D ANS la plupart des tissus humains, le nombre de divisions cellulaires est constitutivement limité à une cinquantaine environ. Ce phénomène désigné sous le terme d'« horloge mitotique » est régi, du moins en partie, par des structures dites télomères - dotés d'une durée de vie limitée - qui empêchent les remaniements chromosomiques potentiellement létaux pour les cellules. Les télomères sont, chez les eucaryotes, constitués d'une répétition de courtes séquences (TTAGGG chez les vertébrés) situées à l'extrémité des chromosomes. Or, à chaque division cellulaire, les chromosomes perdent un court fragment d'ADN distal (de 50 à 200 paires de bases). C'est donc le raccourcissement progressif des chromosomes qui limite le nombre des divisions cellulaires et qui signe l'entrée de la cellule dans un état de sénescence.
L'horloge mitotique
La plupart des cellules de l'organisme sont sous la dépendance de l'horloge mitotique. Néanmoins, certaines lignées - les cellules hématopoïétiques, les cellules souches de la peau et des intestins et les cellules germinales - ne sont, elles, pas soumises à ces phénomènes de vieillissement cellulaire. C'est aussi le cas des cellules cancéreuses. Une enzyme, la télomérase, joue un rôle majeur dans le maintien des capacités prolifératives de ces tissus. Elle a été initialement mise en évidence chez les protozoaires, puis, rapidement, chez tous les organismes supérieurs.
L'enzyme est constituée d'un fragment d'ARN complémentaire de la séquence télomérique (TER, qui inclut un modèle de synthèse de l'ADN des télomères) et d'une sous-unité catalytique (TERT, qui possède des analogies avec la transcriptase reverse des virus). Cette dernière est dotée d'une activité transcriptase inverse qui permet de rétrotranscrire ce fragment d'ARN en ADN à l'extrémité des chromosomes. In vitro, les deux composants de l'enzyme sont nécessaires et suffisants pour induire une activité télomérase, mais, in vivo, le bon fonctionnement enzymatique fait appel à d'autres composants. Ainsi, dans les lignées cellulaires néoplasiques, la prolifération tumorale nécessite, en outre, l'expression d'oncogènes Ras ou WRN, par exemple (« le Quotidien » du 8 mars 2001) et/ou la perte de gènes suppresseurs, tels que p53 et Rb.
La mise en évidence du rôle de la télomérase dans la transformation néoplasique de certaines lignées cellulaires (90 % des tumeurs expriment la télomérase) a conduit les cancérologues à imaginer une intervention thérapeutique ciblée sur cette enzyme.
L'inhibition de l'activité enzymatique a été l'une des premières voies explorées. Partant de la synthèse de molécules inhibant la transcriptase inverse du VIH, des chercheurs ont envisagé de mettre au point des inhibiteurs de la sous-unité TERT. Mais cette option s'est heurtée à des problèmes majeurs de tolérance et d'efficacité.
En effet, puisque certaines cellules humaines expriment à l'état naturel la télomérase, l'inhibition enzymatique se traduit inéluctablement par une sénescence de différents types de cellules (hématopoïétiques et germinales, par exemple).
Destruction spécifique des cellules
En outre, si la télomérase autorise une prolifération indéfinie des lignées cellulaires, elle agit aussi en stabilisant les chromosomes. C'est en effet la télomérase qui limite l'accumulation de remaniements chromosomiques, tels que ceux qui sont à l'origine de l'acquisition d'une chimiorésistance, d'un potentiel métastatique élevé ou de l'induction d'une angiogenèse au profit de la tumeur.
La seconde approche a été de promouvoir une reconnaissance immunitaire ciblée et une destruction spécifique des cellules exprimant la télomérase. Pour cela, la sous-unité TER a été utilisée comme agent immunisant pour des lymphocytes T. Plus exactement, ce sont deux peptides appartenant à cette séquence et capables d'être présentés par des molécules du CMH de classe I qui ont été choisis. Les premiers essais thérapeutiques de ce type de « vaccination » ciblant la télomérase ont été positifs (« le Quotidien » du 4 avril 2000). Les CTL anti-TER ont été capables in vitro de lyser des cellules provenant de diverses lignées de cancers du sein, du côlon, du poumon ou de mélanomes.
L'équipe du Dr Moses Kim (San Francisco) propose une troisième voie d'approche : inhibition de la croissance tumorale par le biais des télomères. Précédemment, un travail réalisé par cette équipe californienne avait montré qu'une altération de la séquence des répétitions d'ADN constitutives des télomères pouvait affecter leur fonctionnement chez des organismes unicellulaires.
Le Dr Kim a, dans un second temps, travaillé sur des lignées cellules tumorales humaines. « Une expression à un niveau faible d'un mutant pour le modèle d'ARN télomérase (constituant du composé TER de la télomérase à l'état naturel) diminue la prolifération des cellules tumorales et majore l'induction de l'apoptose de ces cellules », expliquent les auteurs. Mais il existe encore des freins techniques à la mise en place de protocoles expérimentaux fondés sur cette approche.
Une mutation de l'ADN télomérique
« En effet, cette nouvelle voie antitumorale, qui s'appuie sur un mécanisme ne faisant pas intervenir une diminution de la taille des télomères ni une inhibition de l'activité télomérase, nécessite l'induction d'une mutation de l'ADN télomérique. Or cette technique n'est actuellement réalisable qu'in vitro », analyse le Dr Richard Hodes (Bethesda) dans un éditorial. Enfin, dans les 10 % de lignées cellulaires qui n'expriment pas la télomérase, des techniques d'incorporation de l'ADN enzymatique devront donc être développées avant d'envisager l'introduction de mutants des séquences télomériques.
« Proc Natl Acad Sci USA », 2001, vol. 98, n° 14, pp. 7649-7651 et 7982-7987.
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