Excès de risque
L'infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) est associée à une augmentation du risque de survenue de lymphomes malins non hodgkiniens (LNH) systémiques de haut grade de malignité (lymphome de Burkitt et immunoblastique) et primitifs cérébraux, de sarcome de Kaposi et de cancer invasif du col utérin, qui constituent tous des événements classants au stade sida selon la classification CDC de 1993. Cet excès de risque de cancérogenèse, connu depuis longtemps, semble principalement expliqué par les coïnfections par des virus oncogènes (Epstein-Barr Virus, Human Herpes Virus 8, Human Papillomavirus) et par le développement d'une immunodépression cellulaire, comme cela a été antérieurement décrit lors de l'utilisation de drogues immunosuppressives, en particulier dans les situations de transplantation d'organes. L'utilisation large des multithérapies antirétrovirales (ARV) dans les pays industrialisés a permis depuis le milieu des années 1990 une diminution très importante de la mortalité des patients infectés par le VIH et de l'incidence des affections opportunistes classantes au stade sida. Parallèlement à la diminution de ces événements classants sida, une nouvelle morbidité a émergé, incluant des événements iatrogènes, cardio-vasculaires, liés aux coïnfections par les virus des hépatites, ainsi que des affections cancéreuses non incluses dans la classification au stade sida.
Dans l'étude Mortalité 2005, qui recensait durant l'année 2005 les causes de décès des sujets infectés par le VIH en France, les affections cancéreuses, quelles soient classantes sida ou non, représentaient ainsi un total de 35 % des 964 causes de décès recensées. Avant l'avènement des multithérapies antirétrovirales, cette proportion se limitait à moins de 10 %, dont 1 % de cancers non classants. Il était à souligner dans cette étude : la part encore notable des LNH systémiques, dont la baisse d'incidence semble moindre que celle observée sous multithérapies ARV des autres pathologies classantes sida, la part croissante des cancers du poumon, hépatocarcinomes, tumeurs digestives et maladies de Hodgkin, et le fait que ces affections cancéreuses survenaient à un niveau d'immunodépression parfois peu avancé.
Classants sida
Dans l'histoire de l'infection par le VIH, les LNH systémiques constituent une entité spécifique. Si, comme nous l'avons vu, ils ont été considérés comme un événement très lié au VIH et donc classants sida dès 1985, leur évolution depuis la mise en place des multithérapies ARV est un peu discordante par rapport aux autres événements. En effet, l'incidence des LNH a moins diminué que celle de la majorité des autres affections classantes, et les LNH constituent toujours la première cause de cancer des sujets infectés par le VIH et l'une des principales causes de mortalité. Les LNH apparaissent donc comme un des événements classants sida les plus fréquents à l'ère des multithérapies antirétrovirales et comme l'événement sida le plus souvent létal.
La persistance de cet excès de risque majeur (multiplié par vingt par rapport à la population générale), malgré l'amélioration globale du statut immunitaire sous antirétroviraux, laisse à penser que d'autres facteurs que l'expression quantitative de l'immunité cellulaire pourraient jouer un rôle dans la physiopathogenèse des LNH associés au VIH. En particulier, le mauvais contrôle de la réplication de l'Epstein-Barr virus et du VIH lui-même pourrait constituer des facteurs favorisant l'expression de clones lymphocytaires B.
Étroitement liée au déficit immunitaire et à la coïnfection par le HHV8, l'incidence du sarcome de Kaposi a, en revanche, considérablement diminué depuis l'instauration des multithérapies ARV parallèlement à celles des autres infections opportunistes, même si elle reste cent fois plus élevée que dans la population générale.
L'infection par le VIH chez les femmes est associée à un risque accru d'infection par le Human Papilloma Virus (HPV), agent étiologique des dysplasies cervicales, du carcinomeinsituet ainsi à un surrisque de cancer du col environ dix fois plus élevé que dans la population générale selon les études. Les résultats des études concernant le rôle protecteur des multithérapies antirétrovirales sont contradictoires, certaines études montrant un effet bénéfique des multithérapies ARV sur le taux de régression des dysplasies cervicales, d'autres non. Ces discordances traduisent le fait que l'amélioration du statut immunitaire apportée par les multithérapies ARV n'est pas la seule condition permettant un contrôle du HPV équivalent à celui observé dans la population générale et que d'autres facteurs pourraient intervenir. Les mesures de dépistage et de traitement spécifique des lésions précancéreuses HPV induites sont donc à renforcer chez les patientes infectées par le VIH.
Non classants sida
L'incidence des affections néoplasiques non classantes sida au cours de l'infection par le VIH à l'ère des multithérapies ARV a été évaluée à travers plusieurs grandes études épidémiologiques. Les résultats montrent une incidence globale de cancer non classant approximativement deux ou trois fois supérieure chez les patients infectés par le VIH par rapport à la population générale, mais avec des variations importantes selon le type de cancer et le sexe. En effet, une étude portant sur une cohorte de femmes infectées par le VIH ne mettait pas en évidence de surrisque global de cancer non classant sida, résultat également relevé dans une grande étude française.
La plus récente de ces études met ainsi en évidence, par rapport à la population générale, et à l'ère des multithérapies antirétrovirales, une augmentation du risque de cancer anal d'un facteur 59,4 ; de maladie de Hodgkin d'un facteur 17,9 ; d'hépatocarcinome d'un facteur 7 ; de cancer du poumon d'un facteur 3,6 ; de mélanome d'un facteur 3 ; oropharyngé d'un facteur 3 ; colo-rectal d'un facteur 2,4. L'incidence de ces cancers a été peu modifiée depuis la mise à disposition des multithérapies antirétrovirales sans variation significative, sauf peut-être pour la maladie de Hodgkin et les cancers anaux dont les incidences continuent à croître.
Il existe de nombreuses explications possibles et probablement intriquées à cet excès de risque. La survie aujourd'hui prolongée, l'âge, qui constitue un facteur de risque majeur de cancer, et la diminution d'incidence des infections opportunistes ont conduit à une augmentation relative du nombre de sujets infectés par le VIH exposés au risque de cancer. De plus, la prévalence élevée des facteurs de risque traditionnels de cancers, tels que le tabagisme (50 % de la population infecté par le VIH), l'excès de consommation d'alcool (de 10 à 15 %), les coïnfections par les virus des hépatites B et C (de 25 à 30 %), le HPV (jusqu'à 80 % des femmes et de la population masculine homosexuelle), voire la malnutrition, ont également contribué à cette incidence élevée de cancers dans cette population. Enfin, l'immunodépression induite par l'infection par le VIH, si elle est reconnue comme un facteur favorisant les cancers classants sida, n'a que récemment été impliquée comme un facteur significativement associé à la survenue de cancers non classants. Ainsi, une métaanalyse récente portant sur l'incidence des cancers chez les patients infectés par le VIH et comparés aux patients transplantés a conclu à un profil de risque similaire dans ces deux populations suggérant que l'immunodépression pouvait en partie expliquer l'incidence accrue de cancers non classants sida chez les patients infectés par le VIH. Cette hypothèse a été vérifiée par une étude de la cohorte ANRS CO3 Aquitaine qui a montré que l'exposition prolongée à une immunosuppression, même modérée, constituait un facteur de risque de cancers non classants.
Néanmoins, l'immunodépression quantitative ne semble pas pouvoir expliquer l'ensemble de l'excès de risque observé chez les patients infectés par le VIH dans la mesure où des processus cancéreux surviennent chez des patients non immunodéprimés et où l'excès de risque semble persister pour certains processus à l'ère de l'utilisation des multithérapies ARV.
Le rôle propre du VIH comme proto-oncogène a également été suggéré. En effet, le VIH est susceptible d'interagir avec des éléments du cycle cellulaire et de l'apoptose, et de modifier l'expression de proto-oncogène lors de son intégration à l'ADN cellulaire et de certaines cytokines impliquées dans la croissance tumorale.
Actuellement, il n'est pas montré que les stratégies thérapeutiques vis-à-vis du cancer devaient être différentes entre les patients infectés par le VIH et les autres. Bien sûr, la prise en compte du statut immunitaire, des prophylaxies anti-infectieuses et des interactions médicamenteuses devra être systématique.
La poursuite d'études épidémiologiques permettra de préciser les priorités et les modalités de prévention et de dépistage des cancers dans cette population spécifique (intérêt du scanner pulmonaire, des frottis cervicaux et anaux pour le dépistage de l'infection par le HPV) et d'évaluer celles qui devraient d'ores et déjà être systématiquement proposées (prise en charge de l'alcoolisme, du tabagisme et de la malnutrition, des coïnfections virales).
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