Caraïbes : une épidémie de poliomyélite associée au vaccin oral

Publié le 14/03/2002
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De notre correspondante

L'introduction du vaccin inactivé, en 1955, et du vaccin oral, en 1961, a permis d'éradiquer la poliomyélite due au virus sauvage dans les pays occidentaux. Sur le continent américain, le dernier cas de poliomyélite associé au virus sauvage est survenu au Pérou en 1991 ; aux Caraïbes, le dernier cas est survenu en 1989. Depuis, on ne recense en Amérique que de rares cas sporadiques de poliomyélite paralytique liés à la souche vaccinale (principalement après vaccination orale ou chez les sujets contacts des patients vaccinés).

Au cours de l'été 2000, deux cas de paralysie à Haïti (1 cas) et en République dominicaine (1 cas), liés au poliovirus de type 1, ont fait craindre une nouvelle circulation du virus sauvage, car : 1) les 2 patients présentaient une paralysie résiduelle ; 2) ces cas survinrent durant le pic saisonnier de transmission des entérovirus (et, donc, des poliovirus) ; 3) un patient n'était pas vacciné ; 4) le poliovirus de type 1 est le principal agent des épidémies de poliomyélite.
Mais l'analyse génétique des deux souches virales calma cette crainte : elles n'étaient pas apparentées aux souches sauvages, mais proches de la souche vaccinale orale de type 1 et très similaires l'une et l'autre.

Pas de cas typiques de polio postvaccinale

Ces deux cas n'étaient pas pour autant des cas typiques de poliomyélite paralytique associés au vaccin (PPAV). Ces derniers sont en effet rares (1 cas pour 2 millions de doses administrées de vaccin oral), sporadiques, liés à des expositions indépendantes de vaccin, et sont le plus souvent associés aux poliovirus de type 2 et 3. En outre, la ressemblance des deux souches suggérait qu'elles provenaient d'un même ancêtre, comme cela est typique pour les virus sauvages isolés durant une épidémie. L'alerte fut donc donnée, avec une surveillance accrue pour rechercher des cas supplémentaires de paralysie. Durant l'année suivante, 156 cas de paralysie furent analysés, et on confirma 12 cas de poliomyélite en République dominicaine et 7 à Haïti ; tous étaient liés à la souche circulante de type 1 dérivée du vaccin (souche PVDV de type 1). Deux patients décédèrent de paralysie bulbaire.
Ainsi, la souche PVDV liée à cette épidémie possède deux propriétés biologiques importantes du virus sauvage : la capacité de causer une paralysie sévère et la capacité de se transmettre aisément de personne à personne. La mauvaise couverture vaccinale dans cette région, doublée d'une mauvaise surveillance, a certainement facilité cette épidémie. Tous les patients, sauf un, étaient insuffisamment vaccinés ou non vaccinés.
Sur la base de leurs observations épidémiologiques et virologiques, les investigateurs pensent que l'épidémie a probablement débuté à Haïti, après l'administration du vaccin oral polio (VOP) à un enfant vivant dans une zone peu couverte par la vaccination. La souche vaccinale excrétée dans les selles de l'enfant s'est alors disséminée aux enfants non vaccinés, et des variants plus virulents et transmissibles ont été sélectionnés. Cette souche circulante aurait été importée en République dominicaine, dans une zone aussi peu couverte par la vaccination.
Des données récentes suggèrent que ce n'est pas un cas isolé. Des souches circulantes de poliovirus dérivé du vaccin (type 1) ont été liées à trois cas de paralysie aux Philippines en 2001.

Des conséquences pour l'OMS

« La découverte que le PVDV peut, dans des conditions appropriées, circuler et causer des cas de poliomyélite, a des conséquences importantes pour les stratégies de l'OMS qui visent à éradiquer la polio du monde entier », déclarent Kew (CDC, Atlanta) et coll. « L'éradication du poliovirus sauvage, à un stade maintenant avancé, doit être achevée le plus tôt possible. En même temps, il est impératif d'empêcher des brèches d'immunité dans les pays non endémiques, en particulier dans les pays tropicaux en développement où le risque de circulation du poliovirus est le plus élevé. » Ils recommandent, après l'éradication totale du virus sauvage, une stratégie soigneusement planifiée pour arrêter la vaccination orale. Enfin, ils préconisent de maintenir une surveillance globale du poliovirus, avec l'établissement de réserves de vaccin à utiliser en urgence.

« Science » du 14 mars 2002, www.sciencexpress.org

Dr Véronique NGUYEN

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7087