En cancérologie, quelques avancées ont bien sûr été réalisées : identification des facteurs de risque externes (tabac, amiante, alimentation, facteurs environnementaux et professionnels), précocité de la détection et amélioration de certains traitements. Le Pr John Bailar (université de Chicago) fait même état d'une stagnation, voire même d'une régression, de certains cancers (estomac, côlon) aux Etats-Unis. Mais la situation reste préoccupante à l'échelle de la planète. « Il y a bien une augmentation réelle de l'incidence des cancers dans le monde », précise Annie Sasco (INSERM et centre international de recherche contre le cancer). En dix ans, l'incidence du cancer a augmenté de 27 %, alors que le population mondiale augmentait de 18 %.
En France, le cancer du poumon chez l'homme et le cancer du sein chez la femme sont les plus importants en termes de mortalité (le plus fréquemment touchés : la prostate et le sein). L'incidence est en augmentation.
L'explication biologique est insuffisante
La recherche fondamentale a, jusqu'ici, mis en évidence le rôle de facteurs de risque internes, essentiellement génétiques, et de l'accumulation de mutations dans la cellule. Mais l'explication biologique ne semble pas suffisante. Dans ce contexte, l'émergence d'hypothèses potentiellement novatrices semble une nécessité.
C'est pour en débattre que cancérologues, physiciens, mathématiciens et biologistes étaient conviés au colloque organisé par Anne Fagot-Largeault (professeur au Collège de France) et le Dr Laurent Schwartz . « Non des vérités acquises mais une recherche libre. » La maxime de Merleau-Ponty gravée en lettres d'or sur la pierre du Collège de France était bien dans l'esprit de cette journée qui clôturait le premier séminaire d'Anne Fagot-Largeault (1).
Les physiciens du laboratoire de physique de la matière condensée (CNRS, Polytechnique, groupe du Pr Bernard Sapoval) (2) ont ainsi tenté d'ouvrir quelques pistes. Marcel Filoche a mis en évidence les difficultés d'analyse des statistiques de mortalité. Entre 30 et 50 ans, les fluctuations importantes observées sont incompatibles avec un modèle gaussien (courbe en cloche). Plus chaotiques, elles sont à l'image des cours de la Bourse ! En vieillissant, l'organisme tendrait vers un comportement critique : malgré la détérioration progressive, il resterait opérationnel jusqu'à un certain point d'usure où le moindre événement conduit, telle une avalanche, à la catastrophe.
Le rôle des contraintes physiques
Cela suggère un probable rôle des configurations architecturales dans l'apparition des cancers. « Le vieillissement humain qui se voit sur la peau est sans doute le même, à un niveau plus profond », observe le Dr Schwartz. Le travail de Vincent Fleury sur la morphogenèse des formes fractales (formes en étoile fréquentes dans la nature : arborescence du poumon, des reins, mais aussi aspect des tumeurs malignes) vient en appui de l'hypothèse. Les contraintes physiques, au niveau microscopique, expliquent l'aspect macroscopique des organes. En changeant de plan de division, la cellule tumorale échappe aux contraintes physiques des cellules environnantes. La perte de la polarité et la prolifération cellulaire ne seraient qu'une conséquence de la désorganisation tissulaire. Or, chez l'homme, le cancer est associé à une maladie tissulaire préexistante : la fibrose ou la cirrhose précède l'hépatocarcinome ; la bronchite chronique ou l'emphysème déforme l'architecture pulmonaire et augmente le risque de cancer.
Toutes ces hypothèses, non validées scientifiquement, restent un pari, mais tentent de déboucher sur une meilleure prévention et sur des traitements efficaces. Des essais, comme ceux du Pr Baillet (radiothérapie, hôpital Salpêtrière, Paris) et de son équipe, ont déjà montré que des fibroses peuvent régresser, grâce à la SOD (superoxyde dismutase). L'espoir est « d'essayer de mettre au point des molécules toxiques sur les cellules qui perdent leur polarité, afin d'améliorer la sélectivité de nos traitements », a conclu le Dr Schwartz.
Quelques données épidémiologiques
Epidémiologie descriptive
Le cancer est une maladie de l'adulte au-delà de 45 ans.
Chez l'homme
10 millions de nouveaux cas par an.
Le plus fréquent est le cancer du poumon (y compris dans les pays en développement). Jusqu'en 1985, c'était le cancer de l'estomac dont l'incidence est en diminution.
Chez la femme
Le plus fréquent est le cancer du sein (y compris dans les pays en développement). A supplanté le cancer du col de l'utérus qui était traditionnellement le cancer le plus fréquent en Asie et en Afrique.
1 million de nouveaux cas par an.
Epidémiologie géographique
En chiffres absolus, l'Amérique du Nord est le continent le plus touché.
La plupart des cancers sont plus fréquents dans les pays développés.
Les cancers liés à des virus, comme le cancer du col de l'utérus, sont plus fréquents sur le continent africain.
Epidémiologie temporelle
L'incidence du cancer a augmenté de 27 % (32 % chez l'homme, 22 % chez la femme) en dix ans dans la population mondiale.
L'incidence du cancer du sein a doublé en vingt ans.
Colloque « Cancer : hypothèses et réalités » au Collège de France, le 31 mai 2001, sous la direction d'Anne Fagot-Largeault (chaire de philosophie des sciences biologiques et médicales) et de Laurent Schwartz (radiothérapie, hôpital Salpêtrière, Polytechnique).
(1) Thème du séminaire : « Recherche des causes par les probabilités dans les sciences de la vie de la santé ».
(2) « Physique des régularités » qui tente de comprendre les modes d'organisation des systèmes complexes.
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