les Français sont inculpés pour enlèvement de mineurs, les Espagnols pour complicité.
– 2 novembre : les 17 Européens sont incarcérés à N'Djamena.
– 4 novembre : les 4 hôtesses de l'air espagnoles et les 3 journalistes français sont libérés puis rapatriés après une visite éclair au Tchad du président français.
– 6 novembre : Nicolas Sarkozy assure qu'il ira « chercher tous ceux qui restent quoi qu'ils aient fait » au Tchad. Le président tchadien Idriss Deby affirme que la justice se fera « au Tchad ».
– 9 novembre : libération des 3 derniers Espagnols.
– 14 novembre : violente manifestation antifrançaise à N'Djamena.
– 8 décembre : les 6 détenus français entament une grève de la faim pour dénoncer une enquête menée à charge, selon eux.
– 12 décembre : 10 inculpés (6 Français, 3 Tchadiens et 1 Soudanais) sont formellement renvoyés devant la cour criminelle de N'Djamena.
– 21 décembre : début du procès.
« Un sacré bonhomme »
« Il n'a jamais failli dans son métier, lorsqu'il fallait le réveiller pour une intervention, même bénigne, il venait à n'importe quelle heure de la nuit. Il n'a jamais fait de différence entre les grades de la profession, il a toujours eu une parole sympathique pour chacun ou chacune d'entre nous, que l'on soit agent des services hospitaliers, aide-soignante, infirmière, personnel administratif. » Dans la motion qu'ils ont unanimement signée, les collaborateurs de l'hôpital de Castellane, dont le Dr Van Winkelberg est le médecin référent, dressent de lui un portrait particulièrement élogieux. « Nous avons pu partager avec lui des moments difficiles face à la souffrance de nos résidents, mais aussi nous avons eu la joie d'assister avec lui à l'instant magique d'une naissance, moment inoubliable, où nous avons pu reconnaître son énorme émotion. Oui, Philippe est un sacré bonhomme. Oui, quand on le connaît, on peut parfaitement comprendre qu'il ait voulu apporter encore plus à des êtres en terrible souffrance, d'autant plus à des enfants. Oui, Philippe, nous reconnaissons tes nombreuses qualités, et nous pensons très fort à tes proches qui, eux aussi, peuvent être fiers de l'homme que tu es. Des médias ont essayé de trouver des témoignages qui t'accableraient, ils n'ont rien trouvé, et pour cause ! Ta générosité t'a conduit dans un cauchemar, et nous ferons tout notre possible pour t'en délivrer. Nous t'attendons impatiemment, nous, les soignants, les résidents, tout le personnel de l'hôpital, tes amis, et nous continuerons à te soutenir, nous qui te connaissons, nous sommes convaincus de ton intégrité. Hier, tu étais là pour nous, aujourd'hui, nous sommes là pour toi, pour que demain, à nouveau, tu sois avec nous, et que nous ayons encore le plaisir de travailler ensemble. »
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature