Dans une cellule épithéliale cancéreuse, la dérégulation de l'expression de la protéine kinase AKT permettrait aux cellules d'acquérir la mobilité et le pouvoir invasif nécessaires à la formation de métastases. Normalement, la protéine AKT est activée de manière transitoire, au moment où la cellule en a besoin. Elle participe alors à la régulation de nombreux processus cellulaires essentiels tels que la division cellulaire et l'apoptose. Mais si les cellules se mettent à exprimer AKT en permanence, de manière non contrôlée, elles vont se détacher les unes des autres, migrer rapidement et, dans un modèle murin, réussir à envahir les tissus adjacents. C'est ce qui ressort d'un travail mené à l'institut Curie dans l'équipe de Lionel Larue (UMR 146 CNRS/Curie), en collaboration avec des équipes américaines et belges. Cette découverte pourrait conduire à la mise en place de nouvelles stratégies thérapeutiques se fondant sur l'inhibition de l'expression d'AKT et permettant de lutter contre l'apparition des métastases dans les cancers humains.
De nombreux travaux ont permis de mettre en évidence l'activation constitutive de la protéine kinase AKT dans divers cancers humains. Il a alors été supposé qu'AKT participe à la progression tumorale. Afin de tester et d'affiner cette hypothèse, Sylvia Julien-Grille et coll. ont étudié l'effet d'une activation constitutive d'AKT in vitro dans des carcinomes humains modifiés.
Changements de la morphologie des cellules
En premier lieu, les chercheurs ont pu observer que l'activation constitutive d'AKT conduisait à un changement de la morphologie des cellules. Ces modifications rappellent celles qui se produisent lors de la transition épithélio-mésenchymateuse (TEM) : les cellules perdent leur aspect épithélial, se détachent les unes des autres et prennent l'apparence de fibroblastes.
L'examen des cellules par microscopie confocale et l'analyse de l'expression et de la distribution cellulaire de certains marqueurs ont permis aux chercheurs de confirmer leurs soupçons : l'activation constitutive d'AKT induit effectivement la TEM des cellules. L'expression des protéines assurant la cohésion des cellules au sein de l'épithélium est diminuée par AKT. En outre, la localisation subcellulaire d'une de ces protéines d'ancrage, l'E-cadhérine, est altérée : au lieu d'être présente au niveau de la membrane plasmique des cellules, elle est retrouvée dans le cytoplasme des cellules sous forme de petits amas.
Migration plus rapide, temps de génération plus court
Par ailleurs, et toujours in vitro, Julien-Grille et coll. ont montré que les cellules exprimant AKT de manière constitutive migrent plus rapidement sur une matrice de fibronectine que des cellules non modifiées. Le temps de génération de ces cellules est également plus court (de douze à treize heures vs vingt-quatre heures).
L'ensemble de ces données suggère que l'expression constitutive d'AKT fournit à la cellule un ensemble de propriétés tumorigènes. Les chercheurs ont donc transplanté les cellules modifiées chez des souris athymiques. Alors que des cellules non modifiées de la même lignée ne conduisent jamais à la formation de tumeurs chez ces animaux, les cellules exprimant AKT constitutivement ont donné des tumeurs dans 8 cas sur 14. De plus, ces cellules ont montré une importante capacité à traverser les anneaux cartilagineux formant la paroi de la trachée quand elles sont greffées dans la lumière de cet organe.
Ainsi, l'activation constitutive d'AKT dans des cellules épithéliales cancéreuses humaines va induire la TEM et s'accompagner d'une perte de l'adhérence intercellulaire, d'une augmentation de la mobilité des cellules et d'une accélération du cycle cellulaire. In vivo, ces modifications de la biologie des cellules semblent leur conférer une tumorigénicité importante et un fort pouvoir invasif. En inhibant l'expression d'AKT dans les cancers humains, il est donc envisageable d'arriver à limiter le pouvoir invasif des cellules cancéreuses et, par conséquent, d'empêcher la formation de métastases. Dans cette optique, les auteurs de cette étude proposent de tester l'effet thérapeutique d'ARN antisens ou d'ARN interférents dirigé contre AKT.
« Cancer Research », mai 2003, vol. 63, pp. 2172-2178.
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