L’ANNÉE 2012 marque le début des grands départs en retraite dans toutes les spécialités, mais surtout dans la nôtre qui verra disparaître 25 % de ses effectifs d’ici 2020. Nous n’insisterons pas sur la cause de cette réduction de l’offre de soins, qui résulte de la volonté de freiner les dépenses de santé en limitant le nombre de médecins formés. En revanche, nous voulons faire savoir que si les coopérations interprofessionnelles tardent à se mettre en place, c’est de la faute des autorités sanitaires qui les abordent sous l’angle de l’autonomisation des professions paramédicales et qui, ainsi, veulent profiter de la situation pour diminuer l’influence et le poids des médecins dans l’offre de soins.
Il s’agit en fait d’une attitude ancienne, il suffit pour s’en convaincre de voir comment le champ d’activité du médecin généraliste a été dépecé et offert en cadeau à divers paramédicaux. Ainsi la contraception a-t-elle été donnée aux sages femmes, la vaccination aux infirmières et le suivi et l’ajustement des traitements aux pharmaciens. Mais ce n’est qu’un tout petit début. En ce qui nous concerne, sept ans après la validation du concept de travail en collaboration avec des orthoptistes (expérimentation Berland), nous sommes amenés à nous poser la question de savoir pourquoi, alors que l’urgence est là, les autorités sanitaires ne font rien pour soutenir la diffusion de ce mode d’organisation.
Un corps professionnel intermédiaire.
Le rapport Hénart apporte la réponse à condition de comprendre qu’en filigrane, il repose sur le postulat qu’il est temps de supprimer tout lien d’autorité entre les médecins et les autres professionnels de santé. Initié par Roselyne Bachelot et conclu sous le ministère de Xavier Bertrand, il défend l’idée qu’il est nécessaire de créer un corps professionnel intermédiaire entre les paramédicaux à bac + 3 et les médecins à bac + 11. Il préconise de former des « infirmières cliniciennes » à un niveau (bac + 5) qui leur permettrait de prendre en charge de façon autonome des soins concernant : « [le] premier recours, [le] vieillissement et [les] personnes âgées, [les] maladies chroniques et [le] cancer ». Les auteurs vont plus loin, et c’est le point fondamental, en souhaitant la création de nouveaux métiers médicaux (et non paramédicaux) ayant le diagnostic et le traitement en autonomie. Il s’agit donc d’une organisation dans laquelle chaque médecin serait remplacé par plusieurs infirmières cliniciennes autonomes. Une médecine sans médecin a toujours été le fantasme des autorités : delenda est Carthago !
Cette option est confirmée à la lecture du site "www. stratégie.gouv.fr" rattaché à Matignon. Selon sa propre présentation, le centre d’analyse stratégique « est une institution d’expertise et d’aide à la décision placée auprès du Premier ministre. ». La note numéro 254 publiée en décembre 2011 présente trois propositions principales pour mettre en œuvre les coopérations interprofessionnelles. Il s’agit de transférer les soins primaires sur les infirmières, de leur donner le suivi des pathologies chroniques et, enfin, de lancer une expérimentation qui leur permette de prescrire le traitement des « affections bénignes ».
Cette philosophie d’autonomisation a été confirmée par le président de la République lors de sa visite à Aubenas, le 20 décembre dernier. Alors qu’il était accompagné du ministre de la Santé et de sa secrétaire d’État, Nicolas Sarkozy s’est déclaré favorable à une augmentation de la rémunération des infirmiers, à condition de leur confier « de nouvelles responsabilités », il s’est surtout déclaré « ouvert » à la création de « passerelles » entre les métiers de médecin et d’infirmier. C’est donc « sans tabou », selon sa propre formule, qu’Il a proposé de reconnaître certaines infirmières comme médecins à part entière.
Quelques jours plus tard le Sénat votait, sous pression opticienne, le premier pas vers la démédicalisation de l’ordonnance de lunettes, sans débat, avec l’accord du gouvernement.
Le plus étonnant avec cette réforme visant à marginaliser les médecins, c’est l’absence d’étude d’impact, notamment sur le plan économique. Les autorités imposent leur idée sans décrire l’organisation générale du système après la réforme et sans analyser de son coût. Il serait, par exemple, important de savoir combien il faut d’infirmières cliniciennes autonomes pour remplacer chaque médecin manquant, sachant que certaines seront spécialisées sur l’accueil primaire et d’autres sur le suivi de pathologies, sachant aussi qu’un paramédical travaille toujours plus lentement qu’un médecin, sur des amplitudes horaires bien moindres. Les politiques et l’administration font semblant de croire que chaque médecin sera remplacé par un seul paramédical moins cher. La réforme, présentée ainsi ne peut qu’être séduisante pour les finances publiques, mais c’est un mensonge.
Créer un corps de professionnels complètement autonome chargé de remplacer les médecins est voué à l’échec, en tout cas à court terme. Il est très maladroit d’annoncer qu’il faut à la fois prendre aux médecins le premier recours, donc menacer leur recrutement direct, et le suivi de pathologies chroniques qui est leur cœur de métier. De même l’acceptabilité par la population d’un changement aussi profond de l’organisation des soins est loin d’être acquise. Et pourtant, un sondage IFOP, que nous avons commandité fin novembre, révèle que 75 % des patients sont d’accord pour être suivi par un paramédical à condition qu’il appartienne à la structure médicale. En revanche, l’acceptation de l’orthoptiste tombe à 4 % s’il est autonome. Appartenir à une équipe médicale donne de la légitimité à l’intervention du paramédical sur le champ de compétence du médecin. L’acceptation du médecin fait l’acceptation du patient.
Il ne peut pas être reproché aux autorités sanitaires d’avancer masquées. Leur stratégie consiste à laisser se dégrader l’organisation actuelle jusqu’à un point de rupture à partir duquel le concept d’infirmière clinicienne autonome aura l’air de sauver une situation catastrophique. Cette politique manque de finesse et va conduire à un affrontement interprofessionnel qui est bien la dernière chose dont nous avons besoin dans ce contexte de réduction de l’offre de soins. Pourtant les délégations sont nécessaires, mais elles ne peuvent se mettre en place qu’à condition de respecter les médecins et de s’appuyer sur eux pour conduire le changement. Quant à nous, ophtalmologistes, nous continuerons, malgré l’hostilité des autorités, à construire des équipes avec des collaborateurs bien formés, compétents, aux larges responsabilités. Les besoins de soins vont être immenses, nous ne pouvons pas laisser tomber les patients dont nous sommes décidément les seuls soutiens.
*Le Mans, président du Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF).
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