Voilà dix ans que la thrombospondine-1 (TSP-1) est connue comme inhibiteur de la morphogenèse capillaire in vivo ; il s'agit même de la première molécule endogène identifiée dans cette catégorie. La TSP-1 n'a vraisemblablement pas qu'une fonction au niveau de l'angiogenèse. L'étude de souris déficientes en TSP-1 a ainsi montré, outre les anomalies attendues de la cicatrisation, des phénomènes d'inflammation de l'épithélium pulmonaire, qui restent encore inexpliqués. L'éventail des fonction de TSP-1 reste donc à préciser. En attendant, on s'est beaucoup penché sur la fonction angiogénique, en particulier dans les tumeurs solides, dont on sait qu'elles ne se développent qu'à proportion de leur irrigation. Il a notamment été montré que des cellules tumorales exprimants TSP-1 après transfection par le gène tsp-1, et greffées chez l'animal, ne se développent que très lentement.
Cancer du sein, cancer du poumon, mélanome
En clinique humaine, par ailleurs, des corrélations inverses entre niveau d'expression de TSP-1 et progression tumorale ont été rapportées dans le cancer du sein, le cancer du poumon et le mélanome. Le rôle protecteur de TSP-1 vis-à-vis de la progression tumorale fait donc peu de doutes. Restait à étudier le rôle de la protéine vis-à-vis de l'apparition spontanée des tumeurs.
Manifestement, ce rôle est analogue. La démonstration a pu être apportée chez des souris transgéniques exprimant l'oncogène neu et particulièrement susceptibles aux tumeurs mammaires, qui apparaissent typiquement entre la 12e et la 20e semaine de vie. Ces animaux ont été croisés avec deux autres lignées murines, l'une n'exprimant pas TSP-1, l'autre surexprimant, au contraire, la protéine, après injection d'un gène tsp-1 surnuméraire dans le blastocyste.
Dans la descendance de ces croisements, l'expression de TSP-1 a été contrôlée. La protéine s'est effectivement révélée très surexprimée dans le tissu mammaire des animaux portant le gène tsp-1 surnuméraire et absente des animaux knock-out. En outre, chez les premiers, on retrouve une expression de TSP-1 dans les cellules tumorales elles-mêmes, alors que chez les souris neu, susceptibles aux tumeurs mais normales pour ce qui concerne TSP-1, on ne retrouve la protéine qu'au niveau du stroma bordant la tumeur. Au passage, on note d'ailleurs que la souris neu surexprime TSP-1 par rapport au niveau du tissu mammaire par rapport à l'animal sauvage, non malade, preuve d'une régulation « défensive » naturelle (cette surexpression reste toutefois inférieure à ce que l'on observe chez les animaux portant le gène surnuméraire).
Retard d'apparition des tumeurs
En ce qui concerne les délais d'apparition des tumeurs, les résultats tombent parfaitement dans le schéma attendu. La première tumeur apparait en effet à 91 jours chez les animaux TSP-1 négatifs, à 126 jours chez les souris neu, normales pour TSP-1, et à 168 jours chez les animaux surexprimant TSP-1. A 224 jours, tous les animaux déficients en TSP-1 avaient développé des tumeurs, alors que 20 % des animaux surexprimant la protéine étaient encore indemnes après dix-huit mois, terme de l'étude, malgré l'existence d'hyperplasies parenchymateuses.
Les analyses histologiques montraient, par ailleurs, des différences « évidentes, même macroscopiquement », entre la vascularisation des tumeurs n'exprimant pas ou surexprimant TSP-1. Les auteurs soulignent toutefois que si la sous-vascularisation des tumeurs TSP-1 positives est nette par rapport aux tumeurs TSP-1 négatives, ces dernières, en revanche, ne se distinguent pas des tumeurs normales pour TSP-1.
La maturation de la forme active de la MMP-9
Le mécanisme, enfin. Un certain nombre de composants de la matrice extracellulaire et de protéases ont été testées. Mais seule la métalloprotéinase-9 (MMP-9) voit son taux diminuer en présence d'un excès de TSP-1 et, inversement, augmenter en l'absence de TSP-1. On note que MMP-9 est connue pour faciliter l'angiogenèse et le caractère invasif des tumeurs. On note également que les taux du précurseur de MMP-9 étaient équivalents. La TSP-1 serait donc impliquée dans la maturation en forme active de la protéase à partir de son précurseur. Enfin, en l'absence de TSP-1, le taux de Vascular Endothelial Growth Factor (VEGF) associé à son récepteur paraît accru. La libération du VEGF de la matrice extracellulaire étant notamment le fait de MMP-9, ce résultat est parfaitement logique. Et il est probable que la libération du VEGF et la fixation à son récepteur constituent l'étape terminale - avant l'angiogénèse proprement dite - de la chaîne de régulation dont fait partie TSP-1. Les auteurs soulignent d'ailleurs que le réseau vasculaire « abondant, tortueux et dilaté » observé chez les animaux déficients en TSP-1 rappelle fortement le phénotype vasculaire associé à la surexpression du VEGF.
Au total, donc, il se confirme que TSP-1 n'est pas seulement un inhibiteur du développement des tumeurs greffées, dans des modèles à vrai dire très artificiels, mais aussi de l'apparition et du développement des tumeurs, dans un modèle que l'on considère proche des tumeurs spontanées. Les mécanismes de l'angiogénèse font actuellement l'objet d'études poussées. De nombreux facteurs intervenant dans ces mécanismes sont connus. Contrairement à l'usage, les auteurs ne font aucune allusion à des perspectives thérapeutiques. Mais, nécessairement, c'est à elles que l'on pense, moins parce que c'est l'usage, que parce que l'inhibition de la néoangiogenèse tumorale est probablement la piste la plus prometteuse pour des thérapies véritablement nouvelles du cancer.
J.-C. Rodriguez-Manzaneque et coll. « Proc Natl Acad Sci USA », 23 octobre 2001, vol. 98, n° 22, pp. 12485-12490.
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