Un entretien avec le Pr Michel Marty (directeur de la recherche thérapeutique-IGR de Villejuif)
En termes de recherche de transfert, les approches de génomique fonctionnelle à haut débit commencent à donner des renseignements intéressants dans un certain nombre de cancers, notamment les lymphomes, certains cancers du sein, les cancers du côlon et les sarcomes. Ces renseignements sont toujours un peu du même ordre, montrant que seulement 10 % des gènes sont impliqués et résument l'information. Celle-ci peut être de trois ordres : validation du cadre diagnostic ; identification de deux ou trois populations distinctes ; risque évolutif en fonction du risque génomique (essentiellement dans le cancer du sein ou du côlon) permettant d'évaluer le risque évolutif indépendamment des facteurs déjà bien connus (ce qui permettra dans un très proche avenir de ne pas sous- ou surmédicaliser certains patients à tort) ; enfin, de manière plus balbutiante, en regroupant ces mêmes gènes, il deviendra possible, lorsque plusieurs options thérapeutiques se présentent, d'identifier les tumeurs qui seront plus sensibles à une option qu'à une autre.
De ces progrès découlent d'autres avancées intéressantes concernant la quantité de protéine exprimée et le caractère fonctionnel ou non de ces protéines. Des techniques plus simples et automatisées devraient permettre d'étudier plus facilement ces protéines. Ces méthodes devraient bientôt pouvoir être proposées à tous les malades et on devrait « entrer dans de la génomique pratique » qui permettra de classer les tumeurs, d'estimer le pronostic et de préciser la thérapeutique.
Bientôt, l'imagerie fonctionnelle in vivo
Les progrès assez considérables de l'imagerie et de l'imagerie fonctionnelle, avec des méthodes qui vont de l'écho-Doppler pulsé à des méthodes un peu plus complexes d'imagerie optique (activation laser), vont permettre d'étudier des tumeurs de quelques millimètres (largement plus sensible que le PET-scan). Ces nouvelles techniques devraient se coupler aux méthodes précédentes et permettre de faire de l'imagerie fonctionnelle in vivo. Elles devraient se révéler intéressantes pour le dépistage de sujets à risque.
En ce qui concerne le dépistage, des progrès ont été faits sur les méthodes et la sensibilité du dépistage, ainsi que sur l'étude des protéines. Actuellement, on peut rechercher une centaine de protéines circulantes, avec des méthodes très sensibles. On a ainsi pu caractériser que, très tôt, il était possible de mettre en évidence des variations du profil d'expression des protéines et dire avec une assez grande précision de quel type de cancer était atteint le patient. En effet, les profils d'expression semblent relativement différents d'un cancer à l'autre. On pourrait donc envisager un dépistage assez simple (prise de sang), applicable à toute la population, pour un coût modique, et qui donnerait des éléments d'orientation sur plusieurs cancers en même temps (tumeur largement infracentimétrique). A l'opposé, la sensibilité de ces méthodes expose au risque de ne pas détecter la localisation (dans une bronche, par exemple) d'un cancer ainsi dépisté et donc à la nécessité de différer le diagnostic à un stade plus évolué.
Une meilleure organisation du dépistage
Le présent du dépistage est représenté par la mise en place cette année de l'organisation du dépistage du cancer du sein en France (à ce jour, quarante-huit départements concernés), qui devrait être généralisé d'ici à trois ans. La lecture des mammographies est aujourd'hui facilitée, grâce à leur meilleure qualité et l'existence de systèmes d'aide automatique à l'analyse, notamment pour les images considérées comme faiblement suspectes. D'autres dépistages sont actuellement envisagés. Tout d'abord, le dépistage du cancer du côlon qui entraîne un certain nombre de discussions, notamment sur la manière de le mettre en pratique. Actuellement, deux écoles s'opposent : celle qui pense que la recherche de sang dans les selles par l'Hémoccult est un très bon préalable, mais malheureusement peu spécifique (adénomes, colites... susceptibles de donner des traces de sang dans les selles), et celle qui pense que, en fonction du risque familial, il faut faire systématiquement une colonoscopie à 50 ans. Quant aux marqueurs, qui ne sont jamais élevés dans les tumeurs localisées, ils ne présentent pas d'intérêt dans le dépistage ; seul l'antigène spécifique de la prostate (PSA) est extrêmement sensible et augmente même lors de cancer localisé, rendant son dosage dans le cadre du dépistage intéressant.
Trois types de progrès dans les traitements médicamenteux
A coté des progrès scientifiques que permettent la chirurgie mini-invasive, l'amélioration de la précision de la radiothérapie, les avancées thérapeutiques concernent essentiellement le médicament, pour lequel trois types de progrès existent. En premier lieu, le déplacement de traitements qui ont fait leurs preuves dans des formes évoluées vers des formes nettement moins évoluées, notamment dans des situations adjuvantes, pour prévenir des rechutes. Trois données importantes sont apparues cette année. Tout d'abord, la première étude (française) qui montre que, dans les cancers bronchiques opérés, le fait de proposer une chimiothérapie adjuvante optimale réduit le risque de rechute et de décès par cancer bronchique ; cela conforte l'idée que, dans les cancers bronchiques, il faut faire une chimiothérapie postopératoire. Deuxièmement, dans les cancers du côlon, pour lesquels le bénéfice d'une chimiothérapie adjuvante est démontré dans les formes ayant une atteinte ganglionnaire et l'utilisation d'associations, dans les formes métastatiques, a permis de doubler la survie de ces formes. Dans ce domaine, deux études (qui seront publiées dans les semaines à venir) montrent que malgré leur toxicité les associations sont largement supérieures au traitement proposé antérieurement. Il y a donc des progrès assez importants dans la prise en charge des cancers du côlon, pour lesquels on peut désormais parler de guérison et d'augmentation de la survie. Le troisième type de progrès vient aussi de l'utilisation d'associations que l'on savait déjà utiliser dans les cancers métastatiques. Dans le cancer du sein, les dernières avancées concernent les associations thérapeutiques qui ont incorporé le taxotère, en gardant les anthracyclines, et qui permettent d'arriver à 80-85 % d'absence de rechutes chez les femmes qui avaient une atteinte ganglionnaire limitée (un à trois ganglions) ; en quinze ans, par le biais de ces différentes associations, on est passé de 50 à 80-85 %, ce qui représente un progrès colossal. Ce type d'association va désormais s'imposer comme un nouveau standard thérapeutique. Ces associations posent, bien entendu, le problème d'une toxicité plus forte que l'administration d'un seul médicament ; néanmoins, un certain nombre d'études de qualité de vie montrent que, à distance du traitement (entre trois et quatre ans), l'impact de la qualité de vie du traitement, voire la mémorisation du traitement, est extrêmement faible. Ces associations posent également le problème du coût, puisqu'elles multiplient par 6 à 10 le coût du traitement adjuvant, mais celui d'une forme évoluée est largement plus élevé, donc, on pense que l'impact médico-économique est positif.
De nouveaux médicaments chimiothérapiques continuent à se développer
Les médicaments en développement ont des mécanismes d'action tout à fait originaux, que l'on ne connaissait pas, et des activités intéressantes dans des tumeurs jusqu'alors assez peu sensibles (sarcomes). D'autres molécules se développent dans à peu près tous les cancers et la production de ces molécules chimiothérapiques cytotoxiques est loin d'être caduque. Maintenant s'y ajoute la production de molécules orientées sur des anomalies biologiques caractéristiques des cancers et que toute la biologie des dernières années a permis d'identifier (inhibiteur de la transduction du signal, anticorps monoclonaux...) ; plusieurs centaines sont actuellement en cours de développement dans le monde. Ces produits qui sont des produits ciblés, non cytotoxiques, en général, stoppent la division des cellules, peuvent favoriser l'apoptose, inhiber la production de néovaisseaux, mais ne tuent pas vraiment, apportant une solution partielle. Ils peuvent apparaître intéressants en association où ils se révèlent efficaces.
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