De notre correspondante
à New York
On sait que, chez l'homme, le cancer de la prostate est la plus fréquente des tumeurs malignes et la troisième cause de décès par cancer après 55 ans aux Etats-Unis (après les cancers du poumon et du côlon). Il affecte un homme sur huit et cause 32 000 décès par an aux Etats-Unis.
Des facteurs génétiques jouent certainement un rôle dans le développement du cancer de la prostate, et des mutations dans des gènes tumeurs-suppresseurs connus (p53, RB1, PTEN) ont été identifiées dans une petite fraction de cancers de la prostate.
Des échantillons tumoraux de 22 patients
Le gène KLF6 (Kruppel-Like Factor 6) code pour un facteur de transcription exprimé un peu partout dans l'organisme, mais sa fonction n'est pas encore bien claire. En activant la transcription de gènes spécifiques, il régule probablement de nombreux processus cellulaires.
Puisque le gène KLF6 est situé sur le chromosome 10p, dans une région qui est délétée (ou perdue) dans 55 % des adénocarcinomes de la prostate sporadiques, une équipe de chercheurs, dirigée par le Pr Scott Friedman (Mount Sinai School of Medecine, New York), a décidé d'examiner ce gène de plus près dans les tumeurs malignes de la prostate.
En examinant les échantillons tumoraux de 22 patients atteints de cancer de la prostate, à l'aide de marqueurs microsatellites entourant le gène KLF6, les chercheurs ont découvert que 77 % des tumeurs (17/22) présentent une délétion d'un allèle KLF6. Ils ont alors analysé la séquence génétique de l'allèle KLF6 restant, et ont constaté des mutations dans 71 % (12/17) de ces tumeurs.
D'autres cancers ?
Les chercheurs démontrent in itro que la version normale du gène KLF6 ralentit considérablement la prolifération cellulaire et augmente l'expression de p21 indépendamment de p53, tandis que les versions mutées du gène KLF6 ne ralentissent pas la croissance des cellules. Etant donné l'expression ubiquitaire du gène KLF6 et son action de frein sur la croissance cellulaire, KLF6 pourrait jouer un rôle dans le développement ou la progression d'autres cancers, en particulier ceux qui sont associés à une perte d'hétérozygotie au chromosome 10p15.
« Science » du 21 décembre 2001, p. 2563.
Le Dr Scott Friedman explique au « Quotidien » les conséquences de ses travaux
Quels sont maintenant les prochains objectifs de votre recherche ?
Dr SCOTT FRIEDMAN
Nous avons plusieurs priorités immédiates :
1) déterminer quels autres cancers hébergent aussi des mutations dans KLF6 ;
2) tenter de comprendre si les mutations de KLF6 dans le cancer de la prostate représentent un événement précoce ou tardif dans la progression du cancer ;
3) découvrir si les mutations de KLF6 confèrent un pronostic particulier chez les patients atteints de cancer de la prostate, en comparaison des cancers sans ces mutations ;
4) comprendre comment les mutations de KLF6 entraînent une fonction altérée de la protéine et une perte de sa capacité à freiner la croissance cellulaire.
Nos études peuvent être considérées comme définitives pour définir KLF6 comme un gène tumeur-suppresseur dans le cancer de la prostate, d'après les critères conventionnels qui sont que la perte d'un allèle et la mutation de l'autre entraînent un avantage de croissance et un phénotype néoplasique. De façon typique, les gènes tumeur-suppresseurs affectent certains aspects du cycle cellulaire ou de la croissance cellulaire, et le gène KLF6 normal les affecte à travers sa régulation positive de p21.
C'est une question importante à laquelle nous ne pouvons pas encore répondre. Généralement, les cancers requièrent une accumulation de mutations ou d'anomalies dans la croissance cellulaire pour aboutir à un phénotype pleinement malin. Un exemple clair est le cancer du côlon, qui résulte d'une séquence de mutations dans des tumeurs-suppresseurs combinée à une activation d'oncogènes spécifiques. Il reste à établir si un paradigme similaire est avéré pour le cancer de la prostate - avec des mutations de KLF6 qui ne sont qu'un événement clé dans une série de voies altérées. De même, si une séquence d'événements est nécessaire pour la formation du cancer de la prostate, nous ne savons pas où s'intégrerait KLF6 dans cette séquence, ou quelle serait son importance par rapport aux autres événements.
Il est important de reconnaître que, à la différence de nombreux cancers, le cancer de la prostate n'a généralement pas une fréquence élevée de mutations des gènes tumeurs-suppresseurs connus (p53 ou PTEN, entre autres). Aussi, la reconnaissance que des mutations de KLF6 surviennent dans plus de la moitié des cancers de la prostate est une observation remarquable, et indique que KLF6 est plus important que les tumeurs-suppresseurs connus dans la pathogenèse du cancer de la prostate.
Là également, nous ne le savons pas encore, mais nous espérons que nos observations conduiront finalement à un nouveau traitement. Nous ne pouvons pas prédire combien de temps cela prendra. En principe, toute stratégie pour restaurer la fonction KLF6 dans un tissu où elle est perdue en raison d'une mutation devrait être bénéfique, mais il est trop tôt pour dire si cela serait suffisant pour traiter un cancer de la prostate contenant une mutation de KLF6. Puisque l'une des activités de KLF6 est de réguler positivement p21, ce qui est similaire à la fonction du tumeur-suppresseur connu p53, on pourrait regarder quels sont les progrès dans la biologie de p53 et dans les traitements axés sur la correction des mutations de p53, et prendre cela comme un indice.
Au final, tous les cancers seront examinés, comme cela s'est passé avec p53. Notre première priorité est d'examiner les tumeurs qui sont connues pour avoir une perte du chromosome 10p, là où KLF6 est encodé, puisque ces tumeurs auront déjà, par conséquent, le premier des deux critères qui définissent un tumeur-suppresseur (perte d'un allèle plus mutation de l'allèle restant).
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