Peter Gotzsche et Ole Olsen, qui travaillent au Nordik Cochrane Centre, à Copenhague, se sont donné pour tâche de mener une évaluation des méthodes de dépistage du cancer du sein par mammographie. L'an dernier, ils ont conclu, après avoir passé au crible sept études randomisées, que « le dépistage du cancer du sein par mammographie ne se justifie pas » (« Lancet », 2000 ; 355 : 129-134).
Les auteurs ont estimé que nombre d'études qu'ils avaient analysées étaient de mauvaise qualité, la meilleure d'entre elles ne parvenant pas à démontrer une réduction de la mortalité totale ou par cancer du sein.
Ils classent les données fournies par les études en quatre groupes : bonnes, moyennes, pauvres et défectueuses. Un débat animé s'est ensuivi, à la fois dans les journaux nationaux et les revues médicales. Les rédacteurs du Cochrane Breast Cancer Group eux-mêmes ont fait savoir qu'ils se désolidarisaient de ces conclusions.
Ils ont ensuite procédé à une réévaluation des publications en se centrant sur les méthodes de randomisation, la comparaison des groupes à l'inclusion, les exclusions après randomisation et les évaluations des résultats.
Aucune étude n'est de bonne qualité
Dans le dernier numéro du « Lancet », Olsen et Gotzsche publient une lettre dans laquelle ils résument leurs conclusions, qu'ils confirment après les avoir complétées. « Aucune étude n'est de bonne qualité, deux sont moyennes (Malmö et Canada), trois sont de mauvaise qualité (Two-County, Stockholm et Göteborg), deux présentent des défauts (New York et Edimbourg) ». L'analyse montre à l'évidence que l'évaluation des causes de décès n'est pas fiable et entâchée de biais en faveur du dépistage.
Les causes incertaines de décès ont été significativement assignées au cancer du sein, font-ils remarquer. Des métaanalyses ont montré que la radiothérapie réduit la récurrence locale de deux tiers, ce qui doit être mis en parallèle avec l'utilisation plus large de la radiothérapie chez les femmes dépistées par mammographie que chez les femmes contrôles (ce qui d'ailleurs fait augmenter la mortalité en raison des effets secondaires cardio-vasculaires).
Les auteurs estiment que la traduction d'une réduction de la mortalité par cancer du sein en réduction de la mortalité totale repose globalement sur des suppositions erronées. L'hétérogénéité importante qui existe entre les groupes implique qu'ils ne devraient pas être combinés, notent-ils.
Des traitements plus agressifs
Olsen et Gotzsche confirment également « que le dépistage conduit à des traitements plus agressifs, augmentant le nombre de mastectomies de 20 % et le nombre de mastectomies et de tumorectomies d'environ 30 % » (voir à cet égard : www.thelancet.com). L'augmentation du taux de mastectomies dans les études apparaît plus élevé que dans la pratique courante. Comme le dépistage systématique identifie des tumeurs à développement lent ou des carcinomes in situ qui ne se transforment pas toujours en cancers invasifs, l'augmentation du nombre des gestes chirurgicaux n'est pas forcément corrélée à une rentabilité correcte du dépistage des cancers par mammographie. D'ailleurs, les réinterventions et les interventions sur le sein controlatéral n'ont pas toujours été incluses, soulignent-ils.
« De meilleures méthodes de diagnostic (avec de meilleurs mammogrammes) pourraient conduire à des excès de traitement à cause d'une détection de lésions discutables (comme des cancers à développement lent, qui ne se seraient pas exprimés pendant toute la durée de la vie). »
« Nous avons réalisé une analyse détaillée des études de dépistage par mammographie et espérons que les femmes, les cliniciens et les décisionnaires vont les prendre en considération avant de mettre en place des programmes de dépistage. » En outre, « les dépistages à l'aide de nouvelles technologies doivent être testés dans des études randomisées, bien menées, en utilisant la mortalité toutes causes confondues comme critère principal d'analyse. »
La Cochrane Collaboration a eu une influence indéniable sur la façon dont les praticiens considèrent la recherche, note Richard Horton (Londres) dans un commentaire. Mais comme n'importe quelle entreprise humaine, les travaux de Cochrane ne sont pas exempts d'imperfections. Ils tendent, par exemple, à surestimer les bénéfices de certains nouveaux traitements.
Mais leur effet le plus important est de poser une vraie question : que va-t-il se passer maintenant dans le domaine du dépistage par mammographie, compte tenu que les grandes études randomisées n'assurent pas de leur utilité ?
« The Lancet », vol. 358, 20 octobre 2001, pp. 1340-1342, et commentaire pp. 1284-1285.
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